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Tromperie sur les débits internet : l'OPT s'abrite derrière "une décision politique"


PAPEETE, 28 août 2018 - Le groupe OPT et sa filiale Vini étaient entendus par le tribunal correctionnel pour le délit de "tromperie", ce mardi, à la demande de quatorze usagers d'internet de Rangiroa qui s'estiment floués sur l'offre de service souscrite.

La direction du groupe a reconnu que des offres ADSL haut débit ont été proposées à partir de 2013 dans les îles éloignées pour "combattre la fracture numérique" sur la base d'une "décision à caractère politique". Mais elle dément le caractère matériel et intentionnel de ce qui lui est reproché. Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 18 septembre prochain.

L'affaire avait été révélée en 2016 par le magazine Tahiti Pacifique Hebdo : plusieurs professionnels de Rangiroa dénonçaient à la Direction générale des affaires économiques (DGAE) des débits internet très largement en-dessous des forfaits pour lesquels ils avaient souscrit ; des offres ADSL à 1 ou 2 Mb/s. Notamment durant la période du 2 janvier 2013 au 15 avril 2017. L'enquête ouverte suite au signalement de 14 plaignants avait conclu à l’infraction pénale de tromperie. Surtout, elle avait établi qu'il était notoirement connu en interne, à l'Office des postes et télécommunications (OPT), que la saturation prévisible de la capacité satellitaire ne permettrait pas de fournir durablement les débits de connexion vendus dans les îles éloignées. L'établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) se serait ainsi délibérément placé dans l'incapacité matérielle de fournir le service internet lié aux offres commercialisées, sans qu'aucune étude de marché préalable n'ait été conduite.

880 contrats souscrits

Jean-François Martin, actuel P-dg de l'établissement public OPT, en poste depuis mi-juillet 2015, s'est expliqué à la barre, mardi, en soulignant que la décision de commercialiser des offres haut débit dans les îles éloignées avait été prise par son prédécesseur et que "ça a été une décision à caractère politique", en vue de "combattre la fracture numérique" entre Tahiti et les archipels, dans un souci de service public. Mais qu'ensuite l'Office n'avait cessé d'augmenter sa bande passante satellitaire pour faire face aux débits appelés par les 880 contrats souscrits durant la période de prévention, dans les îles Tuamotu, Marquises, Gambier et Australes. Cet accroissement de la bande passante ayant toujours été en-dessous des besoins réels. La commercialisation de l'offre haut débit à 2 Mb/s avait donc été interrompue en juillet 2015, à la demande de la direction technique de l’OPT.

Cependant, les offres commerciales ADSL haut débit souscrites dans les îles éloignées ont rapporté au groupe de télécommunications "180 millions Fcfp et coûté plus de 600 millions Fcfp" produisant un déficit de 476 millions Fcfp au final. Aussi, pour Me Sylvain Justier, avocat de la filiale Vini, chargée de la commercialisation des offres, le caractère intentionnel d'une éventuelle tromperie est inexistant faute d'avantage économique. "Cette opération a coûté très cher à l'OPT", insiste-t-il. "L'offre internet coûte 100 fois plus cher dans les îles éloignées qu'à Tahiti. (...) On savait au lancement que ça coûterait de l'argent. On l'a fait pour lutter contre la fracture numérique".

> Lire aussi : Le groupe OPT poursuivi pour tromperie sur les offres internet

"Amateurisme"

Quatre des 14 plaignants ont pourtant manifesté à la justice un préjudice global de 740 914 Fcfp, correspondant à une part du coût de l'abonnement indûment payé, selon eux, sur la période de prévention. Ils souhaitent se constituer partie civile.

De même, au plan matériel le délit de tromperie fait défaut selon l'avocat parisien. Il attire l'attention du tribunal sur l'article 6 des conditions générales du contrat de souscription aux offres ADSL. Cette clause souligne, entre autres, que la capacité internet est susceptible d'être saturée à certains moments. Un contrat que tout le monde a signé.

Aussi, la défense a-t-elle plaidé en faveur d'une relaxe "ou au moins d'une dispense de peine".

Mais pour la procureure de la République, Monique Rouzaud, toute cette affaire "procède d'un certain amateurisme" de la part de l'OPT. La magistrate du parquet affirme que l'établissement public OPT et sa filiale Vini avaient une obligation de résultat vis-à-vis de leurs clients et pas seulement une obligation de moyens comme a tenté de le faire valoir la défense. Elle demande au tribunal d'entrer en voie de condamnation pour "tromperie ou au moins pour publicité mensongère" et requiert des peines d'amende de 2 millions Fcfp si le délit de tromperie devait être retenu, ou de 800 000 Fcfp, si "par extraordinaire" il devait être requalifié en "publicité mensongère". Le tribunal rendra son jugement le 18 septembre prochain.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 28 Août 2018 à 19:26 | Lu 12188 fois