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Victime des essais, le combat d'une vie


© Anne-Laure Guffroy
© Anne-Laure Guffroy
Tahiti, le 20 mars 2023 – Comme sa mère avant elle, Béatrice Mou Sang Teinauri est atteinte d'une leucémie myéloïde. Cette mère d'un petit garçon de 11 ans s'est battue pendant plusieurs années pour que sa mère et elle soient reconnues comme victimes des essais nucléaires. C'est ce combat qu'elle raconte dans son livre, Je m'appelle Airuarii, qu'elle vient de publier.
 
Cinq ans. Il aura fallu cinq longues années de combat à Béatrice Mou Sang Teinauri pour être reconnue comme victime des essais nucléaires. Mais son combat contre la maladie, lui, dure depuis plus longtemps. Il y a onze ans, alors qu'elle est âgée de 35 ans, elle apprend qu'elle est atteinte d'une leucémie myéloïde chronique. Sept ans avant elle, sa mère est également diagnostiquée d'une leucémie, aigüe, et décédera en 2014. S'engage alors un long parcours, celui de faire reconnaître la maladie de sa mère et la sienne comme conséquences des essais nucléaires. C'est l'ensemble de son combat que Béatrice raconte dans un livre qu'elle vient de publier, intitulé Je m'appelle Airuarii. Son combat au côté de sa mère malade, son combat contre sa propre maladie, son combat pour son fils, son combat face au Civen et au Conseil d'État.
 
Lorsqu'en 2004, le diagnostic tombe pour la mère de Béatrice, elle est évasanée à Paris. Béatrice se rendra sept fois à son chevet en l'espace de trois ans. À l'hôpital, elle côtoie d'autres malades et leurs familles. “Voir tous les Tahitiens revenir dans un cercueil, pour moi, c'était très douloureux. Il y avait des personnes âgées comme des très jeunes”, se souvient Béatrice. Et puis un jour de 2011, c'est pour elle que le diagnostic tombe. “C'était un choc mais je n'ai pas pleuré, car je savais à quoi m'attendre.” Aux médecins de l'hôpital à Paris, elle fait part de ses interrogations. “J'ai dit que ce n'était pas normal que ma maman et moi ayons eu une leucémie. Je leur ai dit 'est-ce que ce n'est pas quand même dû aux essais nucléaires ?' Ce n'est pas qu'il n'y a pas eu de réponse, c'est qu'il n'y a pas eu d'étude. On aimerait qu'il y ait des études.” L'année d'avant, c'est son père qui est diagnostiqué avec un cancer du pancréas. Ses beaux-parents sont eux aussi tous les deux atteints d'un cancer. Tous ces cancers font partie des maladies reconnues comme radio-induites.

Combat dans le combat

Au-delà du combat contre la maladie, c'est aussi le combat d'une mère pour son fils. Car lorsque le diagnostic de la leucémie tombe, Béatrice est enceinte d'un mois. Les médecins voulaient qu'elle avorte, mais elle s'est battue pour pouvoir mener sa grossesse à terme. “J'ai fait avancer la science de l'hématologie, car en France, il n'y avait pas du tout de suivi de grossesse avec ce cancer d'hématologie. J'ai eu un suivi maternité avec une oncologue. Il y avait beaucoup d'enjeu, il fallait voir si ma leucémie ne se transformait pas en leucémie aigüe. Si ça ne se transformait pas, je pouvais garder mon enfant, mais si jusqu'à sept mois de grossesse, il s'avérait que si ça se transformait en aigüe, j'aurais été obligée d'avorter. Heureusement, ça ne s'est pas passé !”
 
Trois ans après le décès de sa maman, Béatrice décide de monter un dossier pour qu'elle et sa mère soient reconnues comme victimes des essais. Si cela a été facilement le cas pour sa mère, il n'en a pas été de même pour Béatrice. Car elle est née en 1977, trois ans après la fin des essais aériens et n'avait donc pas été exposée, selon le Civen, aux rayonnements. “Mais en 1977, trois ans après le dernier tir aérien, et il y avait toujours des tirs souterrains, il y avait toujours des retombées. On mangeait de tout, les produits de la mer et de la terre. J'estime que je viens quand même de mes parents, j'ai leur sang qui coule dans mon corps, et c'est un cancer du sang. Je sais qu'il y a une part de transgénérationnel et une part environnementale.” Pour elle, donc, pas question de laisser tomber. “Je reviendrai !”, disait-elle à l'époque.

Retourner dans l'arène

Et effectivement, elle est retournée au combat. D'abord devant le tribunal administratif en 2018, mais cela s'est encore soldé par un échec. Puis devant la cour administrative d'appel de Paris. Nouvel échec. Et en 2021, le Conseil d'État lui propose de réviser son dossier. Et le 17 février 2022, la décision tombe enfin : Béatrice est enfin reconnue comme victime des essais nucléaires. La première victime reconnue, née après la fin des essais atmosphériques, ouvrant ainsi la voie pour les autres victimes. Et c'est justement ce qu'elle a voulu transmettre à travers l'écriture de ce livre. Béatrice veut porter un message d'espoir et d'encouragement pour les malades, pour les pousser à demander à être reconnus comme victimes de essais. “C'est un message pour ne pas baisser les bras. C'est un combat légitime de demander cette indemnisation. Même si le montant du préjudice est minable, c'est une insulte. Ça ne rembourse même pas tous les allers-retours qu'on a faits. Je souhaite que ma reconnaissance et celle de ma mère accompagnent les autres malades dans leur lutte. Car ce sont des dossiers administratifs très lourds.”
 
Quelques mois après cette reconnaissance, Béatrice a fait l'objet d'une expertise médicale. Elle est aujourd'hui dans l'attente d'un retour du Civen quant au montant de son indemnisation. Depuis deux ans, elle va mieux. Son fils est aujourd'hui âgé de 11 ans et il va bien. Mais Béatrice vit dans la crainte qu'il développe à son tour une maladie transgénérationnelle. Elle souhaite donc que les dossiers soient aussi examinés pour les personnes nées après 1998. “J'ai toujours été conservatrice de nos dossiers médicaux, c'est comme une généalogie médicale que je tiendrais pour ma famille. Je souhaite qu'il y ait une reconnaissance transgénérationnelle pour notre descendance.” Pour Béatrice, donc, le combat continue.

Pratique

Je m'appelle Airuarii de Béatrice Mou Sang Teinauri
En vente dans les librairies Odyssey et Klima
Tarif : 2 150 Fcfp

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Lundi 20 Mars 2023 à 14:34 | Lu 3192 fois