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​Nuihau Laurey : "Il faudra renouveler notre classe politique"


Tahiti, le 1er mars 2021 – Alors que A Here ia Porinetia a débuté la semaine dernière ses tournées communales à Tahiti, le représentant non inscrit, ancien vice-président et sénateur, Nuihau Laurey, détaille dans une interview à Tahiti Infos le positionnement de son mouvement politique, expose ses divergences avec le Tapura d'Edouard Fritch et confirme sa volonté de présenter des candidats aux législatives de 2022 et aux territoriales de 2023. 
 
Votre mouvement politique A Here ia Porinetia a entamé la semaine dernière une série de "tournées dans les communes". Quel est l'objectif de ces réunions ?
 
"Tout d’abord, ce ne sont pas des grandes réunions publiques. Ce sont des réunions d’informations auprès de personnes qui se sont manifestées depuis plusieurs mois pour comprendre notre démarche politique, réfléchir à la crise sanitaire et économique qui nous touche et apporter des propositions pour en sortir."
 
Quel est le positionnement politique de A Here ia Porinetia ? Vous rassemblez aujourd'hui des élus autonomistes, mais en quoi vous différenciez-vous du Tapura huiraatira d'Edouard Fritch ?
 
"Nous pensons que le président Fritch n’a pas compris à quel point cette crise doit nous amener à changer notre vision de la Polynésie. Nous avions proposé une gestion radicalement opposée de la crise en suggérant un emprunt massif pour soutenir le tourisme tout en permettant au reste de l’économie de fonctionner. Nous avions cité les exemples de la Nouvelle-Calédonie ou de la Nouvelle-Zélande qui avaient fait des choix comparables. Le président avait rejeté violemment l’idée d’un emprunt pour changer d’avis quelques mois plus tard alors que la situation avait déjà dégénéré. Aujourd’hui il nous propose un plan de relance qui change tous les mois et qui comprend en réalité tous les projets qui figuraient déjà dans les budgets du pays de 2018, 2019 et 2020. Le président répète sans arrêt que plus rien ne sera jamais comme avant et il nous propose les vieilles recettes d’avant, investissements publics traditionnels, emplois aidés à connotation politique, subventions, tout cela aiguillé par le fait du prince. Nous pensons que notre économie doit être libérée de nombreux freins administratifs et fiscaux, que notre administration doit être réduite à ses missions essentielles pour coûter moins cher et pour permettre à tous les Polynésiens qui le souhaitent de créer des activités, des emplois, d’entreprendre. Nous pensons qu’il est nécessaire de repenser la relation entre le gouvernement et les communes pour que celles-ci soient plus libres financièrement de leurs choix et que les subventions du Pays ne soient plus un instrument de soumission politique. Nous ne pouvons plus être une économie publique, subventionnée, dirigiste qui étouffe probablement sans s’en rendre bien compte de nombreuses initiatives qui sont pourtant la source de notre développement futur."
 

"Parler de l’avenir de la Polynésie avec Gaston Flosse est toujours stimulant"

Vous sembliez proche du Tahoera'a de Gaston Flosse ces derniers mois, avant le départ de Vaitea Le Gayic de votre groupe. Comment expliquez-vous cette rupture ?
 
"Oui, nous avions fait campagne ensemble pour les élections sénatoriales et Gaston Flosse nous avait permis de créer un groupe politique à l’Assemblée. Parler de l’avenir de la Polynésie avec Gaston Flosse est toujours stimulant. Il n’est jamais à court d’idées et d’initiatives. Mais il a aussi les défauts de ses qualités et garder sa liberté de penser et de choisir face à lui passe aussi par des périodes de froid."
 
Quelle est la position de A Here ia Porinetia sur le projet de statut d'Etat associé proposé par Gaston Flosse depuis plusieurs mois ?
 
"C’est une des options parmi d’autres dans l’évolution institutionnelle possible de la Polynésie française. L’ancien ministre de la justice Jean-Jacques Urvoas avait rédigé il y a quelques années un article qui présentait des nombreux systèmes institutionnels existants et possibles. L’actuel ministre des Outre-mer vient même de s’exprimer sur la nécessité de trouver un nouveau projet institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas un sujet tabou mais nous pensons que la gravité de la crise actuelle doit nous amener à nous concentrer prioritairement sur les moyens de résoudre la crise économique et sociale qui sera profonde malheureusement."
 
