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Réouverture des écoles, une équation à plusieurs inconnues


Tahiti, le 27 avril 2020 - Le haut-commissaire et le président ont annoncé hier un accueil “progressif” et “volontaire” des élèves dans les établissements scolaires à compter du 18 mai prochain. Pas de quoi rassurer les syndicats d’enseignants et représentants des parents d’élèves qui demandent un “protocole”, principalement sanitaire, de reprise de l’activité éducative.

C’est un curieux échange à distance qui s’est déroulé hier entre le président du Pays d’un côté et les syndicats d’enseignants et fédérations de parents d’élèves de l’autre sur la question de la réouverture des établissements scolaires. Ce week-end, “l’union sacrée” entre quatre fédérations de parents d’élèves et quatre syndicats d’enseignants, publics et privés, avait anticipé l’annonce d’une réouverture des écoles au 29 avril ou au 4 mai, en dénonçant par avance le risque sanitaire pour les élèves et les enseignants. Lors de son allocution, hier en fin de matinée, le président Edouard Fritch a coupé l’herbe sous le pied des syndicats et parents d’élèves en annonçant un simple “accueil” à la fois “progressif” et “volontaire” des élèves dans les établissements scolaires de Tahiti et Moorea à compter du 18 mai prochain.
 
Côté gouvernement, on explique que la décision de repousser l’ouverture des écoles, collèges et lycées a tenu à deux motifs distincts : d’une part, le problème “technique” du transport des élèves n’est pas réglé et, d’autre part, “l’opinion publique” est encore trop inquiète à l’idée de laisser les enfants se réunir et se côtoyer dans les salles de classes. Deux heures après l’allocution d’Edouard Fritch, les syndicats et représentants des parents d’élèves réunis au Cesec pour une conférence de presse sont apparus assez désorganisés face à l’annonce du président du Pays. Partagés entre la satisfaction d’avoir obtenu un “délai” d’un peu plus de deux semaines, et l’inquiétude sur des questions toujours sans réponse sur l’organisation de la reprise des cours.
 
Protocole et rendez-vous
 
Les syndicats et parents d’élèves ont expliqué avoir reçu une réponse à leur courrier du week-end, les invitant à une réunion avec le ministère de l’Education et le vice-rectorat. Pas assez pour les signataires, qui réclament un rendez-vous avec le président du Pays et le haut-commissaire. “Là où les choses se décident”, a indiqué le président de la fédération des associations de parents d’élèves du public (Fapeep), Tepuanui Snow, qui a expliqué que la priorité était de définir le “protocole” de reprise de l’activité éducative, dans le respect absolu de la sécurité sanitaire des enseignants et des élèves.
 
Concrètement, il est encore assez difficile de savoir si la date du 18 mai convient aux syndicats et parents d’élèves. Si la présidente de l’Unsa Fenua, Diana Yieng Kow, a indiqué que, si les protocoles étaient mis en place, la porte était ouverte pour une reprise dans deux semaines, ses collègues sont restés beaucoup plus mesurés. L’annonce du haut-commissaire de consultations à venir “avec les enseignants et les parents d’élèves” pour définir des “solutions adaptées” dans chaque établissement n’a visiblement pas effacé les doutes. “On ne veut pas des “si”, on veut des documents”, s’est époumoné Guy Gooding de la Fapeep, relancé sur la question.
 
Questions sans réponses
 
Parmi les interrogations qui figurent encore chez les syndicats d’enseignants et parents d’élèves, comment concilier le retour des professeurs dans les établissements pour certains élèves et la poursuite de la continuité pédagogique à distance pour d’autres ? Ou encore, plus compliqué, peut-on tester tous les enseignants et les élèves au covid-19 avant la réintégration dans les classes ? Enfin, autre problème soulevé en fin de conférence de presse, la date du 18 mai correspond aux vacances scolaires dans le calendrier 2019/2020. Un autre casus belli visiblement assez sérieux…

Un premier accueil “progressif et volontaire” des élèves

Le haut-commissaire et le président du Pays ont annoncé hier que les établissements scolaires pourraient “accueillir” les élèves du primaire, des collèges et des lycées à compter du 18 mai “tout en maintenant la continuité pédagogique”. Les enfants de maternelle seront invités à réintégrer les classes un peu plus tard. La ministre de l’éducation et la DGEE doivent encore préciser “les modalités pratiques de l’accueil des élèves”. Il s’agira d’une reprise très progressive, a indiqué le haut-commissaire, qui permettra de “mener les consultations avec les enseignants et les parents d’élèves” de façon à trouver les solutions adaptées à chaque établissement.
 
