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Soumaïla Cissé, figure de proue de l'opposition enlevée au Mali


Bamako, Mali | AFP | jeudi 26/03/2020 - Le chef de l'opposition au Mali, Soumaïla Cissé, enlevé par des inconnus, est une figure éminente de la politique et de l'histoire récente et tourmentée de son pays, qui a accédé à trois reprises au second tour de la présidentielle, sans jamais l'emporter. 

A 70 ans, il a derrière lui un parcours brillant qui l'a conduit à de hautes responsabilités ministérielles et africaines.
En 2013 et 2018, il s'est incliné lors du scrutin suprême face à celui qui est encore aujourd'hui à la tête de l'Etat, Ibrahim Boubacar Keïta. Il y a deux ans, il avait vivement et vainement contesté la victoire "d'IBK", entachée de fraudes selon lui.
Cet homme élégant passe volontiers pour un intellectuel, débonnaire mais plus professoral que charismatique.
"Il y a, c'est vrai, le complexe de l'intellectuel. Mais j'ai milité très tôt. Je ne reste pas assis dans un bureau. Pour la démocratie au Mali en 1991, j'étais là", avait-il expliqué à l'AFP en faisant référence à la transition démocratique après les années de dictature post-indépendance.
"En 2012, lorsqu'un putsch a interrompu le processus démocratique, j'étais là aussi. Je n'ai pas de leçons de militantisme à recevoir de grand-monde", ajoutait-il.
 

- Le putsch de 2012 -

 
Ingénieur-informaticien de formation, il étudie au Sénégal et en France. Là, il travaille dans de grands groupes tels qu'IBM, Péchiney ou Thomson.
Il rentre en 1984 et intègre la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), alors colonne vertébrale de l'économie. Il est considéré comme le chef d'un groupe d'intellectuels bien décidés à jouer un rôle politique.
Sous Alpha Oumar Konaré (1992-2002), il est nommé secrétaire général de la présidence, puis ministre des Finances (1993-2000), côtoyant quelques mois au gouvernement Ibrahim Boubacar Keïta comme collègue. En 2000, il devient "super ministre", cumulant plusieurs postes.
En 2002, candidat du parti présidentiel, il est battu au second tour par Amadou Toumani Touré, un militaire qui a pris sa retraite de l'armée.
Il crée en 2003 son propre parti, l'Union pour la République et la démocratie (URD), aujourd'hui deuxième force à l'Assemblée nationale.
De 2004 à 2011, il assume la présidence de la Commission de l'Union économique et monétaire ouest-africaine.
Farouche opposant au putsch du 22 mars 2012 qui précipite le pays dans la crise qu'il connaît encore aujourd'hui, il est brutalement arrêté par les hommes du capitaine Amadou Haya Sanogo. Blessé lors de cette arrestation à son domicile de Bamako, qui est saccagé, il va se faire soigner en France.
 

- Keïta, encore -

 
En 2013, après l'intervention militaire française qui chasse les jihadistes qui occupaient le nord du pays et progressaient vers la capitale, et l'effacement de la junte, il accède au second tour de la présidentielle, mais est battu par M. Keïta, qui recueille plus de 77% des suffrages.
Il tente à nouveau sa chance en 2018, invoquant la tourmente dans laquelle se trouve le pays et se posant en recours contre "le chaos et l'abîme".
Avant même la proclamation des résultats du second tour, celui qui avait en 2013 reconnu sa défaite avant son officialisation refuse de les accepter et appelle les Maliens à "se lever" contre la "dictature de la fraude". Il n'est pas parvenu à unir l'opposition, dont les autres ténors se sont gardés de donner la moindre consigne de vote ou ont choisi de rallier le camp de M. Keïta.
Celui-ci est déclaré vainqueur avec 67,16% des voix, contre 32,84% à M. Cissé.
Des manifestations pendant plusieurs semaines n'y font rien: M. Cissé reste dans l'opposition. Quand un nouveau gouvernement dit d'ouverture est formé en mai 2019 après des semaines de contestation contre l'incapacité de l'Etat à assurer la protection des populations, l'URD, à la différence d'autres partis d'opposition, reste à l'écart.
La dégradation sécuritaire se poursuit, entre insurrections jihadistes et violences intercommunautaires. Le président tente un dialogue avec toutes les composantes politiques pour apporter à la crise une réponse autre que seulement militaire. M. Cissé dénonce l'entreprise comme "une mise en scène".
La tenue des législatives maintes fois reportées fait partie de cette entreprise. C'est en faisant campagne dans son fief de Niafounké, dans la région de Tombouctou en proie aux agissements jihadistes, que M. Cissé a été enlevé mercredi.

le Jeudi 26 Mars 2020 à 12:52 | Lu 332 fois