Tahiti Infos

​La CTC plonge dans le maquis du transport maritime interinsulaire


PAPEETE, 3 juillet 2019 - La chambre territoriale des comptes brosse un tableau critique du secteur du transport maritime interinsulaire dans un rapport d’observations définitives sur la période 2014 à 2018, que révèle Tahiti Infos.

En Polynésie française, le transport interinsulaire représente un peu moins de 440 000 tonnes de marchandises et de matériaux transportés en 2018 et près de 50 000 passagers (hors îles du Vent), principalement au sein de l’archipel de la Société. C'est la colonne vertébrale du fonctionnement économique de la collectivité. Cette activité représente un chiffre d’affaires de l’ordre de 10 milliards de Fcfp en 2016, que se partagent 14 compagnies maritimes et leurs 24 navires de commerce, avec un maillage de dessertes censé couvrir l’essentiel des 5 millions de km2 du territoire maritime du fenua.

La chambre territoriale des comptes (CTC) se penche pour la première fois sur le transport public interinsulaire en s'intéressant aux exercices 2014 à 2018. Un premier rapport d’observations définitives dans lequel sont formulées une dizaine de recommandations.

La juridiction financière y note avec satisfaction les actions engagées par le Pays, depuis 2015, pour encadrer ce secteur d’activité vital pour la cohésion polynésienne, bien que quasi exclusivement opéré par des compagnies privées. Une entreprise politique pour la fixation d’un cadre juridique rénové, imposé aux armateurs entre 2016 et fin 2018, dont les errements montrent, selon la CTC, "la difficulté pour la collectivité à faire valoir sa légitimité dans la structuration d’un secteur qui s’est développé, depuis plus de 40 ans, de manière empirique, en se reposant quasi-exclusivement sur l’initiative privée".

En 2015, schéma directeur des déplacements durables interinsulaire a défini trois objectifs de politique publique : garantir la continuité territoriale, promouvoir la cohésion sociale en permettant le désenclavement des archipels et le développement économique, et enfin, inscrire cette activité dans une perspective de développement durable. Mais ce texte cadre n’est toujours pas adopté par l’Assemblée, constate aussi la Chambre. La juridiction financière relève également la grande variété de statuts et de compétences qui règne dans le monde des gens de mer. Elle estime qu’une "réforme d’envergure s’impose", tant au niveau du Code du travail que des qualifications.

S’agissant des installations portuaires, la CTC constate que l’état général des installations est variable à travers le pays, certaines s’avérant particulièrement dégradées. En dépit de cela, aucune programmation raisonnée et argumentée des opérations de réhabilitation et de maintenance, n’est mise en place. Situation matérielle à laquelle s’ajoute un problème de compétence en matière d’autorité, dans les archipels éloignés. La chambre recommande en conséquence la mise en place d’une autorité portuaire conforme aux normes et règlements, et dotée de tous les moyens nécessaires pour le bon accomplissement de toutes ses missions.

La chambre s'intéresse également à l'activité du fret et des aides allouées par le Pays dans le cadre de sa prise en charge. Une réforme globale du système de prise en charge et la modernisation des outils de contrôle sont préconisés, entre autres recommandations, dans ce rapport d'observations définitives de 64 pages visiblement animé par un souci d'amélioration de la situation actuelle du secteur des transports maritimes polynésiens.

​Un schéma directeur toujours pas adopté par l’assemblée

Le schéma directeur des déplacements durables interinsulaires de la Polynésie définit une nouvelle stratégie de pilotage des transports pour les années 2015-2025. Il a été arrêté en conseil des ministres le 23 septembre 2015, mais tarde toujours à être présenté à l’examen des représentants de Tarahoi. Une situation que déplore la CTC dans son rapport d’observations définitives, en constatant qu’à ce jour ce texte cadre se borne "à alimenter les travaux du Schéma d’aménagement général de la Polynésie française (SAGE). Toutefois, au regard des délais d’adoption du SAGE, initié depuis 1984, relancé en 2016 mais sans concrétisation à ce jour, des enjeux de la politique des transports interinsulaires et de la difficile mise en œuvre du schéma directeur, la chambre invite [le Pays] à ne pas en différer davantage l’adoption par l’APF, afin d’en souligner le caractère prioritaire."

 La chambre invite la collectivité à étudier avec pragmatisme le bien-fondé de la corrélation du SAGE et du schéma directeur des déplacements, afin de ne pas prendre de retard dans le développement des transports maritimes interinsulaires.

