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Les habitants de la léproserie d'Orofara à cœur ouvert


Une centaine de personnes vivent aujourd'hui au sein du village d'Orofara.
Une centaine de personnes vivent aujourd'hui au sein du village d'Orofara.
MAHINA, le 14/07/2016 - Chaque année, les quartiers de Mahina prennent en charge l'organisation du Mini-Heiva. Cette année, c'est le village d'Orofara, une léproserie, qui a la lourde tâche de mettre en place cet événement qui rassemble plus d'une centaine de jeunes de la commune. Les fonds récoltés durant les différentes soirées serviront à financer un voyage culturel à Hawaii pour une trentaine de personnes d'Orofara. Nous vous proposons de découvrir la vie au sein du village.

Le regard des autres n'est pas évident à supporter pour les habitants du village de léproserie d'Orofara. Aujourd'hui, ils sont une centaine de personnes à résider en ces lieux, un quartier "calme", comme ils aiment à le répéter. La solidarité est le maître-mot du village, ce qui fait sa spécialité.

Actuellement, le village compte encore quatre malades. "Ils vivent comme les gens normaux, même si ce n'est pas évident pour eux de se promener avec leur maladie, parce qu'ils sont difformes. Ils ont le visage, les mains ou les pieds déformés", explique Patricia, résidente au sein de cette léproserie depuis 1998.

Patricia a été accueillie par la chef du village, Agnès Parker. Courageuse et déterminée, cette jeune femme "normale" n'a pas eu de grandes difficultés à côtoyer les malades encore vivants. "Je travaille beaucoup avec eux", confie-t-elle. Sans aucune formation médicale, Patricia a partagé de bons moments avec deux des malades dont elle avait la charge. "Même quand ils préparent leur repas et qu'ils m'invitent, eh bien j'accepte et cela ne me fait rien du tout".

LES MALADES SONT DELAISSES

Après 18 années de vie au sein du village, elle estime que les malades sont assez délaissés par le gouvernement. "À l'époque, nos malades recevaient de l'eau, du beurre frais, du café, du sucre, du lait et du thé ainsi que les repas du midi et du soir. Aujourd'hui, il n'y a plus rien, cela s'est arrêté vers les années 2000".

Parmi les malades, on retrouve Teiki, 75 ans. Il vivait à Nuku Hiva jusqu'à ses 12 ans et il a intégré la léproserie dans les années 1950. "J'ai attrapé cette maladie, selon ma mère adoptive, par sa sœur", se rappelle-t-il. "Elle jetait ses garnitures sous la maison familiale, qu'elle mettait dans une noix de coco. Un jour, avec les enfants du village, nous jouions et certains ont récupéré ce coco qu'ils ont nettoyé et nous l'avons mangé. Au début, nous ne faisions pas attention et ce n'est qu'après que les médecins ont détecté que j'avais attrapé cette maladie, j'étais le seul à l'avoir attrapée. Leur sang était bon alors que le mien était plus fragile, donc j'étais plus susceptible d'attraper facilement des maladies", poursuit-il. Dans son récit, Teiki explique à demi-mot une partie de sa vie au sein du village, à l'époque. "Il y avait en bord de route, une infirmerie et une salle de cinéma."

Depuis son entrée à Orofara, Teiki n'a plus remis les pieds sur la terre de ses ancêtres. Aujourd'hui, il vit en couple avec une femme atteinte, elle aussi de cette maladie. Tous les deux vivent de la sculpture, comme beaucoup d'autres habitants d'ailleurs. En face de la petite cabane de Teiki, vit un autre marquisien surnommé Ah-Scha. Il réside depuis plus de dix ans dans ce village, "ma maman vivait ici avant de décéder en 2005", prévient-il. "Malgré sa maladie, je la traitais comme une personne normale. Elle avait un mental d'acier pour les tâches de la vie. Mais le plus dur pour elle, ce n'était pas sa maladie mais les dialyses qu'elle devait faire jusqu'à son dernier souffle."

Ah-Scha fait partie des grands sculpteurs marquisiens du fenua, et vivre quotidiennement au contact des malades, lui a fait prendre conscience de l'importance de la vie. "J'ai le matériel adéquat pour faire de la sculpture et quand je regarde les malades travailler cela me touche, parce qu'il y en a qui n'ont pas de doigts et ils arrivent à faire des chefs-d'œuvre."

"NOUS SOMMES LES OUBLIES"


Pour les ragots ou encore les médisances à l'égard de ces malades, Teiki préfère n'y prêter aucune attention. Mais ce qui le chagrine aujourd'hui est la situation dans laquelle les habitants d'Orofara sont traités. "Durant les intempéries du mois de décembre, nous avons perdu nos ponts", prévient-il. Certaines habitations ont été inondées, "seuls les sinistrés de Ahonu, Papenoo et Tiarei ont eu de l'aide, alors que nous, nous n'avons rien eu. Je ne comprends pas, peut-être que c'est parce que ce sont des lépreux. Nous sommes les oubliés."

