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Vanessa Pesquié, gardienne du trésor


TAHITI, le 22 mars 2023 - Vanessa est la fille de Lucien Pesquié, disparu en mars 2019 alors qu’il travaillait sur un ouvrage de photographies. En 2020, elle a repris le flambeau et s’occupe aujourd’hui des archives de son père qu’elle valorise en Polynésie comme en métropole.

C’est un projet de longue haleine.” Voilà comment Vanessa Pesquié commence par décrire le livre Vahine Tātau. Cet ouvrage concentre un ensemble de photographies prises par Lucien Pesquié, son père. Sur chaque page se trouve la partie d’un corps de femme tatouée. Le visage des modèles n’apparaît jamais, de même que leur nom. En revanche, celui des tatoueurs est toujours mentionné pour mettre en valeur leur travail.

Le photographe, fidèle du Heiva, envisageait de compiler ses images prises lors du fameux concours de danse. Au fil du temps, il a constaté que sur scène les vahine étaient de plus en plus tatouées, et que les pièces d’encre qui couvraient leur peau étaient de plus en plus imposantes. “Il a changé son fusil d’épaule pour documenter cette tendance”, explique Vanessa Pesquié. “Il a préféré montrer la reconquête du tatouage par les femmes.”

Au-delà du témoignage, le livre porte la mémoire d’une histoire de famille. Il est le fruit d’un homme, tombé amoureux de la Polynésie et de sa fille, dévouée et reconnaissante, qui veut aujourd’hui honorer la mémoire de son père et promouvoir sa terre d’adoption. Vanessa Pesquié admet s’être longtemps posé la question de sa légitimité dans cette aventure. “Mais un jour une amie polynésienne m’a dit : ‘tu es des nôtres’, ma grand-mère polynésienne de cœur a ajouté ‘tu dois le faire’. Cela réchauffe le cœur.” Encouragée dans sa démarche, Vanessa Pesquié a pris le relais de son père après sa disparition en mars 2019. “Je suis là où je dois être, et je fais ce que je devais faire.” Les doutes persistent, mais s’amenuisent.

Avec son père Lucien et sa soeur Virginie, arrivée à Tahiti.
Avec son père Lucien et sa soeur Virginie, arrivée à Tahiti.
Élevée par son père

Vanessa Pesquié est née en 1977, à Nice. “Mais j’ai grandi en Corse, à Solenzara”, ajoute-t-elle aussitôt. Son père, Lucien Pesquié était plongeur d’élite dans l’armée de l’air. Son affectation de base était sur l’île de beauté. L’homme a élevé ses deux filles, Vanessa et Virginie, seul. “Nous vivons tous les trois depuis que j’ai trois ans.” La famille s’est déplacée au gré des mutations militaires plus ou moins longues, en Provence, à Djibouti, en Polynésie où elle est arrivée en 1994 pour deux ans. Un véritable coup de foudre partagé par le trio.

À cette époque, Vanessa Pesquié était adolescente, elle a été scolarisée au lycée Paul Gauguin en seconde et première. Elle garde un souvenir ému de ses années passées au fenua. Elle revient sur l’un des épisodes qui l’a profondément marqué. “C’est mon père, passionné de tatouage, qui m’a initiée. J’avais 16 ans et demi pour le premier, on était à Moorea, et c’est Chime qui s’en est chargé avec une machine confectionnée à partir d’un rasoir. Ça se méritait !” Chime est aujourd’hui installé à Bordeaux. “Il est booké sur un an et demi et compte parmi ceux qui ont amené le patutiki en Europe.” Vanessa Pesquié, quant à elle, a changé de tatoueur, mais continue de dire sa vie à l’encre dans sa peau. “Le tatouage est quelque chose d’intime, de personnel qui me donne une certaine force.” Elle en porte de très nombreux qui restent couverts par ses vêtements, même légers. “En Polynésie, on fait confiance au tatoueur car on ne sait jamais ce qu’il sera avant la fin de la séance, et c’est ce que j’aime. Ce qui me plaît c’est l’échange que cela implique.”

Ni avocate, ni institutrice

Au tout départ, Vanessa Pesquié envisageait de devenir avocate. “Mais je ne voulais pas défendre les méchants”, plaisante-t-elle. Elle a ensuite imaginé devenir institutrice. “Mais mon niveau de patience et d’exigence avec les enfants n’était pas du tout en adéquation avec ce projet.” Elle s’est finalement inscrite en Deug de droit. “Un diplôme que ne n’ai finalement jamais utilisé.”

Après la Polynésie, la famille a dû aller s’installer en Normandie. “C’était comme une punition”, se rappelle Vanessa Pesquié. Elle a obtenu son baccalauréat, puis son Deug, elle a travaillé trois ans pour une association de commerçants à Evreux. “Je m’occupais des relations entre les commerces et la municipalité.” Un jour, l’un des membres de l’association, un bijoutier, lui a proposé un emploi. “Et c’est ainsi que je suis tombée dedans. J’ai aimé la relation avec les gens.” Le milieu de la bijouterie, l’horlogerie et la joaillerie “est plutôt sympa”, commente Vanessa Pesquié. “On manipule de beaux produits et l’intention des clients est de se faire plaisir, on peut prendre le temps.

