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Le lauréat du Man Booker Prize Richard Flanagan fait revivre la guerre du Pacifique


"Dans mon pays, la littérature n’a émergé qu’il y 40 ans", confie l’écrivain australien Richard Flanagan, venu présenter à Paris "La Route étroite vers le Nord lointain" (Actes sud), le roman qui lui a valu le prestigieux Man Booker Prize.

Et pourtant, "même à l’âge de trois ans, j’ai toujours voulu écrire", poursuit-il, lors d’un entretien à l’AFP.

Alors que les commémorations des 70 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale viennent de s’achever, Flanagan, 54 ans, fait revivre dans son 6e et dernier roman, tout juste traduit en français, un épisode un peu oublié de la guerre du Pacifique : la construction d’une voie ferrée entre la Thaïlande et la Birmanie, en 1943, par des prisonniers de guerre, sous le  joug des Japonais. Une fresque splendide, dédiée au prisonnier 335, son père.

"Contrairement à beaucoup de prisonniers de guerre qui n’en parlaient pas, mon père nous a raconté certains moments, sur un mode humoristique. Quand on nous a tout pris, qu’on est littéralement nus dans la jungle comme ils l’étaient, l’humour est la seule part d’humanité qui reste", explique l’auteur.

Ce roman était "le livre que je devais écrire", dit-il. Cinq versions et 12 années ont été nécessaires. Sur la fin, Flanagan s’est rendu au Japon, où il a rencontré un ancien bourreau des prisonniers australiens. "J’ai demandé à un ancien garde, connu pour sa cruauté, de me gifler, car c’était l’une des punitions utilisées. Son corps se rappelait du geste, même si lui niait se souvenir du moindre épisode de cruauté. Quand j’ai vu ce vieil homme âgé, gracieux, j’ai ressenti une grande tristesse de voir ce que la guerre fait aux hommes", raconte Flanagan.

 

- Descendants de bagnards -

 

L’auteur a achevé son roman le jour de la mort de son père. Depuis, l’ouvrage a fait son chemin, remporté le Man Booker Prize en 2014, puis bien d’autres prix, et été acheté par 41 pays. Pas de quoi transformer Flanagan, environnementaliste chevronné très attaché à sa Tasmanie natale, cette île sauvage du sud de l’Australie. Né à Longford, ville minière au milieu de la forêt, là où l’on peut marcher des jours durant avant de rencontrer âme qui vive, l’auteur est le 5e de 6 enfants. Chez les Flanagan, descendants de bagnards irlandais, la bibliothèque de la ville est alors un sanctuaire. "Mes grands-parents ne savaient ni lire, ni écrire. Mon père avait connu l’illettrisme de près et connaissait le pouvoir des mots", explique-t-il.

Son père, prof, enseigne aussi aux enfants le goût de la liberté. A 16 ans, lorsque Richard quitte l’école, il ne proteste pas. Le fils retournera d’ailleurs à l’université, et, brillant, obtiendra la prestigieuse bourse Rhodes pour étudier à Oxford. Après trois ans sur place, il s’empressera de revenir en Tasmanie, où il s’est marié et a eu trois filles.

Flanagan, l’allure fraîche et solide de ceux que la nature australienne n’effraie pas, écrit dans son repaire, face à la mer, sur la verte île de Bruny. "Quand je suis à Hobart (la capitale de Tasmanie, ndlr), je suis un homme sociable, alors je progresse moins". Sur son île, il s’adonne aussi à ses passe-temps favoris, part pêcher ou pagayer en mer. Le kayakiste émérite a même un rapide de Tasmanie nommé en son hommage. Il observe l’environnement, s’émerveille des espèces d’oiseaux qui peuplent Bruny. Flanagan s’émeut beaucoup moins en revanche de sa nouvelle gloire. "Il ne faut pas prendre trop au sérieux les passages en pleine lumière, car sinon on prend trop à cœur l’ombre", affirme-t-il. Deux semaines après le Man Booker Prize, sa mère est décédée. "Cela m’a permis de me souvenir de ce qui était important, et de ce que je voulais continuer à faire : écrire", dit-il.


le Vendredi 15 Janvier 2016 à 04:04 | Lu 404 fois