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Un économiste dénonce le protectionnisme polynésien


Gérard Kochersperger a lancé un vibrant plaidoyer pour libérer l'économie polynésienne, seule façon selon lui de créer durablement des emplois.
Gérard Kochersperger a lancé un vibrant plaidoyer pour libérer l'économie polynésienne, seule façon selon lui de créer durablement des emplois.
PAPEETE, le 4 avril 2018 - Mercredi dernier, une conférence était organisée à la CCISM afin de débattre sur le thème de la liberté économique en Polynésie. L'économiste franco-américain Gérard Kochersperger, co-fondateur de la toute jeune association "Institut Économique de Tahiti", y a lancé un vibrant plaidoyer pour ouvrir notre économie au reste du monde.

"Pourquoi les prix sont-ils si chers en Polynésie, même comparés à nos voisins ? Pourquoi notre secteur du tourisme est-il le seul du Pacifique à avoir détruit des emplois depuis 10 ans ? Pourquoi 100 000 personnes vivent-elles sous le seuil de pauvreté à Tahiti et Moorea ? Pourquoi n'appliquons-nous pas les recettes économiques qui ont marché pour nos voisins ?" Voilà autant de questions explosives qui ont animé le débat le mercredi 27 mars dans l'amphithéâtre de la CCISM. Cette rencontre était organisée par l'Institut Économique de Tahiti (IEDT), un tout nouveau "think tank" (en français, un groupe de réflexion ou un laboratoire d'idées). Une trentaine de spectateurs intéressés par les sujets économiques étaient présents.

Pour répondre à ces vastes questions, trois intervenants de qualité ont apporté leur éclairage. D'abord l'économiste polynésien Jean-François Gay a présenté à nouveau les résultats de sa thèse de doctorat obtenue l'année dernière à l'Université de la Polynésie française, "Protectionnisme et obstacles au développement en Polynésie française". Pour faire simple, le chercheur conclut que les innombrables taxes à l'importation conduisent à un renchérissement insupportable des prix, à la multiplication des monopoles, détruisent plus d'emplois qu'ils n'en rapportent, frappent les plus pauvres disproportionnellement et ne sont même pas efficaces pour augmenter les revenus fiscaux. Il montre également qu'au fenua, les inégalités sociales sont au plus haut alors que l'efficacité de la dépense publique est au plus bas (même si le débat a fait apparaître que la dispersion de notre territoire peut contribuer à cette inefficacité).

Ensuite est intervenue la représentante Sandra Lévy-Agami. Elle était présente au titre de son expertise au sein de la commission de l’Économie et des Finances de l'Assemblée de Polynésie et n'a pas mentionné une seule fois la campagne électorale actuelle. Elle a dressé le tableau des récentes réformes législatives en faveur de la liberté économique, comme le nouveau droit de la concurrence avec son Autorité de la concurrence, la protection de la maison familiale des créateurs d'entreprise, ou encore la baisse de la fiscalité sur les entreprises. Elle a aussi expliqué comment nous en étions arrivés là en retraçant l'historique du droit économique polynésien depuis l'époque du CEP. Au cœur de la stratégie de dissuasion nucléaire française, la Polynésie était alors hyper-protectionniste pour des raisons politiques et de sécurité nationale. Elle a ensuite dressé le tableau morne de plusieurs décennies sans réformes, même après la fin du CEP, le changement de statut et l'accès à l'Autonomie de notre Territoire.

LIBÉRER L'ÉCONOMIE POUR ÉVITER LA CATASTROPHE

Enfin Gérard Kochersperger a lancé un vibrant plaidoyer pour l'ouverture de l'économie polynésienne. Il est le co-fondateur de l'Institut Économique de Tahiti et un ancien professeur d'économie dans des universités nord-américaines (voir encadré). Il a ainsi montré que l'économie polynésienne avait une croissance très inférieure à ses voisines du Pacifique, même des pays déjà développés comme la Nouvelle-Zélande. Il souligne, comme Jean-François Gay, que les prix élevés sont une fausse excuse, en prenant l'exemple de plusieurs de nos voisins. Il a également une vision pessimiste sur la grave crise économique et sociale que nous traversons. Pour lui, les 55 % de la population des Îles-du-Vent vivant sous le seuil de pauvreté (en calculant à partir des seuils métropolitains) ne seraient que les victimes d'une crise qui va en s'aggravant. Une crise qu'il explique principalement par un protectionnisme outrancier qui décourage les investisseurs locaux et étrangers. Sans investissements, pas d'emplois, et la taille du marché polynésien continue de décroître dans un engrenage vicieux où notre économie s'épuise rapidement.…

La seule solution pour y échapper est, selon lui, de mettre en place une bonne gouvernance et un cadre institutionnel favorable aux investissements, qui assurerait un traitement égal de tous les investisseurs, locaux ou étrangers, connectés ou non, et donc la fin de l'arbitraire politique. Les trois piliers d'une économie ouverte que sont l'application du droit international, l'ouverture de notre marché aux investissements du monde entier et enfin la création d'emplois pourraient alors faire leur œuvre et sortir tous les Polynésiens de la pauvreté.