Sur un autre versant de l'échiquier politique, comment se positionne votre mouvement vis-à-vis de la démarche du Tavini huiraatira à l'ONU ?
 
"Encore une fois l’évolution institutionnelle n’est pas un sujet tabou pour notre groupe politique, mais je pense que les Polynésiens attendent aujourd’hui des réponses concrètes et immédiates à cette crise profonde que nous traversons. Le Tavini a toujours milité pour l’indépendance et son action politique est conforme à son projet, y compris dans son travail d’influence à l’ONU. Si la Polynésie doit devenir indépendante, ce sont les Polynésiens qui le déciderons démocratiquement."
 

"La crise sanitaire aura un impact profond sur nos sociétés"

Vous défendez depuis plusieurs semaines une proposition d'exonération d'impôt pour les entreprises qui ont perdu 30% de leur chiffre d'affaires depuis le début de la crise Covid, expliquez-nous ?
 
"Dans tous les secteurs d’activité, de nombreuses entreprises ont subi une baisse importante de leur activité. Elles ont parfois dû licencier. Elles se sont parfois endettées. Leur trésorerie est asséchée. Cette situation exceptionnelle n’est pas de leur fait, et exiger d’elles qu’elles paient l’impôt comme si tout était normal, alors que certaines risquent de fermer, est surréaliste. Pour nous, la solution n’est pas de repousser la date de paiement de l’impôt, par divers moratoires, mais d’exonérer par la loi les entreprises qui sont le plus durement touchées. Et pour financer une telle mesure, nous considérons qu’il faut réduire résolument les dépenses publiques, les subventions non essentielles, le train de vie du gouvernement, les dotations aux institutions… Quand le pays va mal, il est normal que ceux qui sont le moins touchés contribuent aussi à l’effort public. Nous l’avions bien fait en 2013."
 
Vous êtes également favorable à la mise en place d'une caisse chômage. Concrètement, est-ce possible pendant cette période de crise et comment fait-on pour la financer ?
 
"Il existe déjà près d’une dizaine de dispositifs destinés au soutien à l’emploi, tous différents les uns des autres, incompréhensibles pour beaucoup. Certains dispositifs conduisent très peu à une insertion professionnelle. Il est peut-être temps de simplifier et de rendre plus efficace tout cela. L’assurance-chômage existe dans de nombreux pays, petits ou grands, car toutes les sociétés ont besoin d’un amortisseur social en situation de crise comme nous le vivons aujourd’hui, mais aussi pour faire face aux accidents de la vie professionnelle en temps normal. Cette crise nous enjoint d’accélérer le mouvement, en sachant que ce dispositif doit naître d’un difficile consensus entre les partenaires sociaux que le gouvernement doit impulser."
 

"Notre porte reste ouverte à tous les élus qui partagent notre vision politique"

Vous confirmez que vous présenterez des candidats aux législatives de 2022 et aux territoriales de 2023 ?
 
"Oui."
 
Avez-vous déjà des candidats pour ces deux élections ?
 
"Nous essayons de pousser des hommes et des femmes de tous les horizons à s’intéresser à la chose publique. Beaucoup de nos concitoyens sont malheureusement très critiques de la politique et des élus, mais comme nous leur disons, si vous ne vous occupez pas de politique, la politique s’occupera de vous et pas forcément dans le sens que vous voudriez. Nous sommes persuadés que la crise sanitaire aura un impact profond sur nos sociétés, ici comme ailleurs et que pour adapter notre modèle de société, pour offrir de vraies chances de réussite à nos enfants, il faudra renouveler notre classe politique. C’est le pari difficile que nous faisons."
 
Vous n’avez désormais plus de groupe à l’assemblée. N’est-ce pas plus difficile pour exister sur la scène politique ?
 
"Oui, c’est plus difficile. Les groupes politiques représentés à l’Assemblée disposent de moyens qui sont essentiels pour pouvoir porter un message politique, pour être audibles, pour être visibles. Notre porte reste ouverte à tous les élus qui partagent notre vision politique et nous voulons qu’ils considèrent que proposer autre chose que ce que propose le gouvernement n’est pas un crime. C’est cela notre travail d’élus."
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 2 Mars 2021 à 16:07 | Lu 3522 fois