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Victimes du nucléaire : "ce combat est loin d’être terminé" (Nathalie Arthaud)


PARIS, le 12 avril 2017. "Tout le passé montre que la vigilance doit rester de mise et que ce combat est loin d’être terminé", souligne Nathalie Arthaud, au sujet de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Statut, économie…, la candidate de Lutte ouvrière (LO) à la présidentielle détaille ses positions.

Quels sont vos objectifs en tant que candidate à la présidentielle ?
"Je tiens tout d’abord à souligner que je n’aspire pas à être élue présidente de la République, mais que cette campagne est pour moi l’occasion de faire entendre le camp des travailleurs, de porter un programme de lutte contenant les luttes nécessaires dont je ne doute pas qu’elles permettront d’inverser le rapport des forces en faveur des travailleurs et l’évolution réactionnaire de la société. Car c’est uniquement par une lutte collective et consciente la plus large que les exploités pourront en finir avec la domination de la bourgeoisie sur la société et toutes ses conséquences, et ce dans tous les domaines et sur tous les continents.

Le 17 mars, Édouard Fritch s'est déplacé à Paris pour signer avec le président de la République "l'accord de l’Élysée pour le développement de la Polynésie française", nouveau nom de l'accord de Papeete. Le document précise les orientations stratégiques des décennies à venir, en ce qui concerne les relations de la Polynésie avec la France. Suivrez-vous ces orientations ?
"Dans ce domaine comme dans bien d’autres, les promesses actuelles succèdent à d’autres restées lettres mortes. L’État français a refusé durant des décennies de reconnaître et encore plus d’assumer les conséquences des 193 essais nucléaires effectués en Polynésie, et plus particulièrement celles touchant les populations. La loi Morin de 2010, avait semblé ouvrir un peu la voie à une prise en compte des maladies et handicaps des victimes. Mais elle a mis en place des procédures complexes qui cachaient mal la volonté de l’État de ne pas donner satisfaction aux victimes. Les indemnisations versées ont été limitées par leur nombre et par leur montant. De nombreuses pathologies (pourtant reconnues par les Etats-Unis, eux-mêmes confrontés à ce douloureux problème) avaient enfin été écartées du dispositif.

Il y a à peine deux ans, le porte-parole de l’Observatoire des dispositifs de reconnaissance et d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avait déclaré que pour être indemnisé, il fallait « être assis sur un baril de plutonium sous le champignon nucléaire». C’est grâce à la mobilisation qu’une clause a été finalement introduite dans la loi dite Égalité réelle en février dernier. La caractérisation choquante de «caractère négligeable » des essais nucléaires dans l’apparition de certaines maladies a été supprimée, ce qui permettra une plus large indemnisation des victimes. Mais tout le passé montre que la vigilance doit rester de mise et que ce combat est loin d’être terminé."

Quelles sont les mesures fortes que vous mettrez en place outre-mer ?
"Les territoires ultramarins restent marqués par l’histoire coloniale et la façon dont les grandes entreprises en ont fait de véritables chasses gardées sur le dos des populations locales. Ces privilèges s’ajoutent à ceux que les grandes familles de colons s’étaient arrogés par le passé et que leurs descendants actuels prétendent maintenir. En Guyane, c’est d’autant plus choquant que la plus haute technologie, les joyaux de la recherche et de l’intelligence humaine du site de Kourou se dressent dans un territoire ravagé par le chômage et la misère, les logements insalubres ou le manque d’eau courante et d’électricité. C’est à l’image de toute cette société capitaliste que je combats et que je veux renverser : la misère et la précarité s’accumule pour la grande masse de la population tandis qu’une fraction infime de bourgeois amasse des fortunes. La moindre des choses serait de satisfaire les revendications telles que la population locale les exprime elle-même, et en premier lieu les exigences du monde du travail. Et si je suis solidaire bien entendu avec la lutte actuelle des Guyanais, j’espère que les travailleurs seront à même de faire valoir leur propre intérêts, leurs propres revendications de classe, y compris face aux notables locaux et à ceux qui, comme le Medef local, espère à travers cette mobilisation satisfaire ses seuls intérêts. Les objectifs des luttes futures que je porte dans cette campagne, l’interdiction des licenciements, la répartition du travail entre tous sans perte de salaire, pas un salaire en dessous de 1800 euros net et l’augmentation de tous les salaires de 300 euros réuniront je l’espère tous les travailleurs de part et d’autre des mers et des océans qui nous séparent.

