Tahiti Infos

" L’objectif, c’était d’accompagner la stabilité politique et économique de ce territoire "


PAPEETE, le 28 mai 2019 - Le haut-commissaire, René Bidal, quittera officiellement ses fonctions le 10 juin pour prendre celle de préfet de Maine-et-Loire. Il revient, dans une interview accordée à Tahiti Infos, sur les dossiers qui ont marqué ses trois années passés en Polynésie française, évoquant notamment la formalisation de l’Accord de l’Elysée, les Assises des territoires d’Outre-mer ou encore le toilettage du statut.
 
Vous avez passé, presque exactement, trois ans en poste en Polynésie française. Que retenez vous globalement de cet exercice ?
 
« Au-delà des paysages que tout le monde connaît au moins virtuellement, c’est la richesse humaine de ce territoire que je retiens. Je m’y suis passionné. Et les dossiers m’ont passionné. Au surplus, ces trois ans sont tombés dans une période un peu particulière, puisque j’ai connu trois ministres des Outre-mer, deux Présidents de la République et quatre gouvernements. Et par bonheur, il y a eu une continuité dans le portage des dossiers. »
 
Quels ont été ces principaux dossiers ?
 
« En Polynésie, la première partie de ces trois ans a marqué l’aboutissement d’un cycle avec la signature de l’Accord de l’Elysée. Cela a été un très gros dossier, puisqu’il fallait traduire le discours du 22 février 2016 dans les actes. Pour moi, ce document est fondamental. Et il a notamment inspiré le toilettage du statut. Ca a été difficile, mais je crois que c’est un accord qui a été très bien pensé. Ensuite il y a eu le toilettage du statut, qui nous a beaucoup occupé. Le cabinet de la ministre des Outre-mer, les services du haut-commissariat et ceux du Pays ont beaucoup travailllé en itération. Nous en sommes désormais sortis. Et les amendements parlementaires ont permis de le finaliser. Enfin, les assises souhaitées par le Président de la Réublique ont été particulièrement suivies dans cette collectivité alors qu’elle est sous statut d’autonomie. Enfin, il y a eu les affaires économiques, pour lesquelles je me suis attaché à présenter aux ministres combien la défiscalisation était le seul moyen d’accompagner l’économie et le secteur privé polynésien. »
 
Ce n’était pas acquis ?
 
« Ca n’est jamais acquis. Et pour un spécialiste de Bercy, on veut éviter le détournement qui peut s’apparenter à une démarche de paradis fiscal individualisé, si on ne veille pas au sérieux du dossier qui justifie l’agrément. Lors de la récente visite du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, je me suis attaché à lui montrer des entreprises, notamment d’hôtellerie, de nautisme, de pêche, de mareyage ou de construction navale… Il m’a dit avoir été séduit du professionnalisme qu’il avait constaté. Parce qu’on lui avait parlé de très mauvais dossiers anciens de défiscalisations sur la pêche polynésienne ».
 
Pour rester sur l’économie, que pensez-vous des grands projets type ferme aquacole de Hao et Village Tahitien pour la Polynésie ?
 
« Tout est bon à prendre en matière d’économies structurantes. Les grands projets sont fondamentalement intéressants pour la Polynésie puisqu’ils sont vecteurs d’emplois et porteurs d’optimisme sur les activités structurelles durables. Mais n’oublions pas qu’il y a également de plus ‘petits’ savoir-faire qui peuvent générer des pôles d’excellence. Je pense notamment aux chantiers navals ou au numérique. Il faut simplement que ce soit connu. Et pour développer l’ambition d’investisseurs hexagonaux, en Polynésie française, il faut que soit portée une image de la Polynésie où on peut faire des affaires. »
 

"Je regrette qu'il n'y ai pas plus d'investisseurs français et européens"

C’est important pour vous qu’il y ait plus d’investissements français en Polynésie ?
« Oui, je regrette qu’il n’y ai pas plus d’investissements français et européens. Il faut que les Polynésiens mettent en oeuvre un lobbying pour que les investisseurs français ne viennent pas que pour la carte postale. Et je crois que, justement, l’approche que peuvent avoir les institutions locales désormais peut permettre de susciter cette confiance et cette nouvelle ambition. Il faut créer des interfaces avec les lobbies et les organisations socio-professionnelles pour faire connaître la Polynésie, non pas seulement comme un territoire de vacances, mais comme un territoire sur lequel on a la possibilité d’investir. Notamment avec les nouvelles technologies, on a des possibilités de développement économique tout à fait profitables. On a des garanties de sécurité, puisque l’isolement n’est pas qu’un défaut dans le monde moderne. Il ne présentait que des handicaps il y a un siècle et demi. Aujourd’hui, en matière de sécurité, être isolé dans le monde dès lors qu’on y est relié, peut présenter des avantages recherchés par des entrepreneurs. »
 
Quelle est l’ambition politique de l'actuel gouvernement central pour la Polynésie ?
 
« Je crois que le Président de la République a fait partager l’idée de la ‘différenciation' aux Polynésiens. Idée qu’il a beaucoup porté pendant la restitution des assises des territoires d’Outre-mer. La différenciation c’est, me semble-t-il, deux choses : prendre en compte les singularités locales et responsabiliser les collectivités qui sont dans ces territoires. C’est porteur à la fois d’une conception plus autonome des collectivités et d’une responsabilisation accrue. Et dans la différenciation, j’ai essayé d’œuvrer pour que dans la loi organique on fasse évoluer les compétences en matière d’intercommunalité. Parce que le Code général des collectivités territoriales, sur le territoire polynésien, n’était pas forcément adapté à ce que l’on peut faire dans ce domaine. Et effectivement, l’article 43 du statut va évoluer dans le sens que je souhaitais. »
 
Justement quelle appréciation portez-vous sur les demandes de défusion de communes comme à Hitia’a ou Tautira ?
 
