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A Ouvéa, le cauchemar de la montée des eaux "devient obsédant"


Ouvéa, France | AFP | vendredi 09/10/2020 - "La nuit, je me réveille, je pense toujours à la montée des eaux, ça devient obsédant": A 71 ans, Poeta Carolo, porte-parole de la chefferie de St-Joseph, au nord de l'île d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie voit son atoll disparaître avec l'érosion et le réchauffement climatique.

Baptisée "île la plus proche du paradis" grâce à son ruban de sable blanc qui court le long de sa côte ouest et ses eaux turquoises, Ouvéa est en partie inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco depuis 2008. Mais le responsable kanak ne reconnaît plus les 25 km de plages de sa jeunesse.

"C'étaient de belles plages ici. On y faisait des courses cyclistes et des courses de chevaux. Pendant la Fête-Dieu, on y faisait de grandes processions", se souvient le vieil homme, casquette blanche et polo vert affichant son soutien à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. 

Mais la mer grignote depuis des années cette île étroite et toute en longueur avec une plage réduite désormais à une largeur de quelques mètres. "De chez moi à la mer à marée haute, il y avait presque 80 mètres, maintenant je ne fais même pas 36 pas" jusqu'à l'eau, poursuit l'ancien élu local. 

La faute "au réchauffement climatique" et "aux grandes puissances qui en sont responsables", dénonce-t-il. 

Les courants marins et les cyclones et tempêtes sont également en cause, souligne Jacques Adjouhgniope, président de l'association pour la biodiversité d'Ouvéa (ASBO). 

Mais il accuse aussi l'extraction -désormais interdite- de sable utilisé pour faire du béton destiné aux bâtiments ou aux citernes d'eau. "Les gens continuent, ils ont besoin de sable pour construire, s'ils doivent importer d'autres matériaux, ça leur coûte trop cher".

L'ASBO a installé sur le littoral des bornes pour évaluer la progression de la mer. Un dispositif qui a dû être stoppé, "faute de financement", mais "c'est sûr, l'eau monte et elle n'arrête pas de monter".

L'érosion pénalise les tortues marines, qui n'ont plus assez de sable pour pondre leurs oeufs, et les Puffins du Pacifique, des oiseaux migrateurs qui nichent dans les dunes, explique le président de l'association. 

Repli

Mais elle a un impact surtout sur la population. Dans l'île de quelque 3.000 âmes, la plupart des habitations sont installées sur le littoral. "On nous conseille de ne plus construire en bord de mer, et de penser au repli vers l'intérieur des terres", explique Poeta. S'il a invité ses enfants à le faire, il n'envisage pas lui-même de déménager. 

"Si je dois boire le café ici à ma table, les pieds dans l'eau, je le ferai, je suis né là, je resterai ici", affirme-t-il, dans cette terre kanak où la population est viscéralement attachée à sa terre.

Même certitude à Mouli, dans le sud d'Ouvéa, où se trouve "la plus grande et la plus belle plage de l'île", selon Charlie Aema, qui tient un gite. "Ca fait 21 ans que je suis ici. Peut-être qu'elle aura disparu dans 50 ans mais je ne partirai pas d'ici tant que cette plage existe". 

La principale route d'Ouvéa, qui traverse l'île et permet de rejoindre le nord où les bateaux assurent le ravitaillement, est aussi menacée. Sur la commune de Wadrilla (centre), l'érosion a complètement détruit l'accotement, jusqu'à mettre en péril la sécurité des automobilistes. 

Il y a moins de dix ans, "le trait de côte était à plus de vingt mètres", montre Jacques Adjouhgniope, qui espère que le plan d'enrochement en cours, financé par l'Agence française de Développement, empêchera l'effondrement de cet axe stratégique.  

D'autres enrochements ont été mis en place à divers endroits du littoral, souvent par les communes. Mais ce n'est qu'un "pansement" selon Poeta, indigné de l'attentisme des politiques.

Les autorités coutumières ont décidé de prendre les choses en main pour mobiliser les institutions. Un réensablement des plages est désormais en projet. 

Lassé des "lenteurs administratives" et inquiet pour son atoll, Poeta fait partie des 46,7% des électeurs qui ont voté pour l'indépendance au référendum de dimanche où le "non" l'a emporté. 

Pour lui, l'indépendance "aurait peut-être permis faire les choses autrement".

le Vendredi 9 Octobre 2020 à 07:11 | Lu 1888 fois