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Les pêcheurs de Moorea, informateurs des chercheurs


Une équipe de scientifiques mène des recherches sur les poissons herbivores, en collaboration avec des pêcheurs de Moorea. ©Recodem
Une équipe de scientifiques mène des recherches sur les poissons herbivores, en collaboration avec des pêcheurs de Moorea. ©Recodem
Moorea, le 27 juin 2022 - La restitution des travaux de recherche du projet Recopem dans le lagon de Moorea, menés en collaboration avec des scientifiques, des pêcheurs et un ethnologue depuis 2018 a eu lieu samedi au Fare Amuiraa de Maatea. Elle s'est déroulée en présence notamment de quelques comités de pêche de l’île. Le but du projet était d’étudier les interactions entre les poissons herbivores et les algues ainsi que la compétition entre les algues et les coraux.

Dans le projet Recherche collaborative pour la pêche à Moorea (Recopem), des écologues de la station Gump (centre de recherche de l'université de Berkeley, à Moorea) qui sont des spécialistes des poissons, des algues ainsi que des pêcheurs de Moorea et un anthropologue ont mené conjointement des travaux de recherche dans le lagon de l'île. Ces recherches portent sur les interactions entre la pêche et les poissons herbivores ainsi que sur les compétitions entre les algues et les coraux depuis 1998.

“Le travail des biologistes scientifiques est de comprendre les poissons, ce qui se passe avec le corail… On essaie de travailler ensemble parce qu’on est convaincu que la pêche a des effets sur les lagons et que les transformations qui se passent dans le lagon vont aussi avoir des effets sur le métier de pêcheur”, rappelle Jean Wencélius, anthropologue à la station Gump et coordinateur du projet Recopem. Il explique que “les algues et les coraux sont en compétition les uns avec les autres pour l’espace et la lumière. Quand les coraux meurent, les algues viennent. Ce qui fait que les coraux ont du mal à revenir. S’il y a beaucoup de poissons herbivores, ceux-ci mangent les algues turbunaria ou sargassum et il peut y avoir beaucoup de coraux. S’il y a moins de poissons herbivores, cela laisse plus de place aux algues pour pousser.” Les autres facteurs qui contribuent à la prolifération de ces algues sont également pris en compte comme le déversement dans le lagon comme les substances nocives provenant des fosses sceptiques, les engrais, les pesticides... 

©Recodem
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Le rôle des pécheurs n’est pas non plus négligeable dans le projet Recopem : “L’idée concernant la pêche était de documenter très finement le savoir de pêcheurs parce qu’ils savent plein de choses sur le lagon et peuvent nous dire où se trouvent les poissons ainsi que les algues qui poussent”, précise Jean Wencélius.  
 
Les pêcheurs produisent les données
 
Les scientifiques ont notamment réalisé des travaux de comptage de poissons et d’identification autour de Moorea des sites intéressants pour leur étude comme ceux où le corail est en bonne santé et où les algues sont nombreuses. Pendant ce temps, des informations ont aussi été récoltées sur les activités de pêche de 2018 à 2021 à travers des tracés GPS des sorties en mer ainsi que la prise de photos par une quarantaine de pêcheurs de l’île. “On a récolté plus de 1 900 tracés sur les sorties de pêche pendant quatre ans. On a des informations comme le jour et l’heure de la pêche, le type de bateau utilisé, le nombre de tui (ou filoche de poissons), ce que ces pêcheurs ont en fait avec, etc. On leur demandait également de prendre des photos qu’on allait utiliser. C’est une première dans le Pacifique d’avoir une information aussi riche. Ce sont en plus les pêcheurs eux-mêmes qui produisent ces données”, ajoute encore l’anthropologue.

Une restitution des résultats préliminaires a eu lieu samedi au Fare Amuiraa de l’église protestante de Maatea en présence notamment de différentes associations environnementales et comités de pêche de l’île. “Avec les données qu’on a, on peut très clairement dire par exemple ce que la chasse sous-marine de la nuit peut rapporter en une heure, en nombre de kilos… On sait aussi ce que chaque technique de pêche peut ramener. Le tout, c’est que pour comprendre si les poissons herbivores ont vraiment un effet sur les algues et le corail, il faut essayer de superposer les informations spatiales avec les comptages de poissons et les photos. Une carte a été créée dans laquelle on voit des zones où il y a plus de poissons, plus de corail, plus d’algues… On peut savoir en plus, grâce aux données sur les sorties de pêche, si la présence de nombreuses algues est due aux activités de pêche”, explique Jean Wencelius.

Alors que le projet Recopem touche à sa fin, les scientifiques continueront à travailler en collaboration avec les pêcheurs de l’île. Leur prochaine action sera d’apporter leur connaissance au comité de pêche de Maharepa pour étudier les impacts du système d’interdit temporaire de pêche dans le lagon de Maharepa et de Tiaia instauré par les membres du comité dans le cadre du PGEM2. Après la restitution des résultats samedi matin, la parole a été donnée à différentes associations environnementales et comité de pêche dans l’après-midi afin que ces derniers fassent un rappel de leurs actions ainsi que de leurs préoccupations. C’était aussi l’occasion pour les scientifiques d’adapter leurs questions de recherches en fonction des besoins des pêcheurs.

Jean Wencélius, anthropologue et coordinateur du projet Recopem :
“Il y a beaucoup de méfiance des pêcheurs vis-à-vis des scientifiques”

"Je me suis intéressé dans ce projet aux humains, aux habitants de Moorea. Mon travail est de comprendre les habitants de Moorea, surtout les pêcheurs, sur leurs problèmes, leurs connaissances, leurs préoccupations. Le but du projet Recopem est de faire en sorte que les scientifiques apprennent des pêcheurs et vice-versa. Il y a beaucoup de méfiance des pêcheurs vis-vis des scientifiques lorsqu’ils les voient passer en bateau, créer des cages. Ils ne se parlent pas. L’idée est aussi de créer de meilleurs liens entre les deux parties et que tout le monde soit gagnant."

François Temauri, pêcheurs et membre comite de pêche de Afareaitu :
“Je veux vraiment que ça change”

“A chaque sortie de pêche, je faisais des tracés GPS. En revenant, je prenais des notes sur le nombre de poissons pêchés, les espèces, la quantité. J’y allais plutôt le soir. Cela servait à voir différentes espèces de poissons comme les ume tārei, les poissons perroquets… On a constaté des espèces en voie de disparition comme les ume tārei. Je pense que c’est dû à ce qu’on a entendu ce matin, c'est-à-dire les algues ainsi que la pollution des rivières par exemple. On en parle entre pêcheurs. Cela fait longtemps qu’on parle des soucis de pollution, mais rien n’est fait encore. On ne fait que rabâcher ce problème en fait. Ça fait longtemps qu’on se pose la question pour savoir comment éradiquer ce problème. On vient nous dire ensuite qu’il faut réduire la pêche et qu’il y a trop de pêcheurs. Je veux vraiment que ça change.”

La restitution des travaux de recherche du projet Recopem a eu lieu samedi à Maatea..
La restitution des travaux de recherche du projet Recopem a eu lieu samedi à Maatea..

Rédigé par Toatane Rurua le Lundi 27 Juin 2022 à 20:14 | Lu 1421 fois