Autre constat, les millions injectés dans l'aménagement du futur cimetière d'Orofara. "J'ai vu sur la pancarte qu'ils ont mis 80 millions juste pour le futur cimetière. Pourquoi, ils ne mettent pas quelques millions pour refaire nos habitations ?", s'interroge-t-il.

Selon le maire de Mahina, Damas Teuira, le Pays a projeté de réhabiliter ce village. "Durant une commission, le représentant du ministère du Logement a indiqué que les habitations d'Orofara seront reconstruites. Il faudra d'abord déloger les résidents dans des logements provisoires qui seront installés plus en hauteur, afin de permettre la réhabilitation totale de leurs habitations." Aucune précision par contre, sur le lancement de ce projet et sur la durée des travaux. Malgré tout, c'est une bonne nouvelle pour les habitants qui attendaient cela depuis plusieurs années.

Si parmi eux, on retrouve pour la plupart des familles de malades, il y a également des couples qui ont décidé de s'y installer. C'est le cas d'Hélène et sa petite famille, ils vivent à Orofara depuis 2001, ils s'occupent notamment du fonctionnement de la chapelle. "Avant, j'habitais à Papenoo dans une maison à louer, mais les propriétaires devaient la retaper donc on est sortis. Mon mari qui joue à la pétanque côtoie beaucoup de monde et c'est comme cela que nous avons trouvé cet endroit pour vivre." Hélène avoue que ses débuts au sein du village n'ont pas été évidents. "Au début, j'avais peur et j'avais honte aussi. Quand j'allais en ville, je prenais le truck, mais pour revenir je ne voulais pas m'arrêter devant. Je demandais à ce qu'il s'arrête avant ou après le village pour que personne ne sache où j'habitais". Avec le temps, Hélène s'est rendue compte de son erreur. "J'ai appris à bien connaître les villageois et les malades et j'ai compris qu'il n'y avait pas de honte à avoir. Ils étaient peut-être malades, mais ils sont généreux et nous avons appris beaucoup de choses avec eux. Ils ne sont pas méprisables, au contraire, c'est notre mentalité qui est honteuse."

Aujourd'hui, les mœurs ont beaucoup évolué. N'importe quelle personne peut se rendre au village d'Orofara. D'ailleurs, l'association "Te U'i no Orofara" organise cette année le Mini-Heiva i Mahina, une tâche que chaque quartier accomplit d'année en année. Durant les différentes soirées de concours et de chants, les fonds qui seront récoltés serviront à financer un voyage culturel à Hawaii pour une trentaine d'habitants d'Orofara. "Ce sera la première sortie du village. Normalement, on devait aller visiter la léproserie sur Molokai, mais ce n'est pas accessible à tout le monde, donc on fera un voyage culturel", précisent Patricia et Hélène.

Le souhait des membres du bureau de l'association est de réaliser ce projet avant "que nos derniers malades ne décèdent".

À l'époque, ces lieux étaient interdits au public. La léproserie compte encore quatre malades. Il y a deux ans, la Polynésie célébrait le centenaire de ce lieu historique
À l'époque, ces lieux étaient interdits au public. La léproserie compte encore quatre malades. Il y a deux ans, la Polynésie célébrait le centenaire de ce lieu historique

Teiki a intégré la léproserie à ses 12 ans. Avec sa compagne, atteinte également de la maladie, ils vivent de la sculpture.
Teiki a intégré la léproserie à ses 12 ans. Avec sa compagne, atteinte également de la maladie, ils vivent de la sculpture.

Teiki Ah-Scha, fils d'une malade décédée en 2005, vit toujours à Orofara.
Teiki Ah-Scha, fils d'une malade décédée en 2005, vit toujours à Orofara.

La sculpture, le gagne-pain de plusieurs familles d'Orofara
La sculpture, le gagne-pain de plusieurs familles d'Orofara

Avec le temps, les maisons se dégradent. Selon le maire de Mahina, le Pays envisagerait de tout remettre en état.
Avec le temps, les maisons se dégradent. Selon le maire de Mahina, le Pays envisagerait de tout remettre en état.

Lors des intempéries du mois de décembre, le pont à l'entrée du village d'Orofara a été détruit. Jusqu'à ce jour, rien n'a été fait. Les habitants se sentent mis à l'écart.
Lors des intempéries du mois de décembre, le pont à l'entrée du village d'Orofara a été détruit. Jusqu'à ce jour, rien n'a été fait. Les habitants se sentent mis à l'écart.

le Jeudi 14 Juillet 2016 à 12:09 | Lu 4804 fois