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Technival met son “or vert” à l’épreuve des agriculteurs


Technival mise sur l’agriculture pour booster sa filière de compostage (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Technival mise sur l’agriculture pour booster sa filière de compostage (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 2 décembre 2025 - La société Technival a lancé des essais agronomiques auprès de plusieurs agriculteurs pour expérimenter les bienfaits du compost sur différents types de cultures. Les objectifs sont multiples et complémentaires : mettre l’accent sur la valorisation des déchets verts face à la saturation de la plateforme de compostage de Taravao en apportant une alternative locale et durable à la fertilisation des sols.
 

Ce projet, évoqué lors des ateliers organisés à l’occasion des 40 ans de la Tahitienne des services publics (TSP), mérite qu’on s’y attarde. Chaque année, la société Technival réceptionne 100 000 m3 de déchets verts sur ses deux plateformes de broyage de Tipaerui et Punaruu. À l’issue de cette première étape de traitement, 30 000 m3 sont pris en charge sur le site de compostage de Taravao, qui produit jusqu’à 8 000 m3 de compost par an au terme de quatre à six mois de dégradation naturelle par fermentation. Malgré une montée en température pour “hygiéniser” le compost, assortie de plusieurs garanties environnementales, cet “or vert” n’est pas pris d’assaut par les consommateurs.


Un cercle vertueux


Une équation qu’une jeune équipe de Technival tente de résoudre en misant sur des essais agricoles à l’intention des professionnels. “La genèse du projet, c’est la saturation de nos sites avec beaucoup de gisements entrants, une demande croissante des communes et un besoin de sécuriser l’écoulement des produits finis. Et le constat, d’autre part, que l’agriculture locale est très dépendante des intrants chimiques importés, mais utilise finalement peu nos produits”, explique Jade Tetohu, chargée de projet. “Si on écoulait davantage notre production, on pourrait absorber le gisement d’autres communes qui sont aujourd’hui dans l’attente qu’on puisse accepter leurs déchets verts pour proposer une alternative au brûlage”, précise Ariinui Prout, responsable de développement. Actuellement, les déchets verts traités par Technival ne vont pas au-delà de la zone urbaine (Arue, Pirae, Papeete et Punaauia).
 
Les premiers essais ont été lancés cette année auprès de cinq agriculteurs, avec différents dosages au mètre carré sur plusieurs types de cultures (maraîchage, vivrier, arbres fruitiers, etc.) sous forme de parcelles de démonstration incluant une parcelle témoin. Cette mission de terrain a été confiée à Florent Permentier, stagiaire ingénieur agronome à Montpellier SupAgro : “On s’intéresse aux différentes problématiques des agriculteurs. Certains ont du mal à faire pousser leurs plantes, d’autres veulent limiter les problèmes de désherbage ou font face au lessivage des sols à cause des fortes pluies. Je passe les voir à chaque étape-clé, de la livraison du compost à la récolte, et une fois par semaine pour faire un suivi au niveau de la croissance et des ravageurs ou des maladies.” Des tests et des analyses régulières complètent ces mesures. “L’objectif, c’est de sensibiliser à l’importance de la vie du sol et de démontrer qu’en Polynésie, il existe des produits qui peuvent l’alimenter”, souligne Ariinui Prout.


​Compenser les coûts


Mais économiquement, les agriculteurs sont-ils prêts à investir ? “C’est un coût supplémentaire pour une exploitation agricole, mais ce qu’on espère, c’est que les rendements, et donc les rentrées d’argent, soient meilleurs et que ça permette aussi de diminuer certaines charges, comme le désherbage”, remarque le responsable de développement. Si les essais sont concluants, la société Technival, adhérente du cluster associatif Valorga, envisage de s’inspirer du modèle calédonien en sollicitant un effort supplémentaire du Pays pour subventionner l’achat d’amendements organiques locaux à usage professionnel dans le cadre de la transition agroécologique. À titre indicatif, le “bigbag” d’un mètre cube est facturé 17 910 francs aux détenteurs de la carte de la Chambre de l’agriculture et de la pêche lagonaire (CAPL), envoi dans les îles compris, contre 19 900 francs en tarif public. Un prix qui tombe à 5 990 francs le mètre cube en vrac à récupérer sur place pour les agriculteurs, contre 11 491 francs en tarif public.
 
Dans l’immédiat, sous réserve de l’obtention d’une subvention européenne via le programme BestLife 2030, l’équipe de Technival envisage de doubler le nombre d’agriculteurs impliqués dans les essais en passant à une dizaine dès 2026. L’accent devrait notamment être mis sur la filière ananas à Moorea, mais aussi sur le café ou encore la canne à sucre. D’autres projets, dont la réalisation de fiches techniques et l’organisation de journées portes ouvertes, sont également au programme pour promouvoir les usages du compost à plus grande échelle.

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“C’est bénéfique de pouvoir expérimenter avec le compost qui nous est fourni. Au niveau du processus de livraison, l’épandage a représenté le plus gros travail, parce qu’on n’avait pas forcément le matériel adapté. Mais une fois cette étape passée, l’ajout de compost apporte beaucoup d’avantages. Je vois déjà la différence : il y a moins de mauvaises herbes, car la couche de compost limite l’enherbement, et la croissance des plants de taro est meilleure. Ce qui nous intéresse, c’est de voir les résultats au niveau du rendement : à vue d’œil, d’ici deux ou trois mois pour la récolte, il va être plus important que d’habitude. Faire soi-même son compost, ça suppose d’être équipé et d’y consacrer du temps, en plus de la durée de dégradation. (...) Le compost, ça devrait être la matière première de tout agriculteur : exploiter, c’est puiser, donc il faut rendre à la terre. Les déchets sont valorisés, donc la boucle est bouclée ! On a tout à y gagner.”

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Mardi 2 Décembre 2025 à 17:23 | Lu 1376 fois