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Japon: à Minamiboso, la pêche à la baleine est une raison d'être


Tokyo, Japon | AFP | jeudi 30/01/2019 - Pour Tetsuya Masaki, ouvrier de l'industrie baleinière, la capture et consommation de cétacés est non seulement une tradition japonaise, c'est aussi la raison d'être de sa minuscule communauté, à Minamiboso, à quelque 70 km au sud de Tokyo. 

Ici, résidents, écoliers et touristes sont invités à assister à la découpe des baleines, une façon de perpétuer et enseigner l'histoire d'un rite régional vieux de 400 ans. 
Maintenue sous perfusion grâce aux prises scientifiques (exception autorisée par la communauté internationale) pendant trois décennies de suspension de pêche commerciale, l'activité a périclité, reconnaît M. Masaki, dont l'employeur Gaibo Hogei est une des rares sociétés restantes.
La consommation annuelle au Japon est passée de 200.000 tonnes dans les années 1960 à moins de 5.000 tonnes depuis une dizaine d'années, selon les plus récentes données de l'Agence des pêches, et le secteur ne survit que grâce aux subventions du gouvernement, de l'ordre de quelque 5 milliards de yens (un peu plus de 40 millions d'euros par an).
Pour Yoshinori Shoji, patron de Gaibo Hogei, même si elle est jugée "trop tardive", la décision du Japon de se retirer de la Commission baleinière internationale (CBI) pour s'affranchir du moratoire de 1986 sur la pêche commerciale est "la bonne". 
A 57 ans, ce vétéran se prépare "naturellement" à reprendre la chasse en ciblant les petits rorquals une fois que Tokyo aura officiellement quitté l'instance en juin. 
Le choix de Tokyo de quitter la CBI a soulevé une vague de critiques de la part des environnementalistes et des pays anti-chasse à la baleine (Australie, Nouvelle-Zélande ou encore Canada) mais il est largement soutenu dans l'archipel. Selon un sondage de la chaîne publique NHK, 53% des Japonais l'approuvent, 37% sont contre et 10% ne se prononcent pas.
Le Japon ne chassera cependant qu'au large de ses côtes. Il renonce donc à ses expéditions scientifiques dans l'Antarctique, dénoncées par les organisations écologistes comme des violations des règles de la Commission baleinière.
 

- Nostalgie -

 
Si, officiellement, les baleines tuées depuis 30 ans le sont pour faire avancer les connaissances sur les espèces, une grande partie de la chair finit sur les étals.
C'est donc sous couvert de recherches que, chaque année, la firme de M. Shoji harponnait près des côtes 26 baleines à bec - dont les prises sont soumises à des quotas nationaux japonais - et les débarquait au port de Wada, l'un des cinq spécialisés du Japon. 
Résident de Minamiboso, Kazuo Tachikawa se réjouit que cette "spécialité régionale" ait été préservée. 
"Ici, vous pouvez acheter de la viande de baleine dans tous les supermarchés et poissonneries", assure ce septuagénaire rencontré sur une place où se dresse un énorme squelette de baleine bleue près de canons à harpon.
Le sujet ne préoccupe cependant pas tout le monde: "je ne connais même pas la différence entre la chasse à la baleine à des fins de recherche et la chasse commerciale", sourit Sada Nakamura, femme au foyer de 67 ans qui se dit dépassée par ce type de question politique. 
De nombreux membres du Parti libéral-démocrate (PLD), présidé par le Premier ministre Shinzo Abe, sont partisans de la chasse à la baleine. Et le chef du gouvernement lui-même est originaire d'une circonscription, dans la province de Yamaguchi, où cette pratique reste populaire.
Mais si la viande de cétacé était une source essentielle de protéines dans la période de disette suivant la Seconde Guerre mondiale, ce n'est plus un mets quotidien bien que les qualités diététiques de cette chair allant du blanc au rouge vif continuent d'être vantées par le secteur et ses soutiens politiques.
Selon Hisayo Takada, un responsable de l'ONG Greenpeace au Japon, "il est difficile de croire que la décision de reprendre la pêche commerciale relancera grandement l'industrie de la chasse à la baleine au Japon". 
Dans un restaurant de Tokyo servant des sushis et des côtelettes de baleine, Kunio Adachi, un retraité de 70 ans, admet qu'il ne mange de la baleine que par nostalgie.
Cependant, le tabou étant levé, quelques enseignes n'ont pas hésité à intégrer de la baleine dans les "assortiments de sashimis" dès les jours suivant l'annonce de la décision du gouvernement.

le Jeudi 31 Janvier 2019 à 07:12 | Lu 625 fois