Le tourisme au fenua est une activité économique très importante. Que ferez-vous pour favoriser son développement ?
"Sur cette question comme sur bien d’autres, la réponse doit revenir à la population elle-même. Tout l’essor du tourisme de masse dans certains pays pauvres montre qu’il est loin en effet d’apporter un réel développement économique répondant aux intérêts des travailleurs, des pêcheurs ou de la petite paysannerie. Il sert trop souvent les intérêts des grandes sociétés de ce secteur peu soucieux territoires où elles s’installent et encore moins des populations. La Polynésie ne peut pas être centrée autour de ces seules activités. La jeunesse doit pouvoir se former à l’égal de celle de l’hexagone à tous les savoirs, à toutes les sensibilités et à tous les métiers. Elle doit trouver également un travail, bénéficier des services publics, d’activités sportives et culturelles, bref d’un avenir digne de ses aspirations et de ses capacités. Laisser dans les mains du privé l’essentiel des activités signifie inéluctablement sacrifier ces dernières pour la satisfaction des appétits d’une petite minorité. Celle leçon vaut sous toute les latitudes."

La loi Morin a été modifiée en février. La notion de "risque négligeable" a été supprimée. Serez-vous favorable à une meilleure transparence du processus d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ?
"Le secret d’État a longtemps couvert les conséquences de l’action de l’État français et de son armée, et ce en Polynésie comme dans toutes les régions de la planète où la France est présente ou intervient depuis des décennies. Militant d’une façon générale pour la suppression du secret des affaires, du secret commercial ou financier qui protègent la bourgeoisie et les grandes entreprises, je suis évidemment favorable à la plus grande transparence dans ce domaine et à la liberté d’investigation des associations et des victimes. Il est révoltant qu’on leur refuse encore les informations indispensables et l’ouverture de certains dossiers."

Le Tahoera’a Huira'atira propose une modification statutaire qui transformerait la Polynésie en Pays associé à la République. Y êtes-vous favorable ?
"Depuis le premier statut d’autonomie interne de 1984, les rapports entre les institutions du territoire polynésien et l’État français ont connu certaines évolutions qui ont renforcé notamment les pouvoirs des notables locaux, à l’instar de ce qu’ont connu la Corse, la Martinique ou la Guyane. Mais quelle que soit l’enveloppe juridique de ces rapports, ils n’ont pas profondément changé la vie de la population. L’actualité de ces deux dernières décennies, faites de nombreux scandales de corruption et de clientélisme au plus haut niveau, dont le cas Flosse n’est qu’un révélateur, et ce en toute impunité judiciaire. La loi les encourage même par toute une série de passe-droits fiscaux, comme cette disposition permettant à toute entreprise de déduire les pots-de-vin qu’elle averse de ses impôts. Cela fait partie du système mis en place par l’État français pour garder la mainmise sur ces territoires.
Il reviendra à la population de ces régions d’exprimer ses exigences. En tant que communiste, je reconnais bien sûr aux peuples qui en expriment le souhait le droit de choisir la forme de gouvernement qu’ils désirent, y compris en se séparant de la France. Il est difficilement concevable que la politique de ces territoires restent pour l’essentiel dépendante des choix effectués à l’autre bout de la terre dans les ministères parisiens. Mais en tant que communiste toujours, je milite pour une société débarrassée des frontières et de l’exploitation où les peuples pourront s’associer, coopérer et circuler librement sur la base la plus large possible. Et pour cela, il faudra avant tout se débarrasser de la domination exercée par la bourgeoisie et les capitalistes. En Polynésie comme ailleurs."

Un accord pour l’étude de faisabilité d'îles flottantes en Polynésie a été signé en janvier entre le Seasteading Institute et le gouvernement polynésien. Quelle est votre position par rapport à ce type de projet ?
"Il ne me revient pas, pas plus qu’à quiconque, de se substituer dans ce domaine comme dans bien d’autres, aux choix que les travailleurs et les classes populaires des régions concernées doivent faire. S’ils ont réellement accès aux dossiers de es projets, s’ils peuvent vérifier leurs conséquences écologiques, foncières et humaines, je ne doute pas qu’ils sauront alors faire le meilleur choix. Face aux intérêts des magnats de l’immobilier ou du tourisme, j’affirme cependant que la méfiance doit être de tous les instants."

En tant que présidente de la République, comment définiriez-vous le rôle de l’Etat dans ses compétences régaliennes en Polynésie française (armée, relations internationales, zone économique exclusive…)?
"Ce choix, encore une fois, doit être celui des travailleurs et des populations concernées. Je ne me sens pas en ce qui me concerne solidaire de l’État français, dont je combats l’impérialisme, car je sais qu’il sert avant tout à défendre les intérêts de la bourgeoisie, de ces grandes fortunes qui pillent les richesses de la planète et qui exploitent les travailleurs du monde entier. Je suis en revanche solidaire de tous les combats des exploités et des opprimés pour faire valoir leurs droits, et ce, quelles que soient la couleur des mers, la langue et la couleur de la peau de ses habitants. Mais je suis sûre que la seule véritable émancipation de l’humanité viendra du renversement du système capitaliste à l’échelle de la planète entière et le remplacement de cette société injuste et révoltante par une autre fraternelle, égalitaire, le communisme."







Rédigé par Mélanie Thomas le Mercredi 12 Avril 2017 à 01:00 | Lu 1446 fois