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Le Sénat adopte la loi sur la rétrocession des atolls des essais nucléaires


Le Sénat adopte la loi sur la rétrocession des atolls des essais nucléaires
PARIS, 18 janvier 2012 (AFP) - Le Sénat a adopté mercredi soir une proposition de loi sur le suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires en Polynésie française dont le point principal est la rétrocession à cette collectivités des atolls de Moruroa et Fangataufa.

La proposition de loi, portée par le sénateur polynésien Richard Tuheiava (app. PS), a été votée par les groupes de la majorité de gauche (PS, EELV, CRC et RDSE), le groupe UMP a voté contre et les centristes de l'UCR se sont abstenus.

Ce texte doit encore être inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée pour poursuivre son parcours parlementaire, hypothèse improbable vu l'opposition franche de l'actuel gouvernement.

Il prévoit que la Polynésie recouvre la possession au 1er janvier 2014, mais que l'Etat continue d'en assurer la sécurité et la surveillance radiologique et géo-mécanique. Il permet également une information plus transparente sur les expertises menées sur ces lieux.

M. Tuheiava a déployé avec emphase son argumentaire: "Nous sommes passés à quelques millimètres d'un crime contre l'humanité, quand à 20.000 km, une grande nation se développait grâce à une énergie en partie due aux expérimentations menées loin, là bas, en Polynésie".

"Moruroa et Fangataufa sont les deux plus grandes décharges à ciel ouvert en milieu océanique" mais ces "deux enfants souillés malgré eux" doivent être "réintégrés à la table du dîner familial", a lancé le sénateur, n'hésitant pas à brandir un caillou de Moruroa à la tribune, en proposant au ministre de la Défense de le lui offrir "pour qu'il le mette sous l'oreiller d'un être cher".

Gérard Longuet a, lui, insisté sur les "informations que recèlent ces atolls que nous n'avons pas l'intention de mettre à disposition d'acteurs malveillants", parlant d'un devoir de garantir la sécurité des lieux "aux yeux du monde" pour éviter toute prolifération nucléaire.

"La meilleure garantie pour la Polynésie est que ces atolls reste sous la tutelle régalienne de l'Etat", a insisté le ministre de la Défense, ajoutant que "pour être d'une région de charbon, le charbon a créé beaucoup plus de dégâts que le nucléaire".

M. Longuet a tenté de donner des gages sur le volet sanitaire -non débattu dans ce texte- assurant que le décret d'application de la loi Morin de 2010 prévoyant d'indemniser les victimes des essais nucléaires français était en cours d'"arbitrage interministériel" sans donner de date de publication. En effet, peu de Polynésiens ont pu présenter un dossier compte tenu des conditions très restrictives du texte en vigueur.

Jean-Claude Lenoir (UMP) a tenté de s'opposer sur le terrain juridique, rappelant que les deux atolls étaient du domaine militaire et que leur cas ne pouvait se régler par une proposition de loi.

Mais ces arguments n'ont pas fait le poids face au bloc de la nouvelle majorité de gauche sénatoriale, les écologistes étant trop heureux de pouvoir parler de "résilience" sur cette question du nucléaire, rappelant la tragédie du bateau de Greenpeace, coulé sous les ordres de François Mitterrand.



Le Sénat a adopté, en première lecture, la proposition de loi présentée en session extraordinaire dont la teneur suit :

Article 1

Les atolls de Moruroa (Mururoa) et de Fangataufa sont rétrocédés au domaine public de la Polynésie française à compter du 1er janvier 2014.

L'État poursuit de manière pérenne la réhabilitation environnementale ainsi que la surveillance radiologique et géomécanique permanente des deux atolls. Un décret en Conseil d'État fixe, après avis de l'Assemblée de la Polynésie française, les modalités de cette assistance.

Article 2

Sur le territoire des atolls de Moruroa et de Fangataufa, le fait pour toute personne physique ou morale d'entreprendre des activités de recherche à des fins militaires est puni de quinze années de détention criminelle et de 300 000 € d'amende.

Article 3

Pour assurer la radioprotection des personnes, le dispositif de surveillance radiologique et géomécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa est assuré par l'État en coopération avec la Polynésie française et les communes de Tureia, des Gambier, de Nukutavake et de Hao, dans le respect du principe de précaution énoncé dans la Charte de l'environnement de 2004.

Les modalités de la coopération entre l'État, la collectivité d'outre-mer de la Polynésie française et les communes citées au premier alinéa sont déterminées par convention.

L'autorité chargée du contrôle de l'application, sur les atolls de Moruroa et Fangataufa, de la politique de sûreté nucléaire et de radioprotection applicable aux installations et activités nucléaires intéressant la défense confie, au moins une fois par an, une mission d'expertise, comportant des travaux d'analyses, de mesures ou de dosages, sur ces deux atolls, à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Les résultats de ces missions sont rendus publics dans un délai de douze mois, selon des modalités fixées par décret.

Article 4

Pour assurer la protection et l'évacuation des populations adjacentes, les risques environnementaux relatifs à la situation radiologique et géomécanique des deux atolls de Moruroa et Fangataufa sont intégrés dans les mesures de sauvegarde, les plans opérationnels et les moyens de secours nécessaires pour faire face aux risques majeurs et aux catastrophes en Polynésie française.

Un plan particulier d'intervention est élaboré en concertation avec les autorités locales concernées et l'État.

Ces dispositifs préventifs sont mis en place en coopération avec la Polynésie française ainsi que les communes de Tureia, des Gambier, de Nukutavake et de Hao.

Article 5

Il est créé, auprès du Premier ministre, une Commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires. Cette commission est composée des ministres chargés de la défense, de la santé et de l'environnement ou de leur représentant, du président du gouvernement de la Polynésie française ou de son représentant, du ministre du gouvernement de la Polynésie française chargé de l'environnement ou de son représentant, du président de l'Assemblée de la Polynésie française ou d'un représentant désigné, de deux députés de la Polynésie française, de deux sénateurs de la Polynésie française, du président du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire ou de son représentant, des maires des communes de Tureia, des Gambier, de Nukutavake et de Hao, de représentants des associations représentatives des personnels civils ou militaires en Polynésie française, de représentants des associations représentatives dans le domaine de la protection de l'environnement en Polynésie française et de personnalités scientifiques qualifiées dans les domaines suivis par la commission.
La répartition des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, son organisation et son fonctionnement sont précisés par décret en Conseil d'État.

Article 6

Le suivi des questions relatives à l'environnement des atolls de Moruroa et Fangataufa est attribué à la Commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires. Elle assure une large diffusion des résultats de ses travaux sous une forme accessible au plus grand nombre.
La commission reçoit les informations nécessaires à l'accomplissement de ses missions de la part du ministre de la défense et de ses services, dans le respect des dispositions relatives aux secrets protégés par la loi.
La Commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires assure le suivi de l'application de la présente loi. À cet effet, elle produit tous les trois ans un rapport public présentant ce suivi.
La Commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires assure également le suivi des impacts et effets du réchauffement climatique sur la stabilité géomécanique et le relâchement de nucléides radioactifs dangereux provenant, d'une part, des couches souterraines de la couronne des deux atolls de Moruroa et Fangataufa et, d'autre part, des hauts de puits rebouchés à base de déchets radioactifs en contact avec l'eau lagonaire.

Article 7

Les conséquences financières résultant pour l'État de la présente loi sont compensées par une majoration, à due concurrence, des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 18 janvier 2012.
Le Président,
Signé : Jean-Pierre BEL

Rédigé par Sénat.fr le Mercredi 18 Janvier 2012 à 07:41 | Lu 3070 fois