Passion d’une vie

Au fil du temps, Vanessa Pesquié a monté les échelons, pris de plus en plus de responsabilités jusqu’à devenir responsable de magasin. Elle s’est fait des amis, a construit sa vie de famille. “On finit par s’enraciner un peu, même si j’ai été habituée à voyager.” Elle réside encore aujourd’hui en Normandie, malgré l’appel toujours plus fort de la Polynésie.

Lucien Pesquié, quant à lui, a cédé à cet appel peu après son séjour. La photographie a toujours fait partie de sa vie. Ses parents lui ont offert un appareil photographique alors qu’il était adolescent. “Il pensait que pour réussir, il fallait faire des études dans le domaine. C’est donc resté un loisir.” Il est entré dans l’armée et a conservé son emploi de très nombreuses années sans jamais oser sauter le pas pour devenir photographe professionnel. “Je pense qu’il l’a regretté, mais il a préféré la sécurité pour nous élever, d’une certaine manière il s’est sacrifié”, raconte Vanessa Pesquié avec le recul. La photographie toutefois a pris de plus en plus de place tout au long de sa vie.

Lors d’une mutation à Djibouti en 1982/1983, il a rencontré des photographes professionnels venus en reportage. “Ils ont eu un problème avec leur matériel, ont contacté les plongeurs de l’armée pour savoir s’ils n’avaient pas des images. Mon père a montré les siennes, ils les lui ont achetées. La passion, déjà prenante à tout point de vue s’est vue renforcée.” Un déclic a eu lieu plus tard, lors de sa mutation en Polynésie. À Bora Bora, Lucien Pesquié a rencontré par hasard une équipe de l’émission Ushuaïa. Il a été intégré pour encadrer les prises de vue sous-marine. Il en a profité pour montrer ses photos qui ont remporté un vif succès auprès des professionnels. Ce qui l’a encouragé à se lancer.


Le fils de Vanessa Pesquié et son père, Lucien.
Le fils de Vanessa Pesquié et son père, Lucien.
Après la Polynésie, il a donc été muté en Normandie. Pendant quatre ou cinq ans, il s’est organisé pour travailler non-stop toute l’année et partir un mois et demi en juillet en Polynésie. Il était un fidèle du Heiva. Mais il a fini par démissionner et s’installer à Tahiti où il a pu enfin se consacrer pleinement à sa passion. Il est décédé en 2019, des suites d’une crise cardiaque. “Cela a été bouleversant”, confie sa fille qui a toujours été proche de lui. “Il était également très investi dans la vie de mon fils, il était très présent pour lui.” Aussi, Vanessa Pesquié s’est-elle étonnée lorsque son père n’a plus, à partir du 19 mars 2019, répondu à ses appels. Tout en respectant son silence, elle s’est laissée gagnée par l’inquiétude, jusqu’à ce qu’elle reçoive un appel des gendarmes pour lui annoncer le drame. Quelques jours s’étaient écoulés, et “aujourd’hui encore je m’en veux de ne pas avoir réagi plus vite”.

Une année éprouvante

L’année qui a suivi a été très éprouvante, moralement et émotionnellement. Vanessa Pesquié s’est chargée de tout l’administratif, elle n’a pu se plonger dans les archives de son père, ni reprendre le travail qu’il avait engagé, même si le livre, Vahine Tātau, était quasiment terminé. En février 2020, la mère de Lucien Pesquié est à son tour décédée. “Elle était mon dernier lien, cela m’a fait réfléchir, je me sentais orpheline, je me suis dit : ‘mais qu’est-ce que je vais devenir ?’.” Et le confinement est arrivé.

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La majeure partie des actionnaires de la société Lucien Pesquié Photography est réunie avec Lucien Pesquié. La société a vu le jour après le décès du photographe.
La majeure partie des actionnaires de la société Lucien Pesquié Photography est réunie avec Lucien Pesquié. La société a vu le jour après le décès du photographe.
Pendant l’isolement, Vanessa Pesquié s’est mise à poster une photographie de son père par jour sur sa page Facebook. “Je me suis dit que j’allais faire voyager les gens de cette manière.” Ses amis et sa famille ont réagi, ils ont partagé les publications, une petite communauté est née, elle a accueilli l’initiative avec beaucoup d’enthousiasme et poussé Vanessa Pesquié à faire toujours plus. Cette dernière a créé une page dédiée aux photographies de son père, puis est née officiellement la société Lucien Pesquié Photography. “C’est le seul moyen que nous ayons trouvé pour pouvoir finaliser le livre et partager les photos qui ne nous appartenaient pas.” Elle est l’actionnaire principale, mais elle a, à ses côtés, sa sœur et ses deux filles, son fils, la sœur de Lucien Pesquié et sa fille. La société vend le premier tome de Vahine Tātau (un deuxième tome est prévu), des calendriers, parapluies, foulards… En parallèle, Vanessa Pesquié a fondé une microentreprise pour diffuser en métropole des produits d’artisanat polynésien. Membre de l’association Pacifique France, elle participe à des événements comme le Grand Pavois de la Rochelle pour promouvoir la culture polynésienne. “Cela me permet de garder un pied au fenua.” En attendant, un jour peut-être, comme son père avant elle, de céder pour de bon à l’appel de la Polynésie

Rendez-vous

Dédicaces le samedi 25 mars à la librairie Klima de 9 heures à midi et le mercredi 29 mars au Teavanui Shop à Bora Bora aux mêmes horaires.

Contacts

FB : Lucien Pesquié photography
Insta : Lucien Pesquié photography

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 22 Mars 2023 à 16:06 | Lu 1433 fois