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Les patrons dénoncent la « double peine » de la hausse du SMIG et de la fin du DARSE


Luc Tapeta
Luc Tapeta
PAPEETE, le 15 septembre 2015 - La fin du DARSE n’arrive pas par surprise, mais elle reste une très mauvaise nouvelle pour les patrons. Car avec une augmentation du SMIG et la suppression des aides sur les charges patronales, c’est le coût du travail qui explose dans les métiers qui font vivre les travailleurs les moins qualifiés.

Le DARSE, ou « Dispositif d'aide à la revalorisation du salaire minimum interprofessionnel garanti et de l’emploi », est une mesure adoptée en 2006 pour aider les entreprises à encaisser l’augmentation brutale du SMIG qui a été décidée à l’époque par deux gouvernements, Temaru puis Flosse. Mais il était établi que quand le SMIG atteindrait 150 000 Fcfp, elle s’arrêterait.

Ce seuil est enfin atteint, mais pour les patrons la fin de cette aide arrive au moment le plus inopportun, alors qu’elles commencent à peine à se relever de 10 ans de crise. D’autant que les négociations de ces derniers mois allaient vers une baisse du coût du travail, et que ce double effet automatique va au contraire augmenter leurs charges de milliers de francs par salarié. Parole aux patrons.


Le spécialiste du DARSE au MEDEF veut une négociation

Luc Tapeta est l’ancien président du MEDEF, un ancien président du conseil d’administration de la CPS et spécialiste du sujet :

« Pour rappel, le DARSE est une mesure d’amortissement qui avait été mis en place après deux augmentations successives du SMIG faites en dehors de toute considération économique, si ce n’est pour faire plaisir aux électeurs et aux syndicats. Elle avait déjà bien diminué au fil des années et des restrictions budgétaires, et il est normal qu’elle disparaisse dans le temps, mais aujourd’hui n’est peut-être pas le bon moment. Car aujourd’hui les entreprises sont dans une optique de maintien de l’emploi.

Le contexte est difficile et les entreprises sont dans une logique de survie. Si nous étions dans une économie florissante, à la limite on pourrait l’absorber, mais là… Il faudrait en discuter entre partenaires sociaux, peut-être repousser cette suppression en attendant la reprise. Surtout que les secteurs concernés, c’est l’hôtellerie, le gardiennage, le nettoyage, qui emploient des personnes qui n’ont pas de diplômes. Les donneurs d’ordre dans ces secteurs, ceux qui passent les commandes, ont des formules automatiques pour calculer les augmentations de prix qu’ils acceptent, qui ne tiennent pas compte de la suppression du DARSE. Ils ont déjà modifié leurs comportements, commandant moins de jours de ménage, faisant garder les bâtiments simplement la nuit… Ils ne pourront pas s’adapter à une augmentation des coûts.

La conjoncture n’est pas favorable, mais l’augmentation du SMIG est mécanique, il faut appliquer la loi. Par contre, sur le DARSE il faut discuter. Le budget est déjà voté jusqu’à la fin de l’année, donc il n’y a pas urgence. On pourrait lisser l’effet dans le temps. Là il y a un effet ciseau au pire moment, surtout dans les hôtels où il y a beaucoup d’employés au SMIG
. »


« Qu’on supprime le DARSE et dans un petit hôtel c’est un emploi qu'il faudrait supprimer »

Justement, pour l’hôtellerie nous avons interrogé Christophe Faure, co-président du CPH (Conseil des Professionnels de l’Hôtellerie) et directeur financier du groupe Accor dans la région :

« Dans notre secteur, c’est quasiment la moitié des employés qui sont au SMIG, des plus petits aux plus gros hôtels. Qu’on supprime le DARSE, et dans une petite structure c’est un emploi qu'il faudrait supprimer pour conserver la rentabilité, même de deux à quatre emplois dans les plus gros hôtels. Évidemment nous n’allons pas supprimer des emplois, mais c’est pour vous donner l’idée de l’importance de cette mesure.

Ça fait des mois que nous en discutons avec le gouvernement, nous avions anticipé, mais rien n’était arrêté avant le changement de gouvernement. Parce que la CPS est aussi en difficulté. Nous avions plusieurs pistes, en particulier nous voudrions un allégement des charges sur les avantages en nature. Dans l’hôtellerie, nous nourrissons nos employés, et la réglementation veut que nous payions des charges sur ces repas, comme s’ils représentaient une heure de SMIG, donc 900 francs. Mais à coût réel, ce serait plutôt 350 ou 400 Fcfp. Rien que de payer des charges sur la valeur réelle, ça compenserait le DARSE dans l’hôtellerie et la restauration, et c’est une mesure qui existe déjà en métropole.

Avec l’augmentation du SMIG en plus, pour nous c’est la double peine. Nous discutons depuis des mois sur la diminution du coût du travail, et au lieu de ça on augmente le SMIG et on supprime le DARSE, ça va enfoncer la tête sous l’eau à ceux qui sont le plus en difficulté, et empêcher les autres d’embaucher.

Pour les suggestions… Évidemment, si on nous propose de prolonger le DARSE, on est preneurs, mais nous savons qu’il est condamné, nous cherchons une solution plus pérenne qui soit « gravée dans le marbre ». Dont ce fameux allégement sur les avantages en nature, qui parait logique puisqu’il s’agit juste de se baser sur la valeur réelle.

Aujourd’hui dans l’hôtellerie, avec l’augmentation du SMIG, ce sont les sept premiers niveaux/échelons de la grille de salaire qui sont écrasés au même niveau. Du plongeur tout juste embauché qui n’a pas d’expérience, à la réceptionniste trilingue, ils sont tous au SMIG. Avec cet écrasement, il n’y a plus de progression, c’est très démotivant pour le personnel. Notre souhait est de remettre de la différence entre les niveaux, sans baisser le SMIG. Nous pourrions négocier de nouvelles grilles de salaire avec les partenaires sociaux, en échange d’une baisse du coût du travail
. »

Quand on lui demande de réagir sur les chiffres de l’ISPF qui indiquent une augmentation du nombre de touristes de 11% au deuxième trimestre, le patron souligne : « Ces chiffres, c’est pour tout le tourisme, ceux qui viennent voir leurs amis, les croisiéristes, pas l’hôtellerie. Et même si le deuxième trimestre a été plutôt bon, 2 ou 3 % d’augmentation selon les chiffres du CPH, le premier trimestre a été très difficile. Depuis le début de l’année, sur Tahiti nous sommes à -8%, Bora Bora est stable, et il n’y a que Moorea qui soit en progression dans notre secteur. Heureusement, nous espérons une bonne fin d’année. »


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Dimanche 14 Septembre 2014 à 16:24 | Lu 2104 fois