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Nucléaire et brouilles locales mis en scène à l’ONU


Le siège de l’Organisation des Nations Unies à New York (Photo AFP).
Le siège de l’Organisation des Nations Unies à New York (Photo AFP).
PAPEETE, 2 octobre 2019 - La commission onusienne en charge des questions de décolonisation doit se réunir en début de semaine prochaine à New York.  
 
Réinscrite en mai 2013 sur la liste onusienne des collectivités non-autonomes, le cas de la Polynésie française sera évoqué cette année comme depuis 2014 dans la prochaine résolution proposée par la 4e commission en charge des questions de décolonisation.
Edouard Fritch prévoit d’intervenir le 8 octobre prochain devant cette instance onusienne. Si rien ne filtre dans l’entourage du président polynésien sur le détail de son intervention, on nous assure qu’il insistera, comme depuis 2016, pour expliquer aux auditeurs de la commission les différents aspects du statut d’autonomie de la Polynésie, et l’étendue des prérogatives de l’exécutif polynésien. Il soulignera que le partenariat de la collectivité avec l’Etat est voulu par une grande majorité de Polynésiens, comme peuvent en attester les résultats des dernières élections territoriales. De son côté fidèle à une politique de la chaise vide menée depuis 2014, à moins d’un improbable coup de théâtre, aucun représentant en titre de la diplomatie française ne devrait être présent pour aborder officiellement la question polynésienne devant cette commission.

L’année dernière, le coup de théâtre était venu d’Oscar Temaru. Il avait été ourdi dans la plus grande discrétion pour se réserver le meilleur impact et une visibilité internationale. La déclaration était tombée sèchement lorsque, le 9 octobre, le leader indépendantiste avait annoncé devant les membres de la 4e commission de l’ONU le dépôt d’une "plainte" (un signalement en réalité) devant la Cour pénale internationale pour crime contre l'humanité. En ligne de mire : "tous les présidents français" encore vivants ayant été en exercice lors des expérimentations nucléaires en Polynésie. Hasard du calendrier ou conséquence : s’en est suivi pour le leader indépendantiste une série d'ennuis avec la justice : perte de son siège à l’assemblée, suite au rejet de ses comptes de campagne, et une condamnation en correctionnelle - qu’il estime en lien - dans l’affaire Radio Tefana. Une situation que comptent dénoncer les pétitionnaires indépendantistes, cette année à New York.

"Une quinzaine" de pétitionnaires Tavini

Oscar Temaru ne fera pas le déplacement. Son absence est due à "plusieurs facteurs", selon son gendre, le député Moetai Brotherson : Il est convalescent et a des dossiers communaux qui requièrent sa présence ici. Rien n’exige qu’il soit à New York."

Une "quinzaine" de pétitionnaires du Tavini Huiraatira doit en revanche partir en fin de semaine, pour intervenir devant la 4e commission de l’ONU. Les huit élus de l’assemblée territoriale font le déplacement. Déjà sur place, Richard Tuheiava "prépare le terrain" depuis quelques jours.

Des échanges ont eu lieu entre plusieurs membres du parti indépendantiste et Gaston Flosse, au sujet d’une possible participation de ce dernier au déplacement. Rien ne semble arrêté pour l’instant, selon l’élu Tahoera’a Geffry Salmon. Ce que confirme Antony Géros, président du groupe Tavini à Tarahoi. Il assure que le Tavini n’a plus de nouvelles du Vieux Lion autonomiste "depuis juin", à ce sujet. Gaston Flosse est actuellement à Paris où il a participé en début de semaine aux hommages rendus à Jacques Chirac.

Cette année, l’association 193 ne sera pas représentée à New York. Une incertitude sur la date de la réunion a contraint les trois pétitionnaires (Maxime Chan, Auguste Carlson et Jerry Gooding, de Rikitea) à renoncer au déplacement, faute de moyens financiers suffisants pour prolonger leur séjour dans la métropole américaine.

L’Eglise protestante ma’ohi missionne trois représentants : son nouveau président, François Pihaatae, une déléguée des associations de jeunes, Tiaremaohi Tairua, et Philippe Neuffer, qui sera également là pour le compte de l’association Moruroa e Tatou.

L'amendement Tetuanui dans le viseur

Si le président Fritch dira probablement qu’il n’y a pas de sujet lié à la décolonisation, pour tous ces pétitionnaires polynésiens, il s’agira de soutenir le processus d’autodétermination engagé depuis le 17 mai 2013 à l’ONU et dénoncer sa non-application par la France. La Puissance administrante est accusée depuis l’année dernière d’avoir exercé des pressions sur le Comité spécial de la décolonisation pour retirer le paragraphe 11 de la résolution de 2013. La réinscription de ce paragraphe sera demandée. L’omission de cette disposition permet à la France de se départir de son "obligation" de rendre compte annuellement à l’Assemblée générale des Nations Unies des actions conduites en Polynésie pour résorber les conséquences économiques, environnementales et sanitaires des essais nucléaires. Pour Antony Géros, c'est un comble : "La France donne des leçons internationales sur la décolonisation et la protection de l’environnement. On veut dire à l’ONU qu’ici, chez nous, toutes ces belles leçons elle les foule du pied."

Autre fait qui sera rapportée devant la 4e commission : l’adoption, fin décembre 2018 au Parlement, de l’amendement Tetuanui à la loi d’indemnisation des victimes du nucléaire. Avec cette modification législative, "tout est dit", critique le député Moetai Brotherson. Pour renverser la présomption de causalité acquise jusqu’alors aux malades polynésiens atteints d’un des cancers reconnus comme potentiellement radio-induit, la loi Morin requière dorénavant des plaignants qu’ils justifient d’une exposition minimale (1 millisievert) aux rayonnements ionisants. "N’est-ce pas se moquer du monde ?", demande le parlementaire indépendantiste. Il est rejoint sur ce point par le Frère Maxime, président du bureau exécutif de l’association 193, qui dénonce l’absence de mesures dosimétriques permettant d’apprécier clairement l’exposition des plaignants. 

Toutes les interventions des pétitionnaires polynésiens devant la 4e commission seront retransmises en direct sur le site internet de l’ONU, la semaine prochaine.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 2 Octobre 2019 à 16:59 | Lu 2371 fois