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Raphaël Confiant s'empare de la vie de Frantz Fanon


Paris, France | AFP | mardi 13/06/2017 - Il faut se débarrasser des idées reçues sur Frantz Fanon, affirme l'écrivain martiniquais Raphaël Confiant qui s'est mis dans la tête de celui qui demeure, 56 ans après sa disparition, une figure emblématique de la lutte contre l’oppression coloniale.
"Fanon est aujourd'hui iconisé. On connait deux ou trois phrases chocs de Fanon, extraites de leur contexte, que tout le monde répète mais au fond sa pensée est caricaturée", explique le doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de l'Université des Antilles et de la Guyane, au cours d'un entretien avec l'AFP.
L'auteur d'"Eau de café" et "Éloge de la créolité" vient d'écrire "L'insurrection de l'âme" (Caraïbéditions), une "autobiographie imaginée" du psychiatre et révolutionnaire martiniquais, où il n'hésite pas à employer le "je" pour faire entendre la voix de l'auteur des "Damnés de la terre".
"Je n'emploie pas le 'je' tout le temps, cela aurait été présomptueux de ma part", se défend en souriant Raphaël Confiant quand on le lui fait remarquer. "J'ai voulu ré-humaniser Fanon", tranche-t-il.
 

- Phrase apocryphe -

 
Frantz Fanon "n'était pas un apôtre de la violence pour la violence", souligne Raphaël Confiant qui explique avoir été surpris par la méconnaissance de la pensée de Fanon par certains de ses étudiants. "La phrase terrible +un bon colon est un colon mort+, souvent citée, n'est pas de Fanon mais de Jean-Paul Sartre dans sa préface aux +Damnées de la terre+", s'insurge l'écrivain martiniquais qui reconnait aussi au passage que "sans la préface de Sartre le livre de Fanon n'aurait jamais eu autant d'écho".
"L"insurrection de l'âme" fait découvrir un Fanon de chair et de sang, tout à la fois brillant médecin psychiatre, engagé volontaire auprès des Forces françaises libres durant la Seconde Guerre mondiale, militant pour l'indépendance de l'Algérie. Mais aussi un Fanon amateur éclairé de foot, supporteur du Stade de Reims, un homme qui forme un "couple fusionnel" avec sa compagne Josie (qui se suicidera à Alger en juillet 1989, quelques jours après avoir été agressée par des islamistes), un être humain épuisé par un cancer qui le ronge et l'emportera à 36 ans.
"Dans les jeunes générations aux Antilles et dans les pays où Fanon est très connu (au Maghreb, en Afrique noire...), on a uniquement l'image de quelqu'un qui dit: +il faut utiliser absolument la violence pour se libérer+. Or Fanon est beaucoup plus complexe que ça", assure Raphaël Confiant.
"Il était d'une intransigeance de vie extraordinaire mais ce n'était pas un fanatique". D'ailleurs, ajoute Confiant, aucun mouvement terroriste ne se réclame de Fanon.
Il faut donc relire Fanon et ne pas se contenter de ses caricatures, insiste l'écrivain qui estime que la violence coloniale continue de s'exercer de façon insidieuse et dit en partie comprendre "le repli identitaire" de jeunes dans les banlieues françaises, qui se sentent "exclus".
"Le repli identitaire c'est la théorie de la carapace. Quand on se sent exclus on s'enferme. Des enfants nés en France de parents ou de grands-parents d'ailleurs sont pris entre deux cultures. Se sentant victimisés, n'est-il pas normal que de temps à autre ils se disent: +réfléchissons entre nous sur notre condition?+", s'interroge l'écrivain.
"L'intégration des Africains et des Arabes prendra plus de temps que pour les Portugais, les Italiens mais elle viendra".

le Mardi 13 Juin 2017 à 03:29 | Lu 430 fois