« Pour moi, ce sont des considérations qui sont politiciennes et qui ne correspondent pas à l’intérêt général de la Polynésie. »
 
Comment se traduit concrètement cette volonté de « différenciation » en Polynésie ?
 
« Si on a une relation confiante entre l’Etat et la collectivité, on peut ajouter à la construction de cette relation des projections de pluriannualité sur les grands enjeux. Autrement dit faire aboutir les schémas directeurs. (Le SAGE, le schéma directeur sanitaire et social et le schéma directeur du numérique). Tout ce qui est mis en œuvre dans un schéma directeur est porteur d’avenir. Pourquoi ? Parce que dans un contexte de capacités budgétaires restreintes, la collectivité doit démontrer la mise en perspective de ces politiques publiques sur le long terme. Et donc on rassure l’Etat sur la dévolution budgétaire. C’est pourquoi, la stabilité politique du territoire est importante, parce qu’elle permet ces reflexions pluriannuelles. »
 
Et on imagine que l’Etat se satisfait de cette « stabilité politique » ?
 
« L’objectif, c’était d’accompagner la stabilité politique et la stabilité économique de ce territoire. Avec Edouard Fritch, on a changé de système. J’espère qu’à l’avenir, compte-tenu de ce nouvel état d’esprit avec une approche beaucoup plus moderne, on aura moins de difficultés judiciaires. »
 
Les relations au plan local sont donc bonnes avec l’actuel gouvernement ?
 
« Oui et il faut le souligner, la relation personnelle est importante. Il est nécessaire qu’il y ait une relation personnelle forte entre le haut-commissaire et le président du Pays. De manière à ce qu’il y ait une transparence et une confiance, chacun dans ses compétences. Quand le président du Pays et le haut-commissaire sont en phase, les gens qui travaillent autour de nous le sentent et travaillent de la sorte. Il y a un mimétisme entre la relation entre les chefs et la relation entre les services. Il ne faut pas le nier, c’est humain. Ca s’est passé comme ça depuis trois ans et j’en suis très heureux, car cela a accompagné l’intéret général au bénéfice des Polynésiens. »
 

"On ne reste pas trois ans dans un territoire comme celui de la Polynésie sans en être marqué"

Comment voyez-vous les demandes d’évolutions statutaires proposées par l’opposition, Tahoeraa et Tavini, pour la Polynésie ?
 
« Je ne peux pas avoir d’avis sur ce que pourrait devenir ce territoire. Je crois qu’il faut que les Polynésiens réfléchissent bien à ce qu’ils veulent. La République est très heureuse d’avoir la Polynésie en son sein. Et les Polynésiens se détermineront par rapport aux propositions politiques qui leurs seront faites, mais ce n’est pas au haut-commissaire de se prononcer sur cette question. »
 
Le sujet du nucléaire est toujours très présent et sujet de crispations vis à vis de l’Etat…
 
« Je crois qu’il y a deux choses distinctes. Il y a l’indemnisation des victimes sur laquelle les choses se sont éclaircies. On peut critiquer les évolutions de la loi Morin. On peut considérer que c’est insatisfaisant, comme je l’entends parfois dans les associations qui portent cette cause. Mais ce que l’on peut dire, c’est qu’aujourd’hui les choses sont plus claires. Et surtout, elles sont accompagnées de façon très favorables par le président du Civen très impliqué. Le deuxième volet est plus structurel et global. C’est la reconnaissance du fait nucléaire. Je crois que de ce point de vue, les débats parlementaires sur le toilettage du statut ont été une bonne chose pour la Polynésie. Maintenant, le centre de mémoire doit être la matérialisation de cette reconnaissance du fait nucléaire. Et il doit être un outil d’apaisement. »
 
D’un point de vue plus personnel, que retiendrez-vous de la Polynésie ?
 
« On ne reste pas trois ans dans un territoire comme celui de la Polynésie sans en être marqué. Il y a ici une conception de la vie, une dématérialisation de la vie qui est salutaire. Le plus remarquable dans la nature humaine polynésienne, c’est la solidarité et l’authenticité. Je crains malheureusement que l’influence de la mondialisation et des réseaux sociaux joue contre la richesse sociologique et culturelle des gens qui l’habitent. En le rapprochant d’une influence un peu déclinante des églises et de la famille. Pour ma part, je pense à une phrase de Claude Lévi-Strauss, qui a été un ethnologue de grande renommée, notamment pour ses observations au Brésil. Quand il s’immergeait dans les peuple, il disait : « j’espère ne laisser aucune trace parce qu’elle abimerait. Simplement des souvenirs et les meilleurs si possible ». Cette richesse, il faut la préserver. Je ne suis pas un homme mondain. Je n’ai pas couru les réseaux tahitiens parce que je pense que ce métier ne s’exerce bien que lorsqu’on a une certaine distance et une neutralité. Or la forte insularité de la Polynésie fait que votre vie personnelle est interprétée dans les décisions que vous prenez. J’ai essayé d’être proche des Polynésiens quand ils voulaient bien me rencontrer, tout en me tenant à l’écart des vieux réseaux d’influence. Je ne l’ai pas voulu dès mon arrivé. Ca m’a laissé beaucoup de liberté. »

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 28 Mai 2019 à 22:01 | Lu 2469 fois