Le maquis des infrastructures portuaires

Sur les 101 îles équipées d’infrastructures maritimes, on recense 29 darses, 104 débarcadères, 32 jetées, 61 quais, deux rampes, quatre ouvrages naturels et 34 "installation indéterminées" (sic). Mais "il n’existe aucune évaluation d’ensemble de ces ouvrages, ou, à tout le moins, des ouvrages structurants. Par évaluation d’ensemble, il faut entendre une étude de chacun des équipements permettant d’engager la Collectivité dans une programmation raisonnée et argumentée des opérations de réhabilitation et de maintenance", déplore la CTC qui estime à 20 ans le temps nécessaire à une évaluation exhaustive.

"A ce jour, seules les installations les plus importantes des archipels de la Société et des Marquises ont pu faire l’objet d’un diagnostic technique. Pour l’ensemble des autres installations, l’arrondissement maritime [de la direction de l’Equipement, NDLR] détient uniquement un fichier de recensement qui ne saurait se substituer à l’état des lieux prévu dans le plan d’actions du schéma directeur", alors que "si certaines sont dans un état relativement satisfaisant, d’autres s’avèrent particulièrement dégradées « terre-pleins défoncés », inadaptées aux débarquements, « tirant d'eau limité, longueur de quai insuffisant, signalétiques défaillantes », conduisant à des opérations de débarquement, d’embarquement et de manutention risquées".

​Le maquis des gens de mer

En 2018, le transport maritime interinsulaire était opéré par 21 navires privés issus de 14 compagnies ou sociétés d’armateurs, en plus des navires de la flottille administrative. L’armement des navires est assuré par les gens de mer, au nombre de 500 environ en activité en 2018.

"La structuration du secteur ne semble pas avoir bien pris la mesure de la situation des gens de mer, marins et autres, qui arment les navires. Dans le silence du code du travail de la Polynésie, le cadre juridique appliqué repose sur un maquis de textes à la pertinence contestable", constate la CTC en soulignant l’urgence d’une "réforme d’envergure" pour étoffer le secteur du maritime de "personnel navigant qualifié pour armer les navires, et pas seulement des bâtiments aux normes ou des installations portuaires en état de fonctionnement".

​Le maquis des "autorités portuaires"

En dehors des ports de Papeete, Vaiare et Uturoa, administré par l’EPIC Port autonome de Papeete, l’autorité portuaire devrait être exercée par l’administration et se trouve confiée à la Direction de l’Equipement, sans qu’elle en ait ni l’effectif, ni les moyens, pour les 263 installations réparties sur le territoire polynésien, et sans cadre juridique, constate la CTC. "En l’absence d’agents de la DEQ dans certaines îles, les maires des communes ou toute autre autorité présente, tout aussi dépourvus de qualifications pour coordonner ces opérations, font leur affaire de l’organisation de l’utilisation des plans d’eau sans toutefois détenir formellement cette compétence", constate la juridiction financière en recommandant au Pays de "mettre en place le dispositif réglementaire de circulation et d’utilisation des plans d’eau et des infrastructures dont il a la responsabilité".

RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Actualiser, dans les délais les plus brefs, la réglementation encadrant la vente à bord et analyser son organisation dans le cadre d’une étude socio-économique.

Recommandation n° 2 : Mettre en œuvre formellement le suivi du schéma directeur et la coordination des services qui en ont la charge.

Recommandation n° 3 : Clarifier les missions des instances nouvellement créées et mettre en œuvre, d’ici fin 2019, les conditions d’évaluation de cette politique publique en assortissant les actions à mener des indicateurs afférents.

Recommandation n° 4 : Définir, dès l’exercice 2020, un programme de recensement réaliste et adapter les moyens des services impliqués afin d’établir un état des lieux opérationnels des installations.

Recommandation n° 5 : Identifier formellement, dès 2019, une autorité portuaire pour les infrastructures ne relevant pas du Port autonome de Papeete, en lui garantissant les conditions et les moyens d’exercer les compétences afférentes.

Recommandation n° 6 : Mettre en place, dès 2019, le dispositif réglementaire encadrant l’utilisation des plans d’eau et des infrastructures portuaires relevant du Pays.

Recommandation n° 7 : Engager une réforme d'ensemble du système de prise en charge du fret interinsulaire en prévoyant la modernisation des dispositifs de contrôle.

Recommandation n° 8 : Engager sans délai le développement de la formation aux métiers de marin et faciliter la montée en compétence des marins en exercice.

Recommandation n° 9 : Créer sans délai un corpus juridique moderne afférent aux conditions d’emploi et au statut des gens de mer.

Recommandation n° 10 : Respecter les règles d’octroi des congés et des indemnités fonctionnelles des agents affectés à la Flottille administrative.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 3 Juillet 2019 à 16:02 | Lu 2691 fois