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Les maraîchers du fenua opposés à la libération des marges distributeurs


Photo : Chambre de l'Agriculture et de la Pêche Lagonaire (CAPL)
Photo : Chambre de l'Agriculture et de la Pêche Lagonaire (CAPL)
PAPEETE, 16 avril 2019 - Les producteurs de fruits et légumes locaux craignent pour l’avenir de leur profession après la dernière modification de la liste des produits de première nécessité et des produits de grande consommation. Ils demandent au gouvernement de maintenir les produits de l’agriculture locale dans le régime des marges réglementées.
 
Deux syndicats de producteurs de fruits et de légumes locaux adressent une lettre ouverte au gouvernement pour dénoncer le retrait de tous les produits agricoles locaux du périmètre de la réglementation polynésienne des prix et des marges. Les agriculteurs demandent le maintien de ces produits sous l’égide du régime général des prix et des marges, seul moyen selon eux de leur garantir un revenu correct face aux distributeurs.

Jusqu’au 15 février dernier, une dizaine de légumes de production locale figuraient dans la liste des Produits de première nécessité (PPN) : les tomates, les concombres, les choux verts et blancs, le pota, les salades, les navets, les aubergines, le taro, les courgettes. Pour ces derniers, la marge réalisée par les commerçants était réglementée dans le cadre d'un régime d'exonération de TVA. Les autres fruits et légumes locaux étaient inclus dans la listes des Produits de grande consommation (PGC), avec une marge maximum de 35 % et une TVA au taux réduit de 5 %.

Depuis l’arrêté n° 225 CM du 15 février 2019, tous les légumes frais et les fruits de production locale (à l’exception de la pomme de terre entière) ont disparu du tableau annexé à l’arrêté et donc du périmètre de la réglementation fixant le régime général des prix et des marges des produits aux différents stades de la commercialisation en Polynésie française. Et c’est tout un écosystème agricole qui redoute les conséquences délétères de cette décision gouvernementale sur son avenir économique. Les agriculteurs craignent la dégradation de marges ne leur laissant, affirment-ils, qu'un bénéfice "équivalant à 35% maximum du prix au détail".

"Nous avons appris avec stupeur lors de la conférence agricole du 19 mars 2019 que vous aviez procédé en conseil des ministres au retrait de tous les produits agricoles locaux de la liste des PGC", s’indigne le syndicat des producteurs de fruits et le syndicat des maraîchers de Polynésie française, dans un courrier adressé lundi au gouvernement. "La modification (…) s’est faite en toute opacité : nous considérons que c’est une preuve de mépris pour les professionnels de l’agriculture."

Si jusqu’à présent le système leur assurait un revenu qu’ils estiment au tiers du prix de détail de leurs produits, les producteurs redoutent de se trouver assez vite à financer la marges des grossistes et des commerçants à leurs dépens. "Nous ne souhaitons pas nous calquer sur le modèle français qui conduit les producteurs, malgré les aides, à la paupérisation. A cause de ce texte nous ne serons plus qu’une variable d’ajustement dans la structure de prix d’un produit pour lequel nous aurons réalisé la plus grande part de plus-value" sans que cela ne bénéficie aux consommateurs, par une baisse des prix.
 
Quelle conséquence sur les prix de détail ?
 
"J’aimerais que l’on m’explique comment, en libérant les marges, ils espèrent faire baisser les prix", s’interroge Françoise Henry, la présidente du syndicat des producteurs de fruits. Pour illustrer cette crainte, les producteurs citent d’ailleurs l’exemple du citron des Marquises vendus en gros "entre 150 et 250 Fcfp" le kilo hors saison et au détail, à Tahiti, "entre 800 et 1900 francs" avec un effet pervers sur la production locale qui, du coup ne trouve que difficilement preneur dans le circuit de distribution. "Je ne comprends pas quelle direction veut prendre le Pays. J’en viens à me demander s’ils ne souhaitent pas en venir au tout-import, en empêchant les agriculteurs de développer les ressources propres. Les gens qui font à manger, dans un pays, c’est quand même important."
 
Le problème, comme le relève l’Autorité polynésienne de la concurrence, dans l’avis rendu le 2 avril dernier sur les effets de la réglementation des prix sur le fonctionnement des marchés de produits de première nécessité, c’est que le contrôle des marges n’a qu’une influence marginale sur la baisse des prix. Et, en ce qui concerne les PPN cette réglementation ne permet pas de garantir l’accès des produits aux plus démunis. Au fenua, les tomates fraîches sont principalement achetées par les ménages les plus aisés tandis que "19 % des salades et à peine 7 % des courgettes achetées le sont par les ménages qui disposent de moins de 74 000 Fcfp par unité de consommation et par mois (40 % des ménages)".

"Jusqu’à présent, l’agriculteur était protégé par ce dispositif, en ayant l’initiative sur les prix", analyse un spécialiste à l’Autorité polynésienne de la concurrence. "Plus les prix de production étaient élevés, plus les marges des commerçant étaient importantes : tout le monde s’y retrouvait, dans un système de faible concurrence, sauf le consommateur. En libérant, on peut espérer que le jeu de l’offre et de la demande ait un effet vertueux sur les prix. Et si jamais les producteurs subissent des pressions liées à des abus de position dominante de la part des distributeurs, cela nous intéresse d’en être informé. Pour eux, la solution est probablement de travailler ensemble, de se réunir en coopérative."

"Ça, ça risque d’être très compliqué", estime Moetini Moutame, jeune exploitant d’une parcelle en agriculture biologique à Papara.  "Les agriculteurs d’ici ne s’entendent pas. Il y en aura toujours un pour aller brader sa production à côté."

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 16 Avril 2019 à 17:30 | Lu 2103 fois