Le président Edouard Fritch a ensuite confirmé avoir demandé à la ministre de l’Education “d’ouvrir à nouveau les établissements scolaires le 18 mai prochain en accord avec les maires de nos communes de Tahiti et Moorea”, à l’instar de ce qui a été fait dans les îles où 80% des élèves ont repris le chemin des écoles. La reprise sera “progressive” et “volontaire” pour les familles, avant une rentrée et une reprise effective des cours “programmée au moment du dé-confinement total”. Le président du Pays a expliqué que la décision était “strictement liée à la problématique des enfants qui ne trouvent pas chez eux, les conditions minimales pour assurer une bonne continuité pédagogique”.

Crèches, garderie et IIME vont rouvrir

Edouard Fritch a annoncé hier que les crèches, garderies et activités annexes, permettant la prise en charge de leurs enfants seront autorisées à ouvrir dès ce mercredi 29 avril. “Un besoin essentiel pour nos parents et particulièrement nos mamans qui reprennent leurs occupations professionnelles”, a cru bon de préciser le président du Pays. Pour les enfants pris en charge dans les structures spécialisées, les IIME seront autorisées à ré-ouvrir leurs portes à compter du 4 mai “sur décision volontaire des familles”.

​Tepuanui Snow, président de la Fapeep : “C’est un cri d’alerte que nous lançons”

“Le discours que je tiens, et je l’ai dit tout de suite, c’est qu’il fallait rouvrir en août. C’était bien pour pouvoir caler notre discours à celui de la métropole, puisqu’en métropole, vous le savez, les parents et les syndicats ont décidé de proposer une rentrée en septembre. Pourquoi ? Parce que ça nous donnerait le temps de préparer cette rentrée. De l’organiser surtout par rapport à l’ensemble des protocoles qui doivent être mis en place. Et l’expérience que nous avons eue malheureusement avec les écoles des archipels nous montre que ces protocoles n’existent pas. Comment font les cantinières pour accueillir les enfants ? Comment font les chauffeurs de bus pour désinfecter le bus, quand, comment ? Rien n’est écrit ! Ce n’est pas à l’Éducation de le faire, c’est à la Santé de le faire. (…)

C’est un cri d’alerte que nous lançons aux autorités, au haut-commissaire, au président du Pays qui sont les seuls décisionnaires aujourd’hui dans l’histoire. Il faut qu’on tape du poing sur la table pour, finalement, recevoir un mail hier soir (dimanche soir, ndlr) du directeur de la DGEE qui nous invite à rencontrer la ministre de l’Éducation et le secrétaire général du vice-rectorat. Nous avons décliné cette invitation. Si c’est pour que nous ayons ces personnes en face de nous, avec tout le respect que j’ai pour Madame la ministre qui fait un travail conséquent, alors que les personnes qui décident c’est le haut-commissaire et le président du Pays… On veut les rencontrer. Et je pense que nous méritons de les rencontrer. Depuis le 17 mars dernier, ce sont les parents et les enseignants qui chacun de leur côté organisent la continuité pédagogique. (…)

On va remercier le 58e cas. Grâce à ce 58e cas, on va avoir un délai supplémentaire de trois semaines… On souhaite à cette personne un bon rétablissement, mais grâce à elle, on a un peu de marge. On espère rencontrer le haut-commissaire et le président du Pays pour discuter de cette organisation. En fait, les modalités pratiques de ces protocoles se feront entre les techniciens. Mais avant de parler des modalités, il faut d’abord acter les grands principes. Aujourd’hui ces grands principes ne sont pas actés, ou s’ils le sont, ils sont actés par l’État sans la consultation des premiers partenaires de l’éducation.”

