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La Terre aride des Hommes


Tahiti le 2 mai 2022 - Depuis 2018, les quantités de pluie tombées sur l’archipel des Marquises sont largement inférieures à la normale. Une situation qui inquiète les météorologues, car les stocks en eau sur les îles ne se renouvellent plus tandis que les départs de feu sur une végétation aride sont de plus en plus fréquents.
 
Cela fait maintenant cinq ans que la pluie ne tombe pas suffisamment sur les Marquises. Les taux de pluviométrie normaux ne sont plus atteints, et les répercussions, pas toujours visibles, sont pourtant bien réelles. “Les Marquises connaissent depuis 2018 une sécheresse météorologique importante qui commence à réellement devenir problématique”, explique Sébastien Hugony, ingénieur des travaux de la météorologie à Météo France. “Quand on parle de sécheresse météorologique, il faut bien comprendre qu’il s'agit d'un déficit de pluie par rapport à la normale sur une période de temps minimum mensuelle et pouvant s’étendre sur plusieurs années. On compare les quantités de pluie recueillies par rapport à ce qu’on devrait avoir normalement. Les données sont ensuite quantifiées avec des indices de sécheresse qui vont de sec à extrêmement sec”.

Les pluies survenant toutefois grâce aux alizés qui amènent des nuages s’accrochant sur les reliefs à l’est des îles sont malheureusement insuffisantes pour recharger les nappes phréatiques et créer du débit dans les rivières. Elles restent malheureusement totalement superficielles.

Sébastien Hugony, ingénieur des travaux de la météorologie à Météo France, interpelle sur une sécheresse qui dure depuis maintenant cinq ans.
Sébastien Hugony, ingénieur des travaux de la météorologie à Météo France, interpelle sur une sécheresse qui dure depuis maintenant cinq ans.
La Niña mise en cause
 
Cette sécheresse, extrêmement importante, s’expliquerait par un phénomène scientifique connu aussi bien des météorologues que des habitants des Marquises. “Sur ces cinq dernières années, on est à 50% de déficit, ce qui est énorme, en particulier sur une aussi longue durée”, souligne l’ingénieur de la météo. “Depuis 2018, on a le phénomène La Niña qui nous touche. Il s’agit d’une anomalie fraîche des températures de l’océan équatorial. Il y a donc moins d’évaporation, donc moins de formations de nuages et donc moins de pluies. Actuellement, il y a en plus des phénomènes observés en haute atmosphère qui accentuent les impacts de La Nina, et donc de la sécheresse aux Marquises”.
 
Si ce phénomène est capable d’expliquer pourquoi il pleut actuellement moins sur les Marquises, les météorologues ne peuvent être certains de son exact fonctionnement, ni de combien de temps il va bien pouvoir encore durer. On ne peut donc pas vraiment savoir s’il est normal ou pas que La Nina dure depuis 2018. L’ingénieur météo rappelle à titre d’exemple l’épisode fort du phénomène El Niño, qui correspond au réchauffement des eaux, survenu en 1997, et qui avait laissé juste derrière place à La Niña entre 1998 et 2001.

“On sait que les phases El Nino vont généralement amener soit des conditions neutres, soit le phénomène La Nina”, ajoute Sébastien Hugony. “Mais tous ces phénomènes sont difficilement compréhensibles même par les spécialistes car ils sont associés à énormément de paramètres. Ce dont nous sommes néanmoins certains, c’est qu’il ne faut pas relier cette sècheresse au problème de changements climatiques. Le dernier rapport du Giec indique d’ailleurs qu’aucun lien n’a été trouvé entre les phases d’El Nino et de La Nina et le réchauffement climatique”. La solution la meilleure pourrait donc être la fin de La Niña.
 
Des comportements à adopter
 
Cette sécheresse, réellement importante, amène évidemment de nombreux dommages collatéraux depuis plusieurs années, en particulier sur certaines îles. Au-delà des stocks de ressources en eau, les départs de feu sur une végétation extrêmement sèche sont un réel problème. “Il est primordial de communiquer des conseils de comportement notamment à propos du brûlage des végétaux”, ajoute Sébastien Hugony. Des comportements qui ont été déjà largement intégrés et compris, comme à Tahuata, où l’on ne déplore pas un seul départ de feu depuis maintenant deux ans.  

Félix Barsinas : “La population accepte, elle a conscience que l’eau est devenue une denrée rare”

Felix Barsinas, cinquième vice-président de la Codim et maire de Tahuata
Felix Barsinas, cinquième vice-président de la Codim et maire de Tahuata
Que ressentez-vous vis-à-vis de cette situation météorologique qui dure depuis maintenant plusieurs années ?

“La sécheresse est très présente aux Marquises, quelle que soit l’île où l’on se trouve. Certaines sont bien-sûr plus impactées que d’autres, mais la situation est inquiétante de manière générale. La côte ouest est très exposée et particulièrement touchées, c’est là que le déficit pluviométrique est le plus remarqué. Ce n’est pas normal, nous n’avons plus les saisons qui sont marquées. On subit les conséquences directes du dérèglement climatique, c’est ce qu’il me semble”.
 
Comment est-ce que la population vit ce problème de sécheresse dans les îles ?

“Il y a une résilience de cette population marquisienne là où le taux de pluviométrie est déficitaire. La population accepte cela et réussit à s’adapter de manière générale. On est par exemple forcé de rationner par des coupures d’eau régulières à Ua Pou et à Nuku Hiva, dans le village principal. Mais la population l’accepte, elle a conscience que l’eau est devenue une denrée rare et fait ce qu’il faut pour qu’elle soit préservée”  
 
Quelles pourraient être les solutions les plus adaptées si la sécheresse persiste encore longtemps ?

“Il est très important de veiller à la constance de l’accès à l’eau pour nos administrés. Ce serait certainement une bonne chose si l’on pouvait encourager les foyers à s’équiper en citernes individuelles. Il y a une loi du Pays pour que les habitants des Tuamotu puissent bénéficier d’une citerne individualisée ; ça serait bien d’étendre le dispositif financier aux Marquises. Au-delà de ça, est-ce que l’on doit réfléchir à re-végétaliser les zones arides et si oui comment ? Est-ce que l’on doit solliciter des agronomes ou des botanistes pour qu’il puisse nous aider à régénérer avec des espèces qui puissent supporter cette chaleur ? Nous sommes arrivés à cette réflexion-là. Peut-être qu’il faudra aller chercher d’autres ressources en eau, en employant peut-être dans le futur d’autres technologies. Est-ce qu’il faudra aller chercher d’autres ressources ou d’autres technologies” 
 

Les côtes ouest des îles Marquises, ici Tahuata, sont les plus touchées par la sécheresse, car à l'abri des nuages poussés par les alizés.
Les côtes ouest des îles Marquises, ici Tahuata, sont les plus touchées par la sécheresse, car à l'abri des nuages poussés par les alizés.

Rédigé par Simon Saada le Lundi 2 Mai 2022 à 19:33 | Lu 2255 fois