Gérard Kochersperger, économiste, membre de l'Institut Économique de Montréal, de l'Institut Fraser et de l'Institut Économique de Tahiti

"Si aucune entreprise ne vient s'installer en Polynésie, il n'y aura jamais d'emplois !"

Quel est ton parcours ?

"J'étais professeur d'université en Économie aux États-Unis, et je suis passé au Canada. Je ne suis donc pas un universitaire français, on peut dire que j'ai un regard extérieur. Je suis installé en Polynésie depuis 10 ans."

A quoi sert l'IEDT ?
"C'est un think tank consacré à la liberté économique, notre slogan est 'Des idées pour une économie plus prospère'. C'est pourquoi la soirée de ce soir s’appelle 'Plaidoyer pour la liberté économique et la prospérité en Polynésie' !

Nos idées sont libérales, mais pas libéralistes. La liberté ce n'est pas l'anarchie, c'est un cadre juridique organisé autour de la liberté. Si je prends un exemple, sur Tahiti, la liberté économique est relative parce que le pays est très interventionniste et très protecteur. Le gouvernement est dans des pratiques extrêmement protectionnistes, peut-être quelques fois à juste titre, mais généralement avec des effets très néfastes."

Les Français et les Polynésiens associent souvent le libéralisme à un appauvrissement des classes les moins aisées…
"C'est un point de vue erroné. Une économie est fondée sur la quantité et la qualité des flux économiques. Ces flux sont des échanges. Et malheureusement la Polynésie est tellement fermée, il y a si peu d'échanges… On n'exporte pas, tout est importé. Il y a très peu d'investissements. Donc on peut libérer l'économie en favorisant les investissements et le développement de ces échanges. Mais sans investissements il n'y a pas de business, pas d'entreprises, pas d'activité. Et sans entreprises et sans activité, il n'y a pas d'emplois ! Comment voulez-vous sortir de la pauvreté dans un pays s'il n'y a pas l'activité nécessaire pour faire travailler tout le monde et créer des emplois ?"

Quelles mesures simples et efficaces pourraient être appliquées dès demain pour relancer l'économie ?
"Premièrement, mettre en place ici les règles internationales sur l'investissement. Deuxièmement, faire en sorte que les entreprises viennent s'installer en Polynésie dans un espace ouvert de concurrence et de libre-échange. Et enfin, troisièmement, créer des emplois. Si personne ne vient s'installer en Polynésie, il n'y aura jamais d'emploi, et je n'ai jamais vu un gouvernement créateur d'emplois… Sauf dans la fonction publique. Mais là ils sont déjà au complet !

Plus en détail, il faut que Tahiti se structure juridiquement pour recevoir des investissements étrangers, et que Tahiti se mette au niveau des règles du commerce international en termes de libre-échange. De plus, les gouvernements successifs n'ont jamais mis en place ce que l'on appelle en anglais 'The rule of law', le règne de la loi. A la place, ce sont les hommes politiques qui décident de tout au cas par cas… Il faut que nous progressions dans nos institutions. La création de l'autorité de la concurrence est un premier pas très important."

Thomas Sonnentrucker, organisateur du débat

"On voit plein de domaines dans lesquels il faut améliorer les choses"

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

"Je suis le secrétaire de l'Institut Économique de Tahiti, donc je travaille en étroite collaboration avec Gérard depuis plusieurs années maintenant. Je suis responsable logistique dans une entreprise locale, je suis installé sur le Territoire depuis 10 ans. Et ça me tient à cœur de m'investir, on voit plein de domaines dans lesquels il faut améliorer les choses."

Qu'est-ce que l'Institut Économique de Tahiti ?
"Tout a commencé avec la création de l'Institut Porinetia Ananahi en 2013, un premier think tank principalement destiné à faire des propositions sur le tourisme, le premier secteur économique de Tahiti. Nous avions introduit la notion de cluster, qui a rencontré un certain succès. Là on élargit avec l'Institut Économique de Tahiti (IEDT), qui est un spin-off (NDLR : une extension) de Porinetia Ananahi, avec des thèmes plus globaux. L'IEDT a été créé en début d'année sous le statut d'association loi 1901, adossé à l'Institut Économique de Montréal. Nous cherchons actuellement un président, si possible un chef d'entreprise, et des membres qui souhaitent s'investir bénévolement avec nous pour mener la réflexion. Nous essayons de travailler pour le bien commun, insuffler de nouvelles idées et faire avancer les choses. Nous allons donc continuer à organiser ce genre d'événements pour expliquer toutes ces idées de façon pédagogique."


>>> Contacter l'IEDT : [email protected]


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 4 Avril 2018 à 13:18 | Lu 15716 fois