Diana Yen-Kow, secrétaire générale de l’Unsa : “Le gros problème, c’est la distanciation physique et sociale”

Quel est l’état d’esprit du corps enseignant ?

“Dès jeudi après la conférence-débat qui s’est passée au Cesec, on a vu qu’il y avait une tension entre certains d’entre nous. Même si les échanges ont été cordiaux, il y avait eu beaucoup de rumeurs et c’est ce qui nous avait beaucoup agacés. On parlait d’une reprise le 4 mai avec une préparation d’un jour, le 29 ou le 30… Et ça ce n’était pas possible. On a voulu anticiper sur les déclarations qu’on allait nous faire aujourd’hui (lundi, ndlr). On a décidé, avec la Fédération des associations des parents d’élèves, qui siège également au Cesec. On s’est mis d’accord pour faire un courrier commun. Mais avec ma fédération, qui représente dix syndicats des fonctions différentes dans les établissements scolaires, on avait déjà alerté à tous niveaux. On a fait un courrier vendredi et le courrier de l’union sacrée ce week-end.”
 
Quelles sont vos revendications exactes ?

“Lorsque vous faites le tour de l’île, le tour de Moorea, on a les mêmes problématiques. Les consignes ne sont pas les mêmes, ne sont pas appliquées de la même manière, ne sont pas interprétées de la même manière. Une fois pour toutes, il faut qu’il y ait un cadre pour tout, du début à la fin, que ce soit sur de l’organisationnel, du sanitaire… Qu’on puisse se protéger en tant que personnel des établissements, et pour protéger les parents d’élèves et que l’on mette tout le monde face à ses responsabilités.”
 
Pensez-vous que vous serez reçus par le président et le haut-commissaire ?

“Je suis très positive. C’est quand même très important ce qui nous arrive, donc j’espère fortement qu’on soit reçu, qu’on soit entendu pour que le 18 mai ce soit vraiment la date de la réouverture des écoles. Mais le travail continue...”
 
Qu’est-ce que vous voudriez en priorité dans les mesures qui vont être prises dans le protocole ?

“Le gros problème, c’est la distanciation physique et sociale. Pour nous c’est un gros souci. Comment nous qui sommes sur le terrain nous le voyons et le vivons. Parce que quand on est dans un bureau climatisé, on n’a pas la même appréhension que quand on est sur le terrain. J’aimerais bien que les personnels puissent proposer ce qu’ils sentent le mieux pour les enfants et pour eux.”
 
Vous n’envisagez pas de modification du calendrier scolaire ?

“Pour le moment, je ne vous cache pas que le 18 mai correspond à la semaine de vacances pour les enfants du premier degré. À ce sujet, on n’a pas été concerté. Donc on va voir ce qu’on pourra faire ensemble. En tous les cas, ce sont des vacances pour les enfants qui sont prévues, à nous de voir ce qui est le mieux.”
 
Vous envisagez en revanche un report des mouvements des enseignants ?

“La problématique est différente en interne. Le mouvement interne va se faire puisque nous avons commencé à travailler sur les mesures de cadre scolaire. On va siéger jeudi en présentiel ou en visioconférence. On va faire des mouvements prévus dans 15 jours. La différence c’est que nos collègues métropolitains ne pourront pas prendre l’avion, déménager et ceux qui sont sur le territoire ne pourront pas renvoyer leurs affaires. C’est le mois crucial, c’est le mois d’avril. Donc on a interrogé les personnes qui sont éligibles sur le retour pour savoir s’ils veulent rester. Donc ça se fera au volontariat, on n’imposera pas. Pour ceux qui veulent vraiment rentrer, je pense que les autorités prendront des mesures en conséquence. Mais notre crainte, c’est de ne pas avoir de personnel complet à la rentrée s’il est mis à disposition. Surtout dans le second degré, les professeurs, et dans le premier degré ce sont les maîtres spécialisés dont on a un vivier assez restreint.”

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 27 Avril 2020 à 23:09 | Lu 4239 fois