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Plainte pour crime contre l'humanité : une démarche compliquée


"Le sujet des essais nucléaires en Polynésie est donc (…)  sensible pour ne pas inciter ceux qui en parlent à mesurer le choix des mots. Je souhaitais le rappeler dans un souci d’objectivité et d’apaisement", indique le haut-commissaire dans un communiqué.
"Le sujet des essais nucléaires en Polynésie est donc (…) sensible pour ne pas inciter ceux qui en parlent à mesurer le choix des mots. Je souhaitais le rappeler dans un souci d’objectivité et d’apaisement", indique le haut-commissaire dans un communiqué.
PAPEETE, le 8 août 2016. Le haut-commissaire de la République a réagi lundi aux déclarations faites lors du synode de l’Eglise protestante ma'ohi. "Une plainte contre l’Etat français pour « crime contre l’humanité » manquerait de fondement", a indiqué René Bidal. "L’outrance est toujours mauvaise conseillère", a-t-il commenté. Mais déposer une plainte pour crime contre l'humanité est une démarche compliquée. Explications.

Lors de la conclusion du 132e synode dimanche, l'Eglise protestante ma'ohi, engagée depuis longtemps contre les essais nucléaires, a indiqué que son "conseil supérieur envisage de poursuivre l'Etat français devant l'Organisation des Nations unies". L'Eglise liste une série "d'actes graves et fautifs" comme les "désordres médicaux consécutifs à l'exposition interne ou externe aux rayonnements ionisants" qui "pourraient être qualifié de crimes contre l'humanité".

Le haut-commissaire René Bidal a réagi lundi matin par communiqué à cette décision, qu'il qualifie d'"intention surprenante". Il ajoute : "Évacuant toute idée de polémique avec l’Eglise protestante que je respecte particulièrement comme j’ai pu le dire, le 30 juin, au Pasteur Taaroanui Maraea, en lui rendant visite, il convient toutefois de rappeler que l’outrance est toujours mauvaise conseillère". "En effet, certaines notions et certains mots, surtout lorsqu’ils qualifient les crimes les plus ignobles, comme les atrocités commises par les nazis contre les juifs, doivent être respectés tant pour ce qu’ils signifient pénalement que pour ce qu’ils appellent en souvenirs atroces et douloureux chez ceux qui en furent les victimes ou ceux qui en ont été proches", souligne-t-il.

UNE PLAINTE "MANQUERAIT DE FONDEMENT"
Pour le haut-commissaire, les essais nucléaires qui ont eu lieu en Polynésie française ne " correspondent évidemment pas à (la) définition" de crime contre l’humanité. "La définition du « crime contre l’humanité » a été formulée dans les accords de Londres, le 8 août 1945, portant statut du Tribunal militaire international de Nuremberg : « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles avant ou pendant la guerre ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux…»", note-t-il avant d'ajouter : "Les tirs d’essais nucléaires en Polynésie française et une plainte contre l’Etat français pour « crime contre l’humanité » manquerait de fondement."

Selon l'article 7 du statut de Rome, "un meurtre ou tout autre acte inhumain qui cause «intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale» constitue un crime contre l’humanité dès lors «qu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque» est un crime contre l'humanité" (lire encadré ci-dessous).

"L’ÉTAT EST LOIN D’ETRE INDIFFERENT"
Le haut-commissaire fait ensuite un point sur les avancées obtenues depuis le début de l'année. En février, lors de son déplacement, le président de la République François Hollande avait reconnu devant les élus à la présidence que "les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental" et "provoqué des conséquences sanitaires".

François Hollande avait aussi annoncé que le décret d'application de la loi Morin serait modifié, ce qui est actuellement en cours. "Parallèlement, l’État a proposé il y a quelques jours au gouvernement central une convention cadre (travaillée en collaboration étroite avec le ministère local de la santé et l’hôpital de Papeete), en vue de permettre, dès 2017, le financement de nouveaux équipements pour les services de radiographie, de radiologie et de traitement contre les cancers de l’hôpital Taaone", précise le haut-commissaire.
Il conclut : "Le sujet des essais nucléaires en Polynésie est donc trop sensible pour ne pas inciter ceux qui en parlent à mesurer le choix des mots. Je souhaitais le rappeler dans un souci d’objectivité et d’apaisement".
Le parti indépendantiste polynésien Tavini Huiraatira soutient aussi le dépôt d’une plainte pour crime contre l’humanité visant la France devant la justice internationale, suite aux 193 essais nucléaires menés à Moruroa et Fangataufa jusqu'en 1996.

Déposer une plainte pour crime contre l'humanité, pas si facile

La Cour internationale de justice (CIJ) siège à La Haye, aux Pays-Bas. C'est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Selon le statut de cette Cour, « seuls les États ont qualité pour se présenter" devant elle. Les organisations internationales, les personnes privées, les collectivités et les partis politiques ne sont donc pas habilités à introduire une instance devant cette juridiction. L'Eglise protestante ma'ohi ou le Tavini Huira'atira ne peuvent donc pas seuls déposer plainte pour crime contre l'humanité contre la France.

Il faudrait que ce soit les petits États insulaires du Pacifique tels que Kiribati ou les îles Marshall qui saisissent la Cour internationale de justice sur la problématique des essais nucléaires. Mais il faudrait encore que la France accepte la compétence de la Cour internationale de justice. "Aucun État ne peut ainsi être partie à une affaire devant la Cour s'il n'y a pas consenti", analysait Hervé Raimana Lallemant, enseignant-chercheu spécialisé dans les problématiques en droit de l'environnement et en droit international de l’environnement, dans l'article Cour Internationale de Justice et les essais nucléaires dans le Pacifique Sud paru en 2011. "Etant donné l’arrêt total des essais nucléaires dans l’Océanie par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, il faudra que les petits États insulaires concernés puissent démontrer que ces activités continuent de leur porter préjudice (problèmes de santé pour la population, stabilité géo-mécanique des îles, etc.) et constituent toujours une violation du droit international, base sur laquelle la Cour Internationale de Justice pourra examiner leur demande. Le stockage permanent de déchets radioactifs sur certaines îles à la suite des essais nucléaires pourrait être le vecteur juridique d’une action devant la Cour", ajoutait-il avant de rappeler "Même si, une fois saisie, la Cour estime avoir compétence, elle n'est pas toujours contrainte d'exercer cette compétence. » La Cour est en effet très prudente devant le pouvoir souverain des États en matière de défense nationale.

Qu'est-ce qu'un crime contre l'humanité ?

La notion de crime contre l'humanité est définie par l’article 7 du statut de Rome. Voici ce qu'il dit :

"1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque:

a) Meurtre;

b) Extermination;

c) Réduction en esclavage;

d) Déportation ou transfert forcé de population;

e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international;

f) Torture;

g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable;

h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour;

i) Disparitions forcées de personnes;

j) Crime d'apartheid;

k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale."





Rédigé par Mélanie Thomas le Lundi 8 Août 2016 à 15:05 | Lu 6465 fois