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“J'ai eu l'impression d'entendre l'arrière-petit-fils du Général de Gaulle”


Tahiti, le 29 juillet 2021 – Le Tavini huiraatira a fustigé jeudi les propos du Président de la République sur la nécessité pour la Polynésie de profiter de la “protection” de la France dans la zone Pacifique, dénonçant également le discours du chef de l'État sur l'absence de connaissance de la dangerosité des essais nucléaires à l'époque.
 
Le leader du Tavini huiraatira, Oscar Temaru, a organisé une conférence de presse pour revenir sur le déplacement du Président de la République en Polynésie française, jeudi matin au siège du parti à Faa'a. Une visite officielle qui a donné lieu, pour le parti indépendantiste, à plusieurs rassemblements et déploiements de banderoles organisés sur le passage du cortège, malgré une interdiction de manifester ordonnée par arrêté du haut-commissaire à l'encontre du Tavini dès vendredi dernier.
 
“J'aimerais vous rappeler les propos d'un jeune homme qui s'appelle Emmanuel Macron”, a entamé Oscar Temaru face aux médias, entouré du député Moetai Brotherson, des élues Eliane Tevahitua et Valentina Cross, ou encore de la secrétaire générale du parti Vanina Crolas, et d'une demi-douzaine de militantes exclusivement féminine. “Quand il est allé en Algérie démarrer sa campagne pour les élections présidentielles en février 2017, il a fait cette déclaration que la colonisation est un crime contre l'humanité. Vous savez, je l'ai applaudi. Et je me suis dit : 'Enfin, de nouveaux hommes politiques français, jeunes, intelligents, arrivent sur la scène politique'”. Une introduction faussement flatteuse d'Oscar Temaru, pour mieux affirmer sa profonde “déception” du discours finalement tenu au fenua par le chef de l'État. “J'ai eu l'impression d'entendre l'arrière-petit-fils du Général de Gaulle".
 
“D'égal à égal”
 
“C'est inadmissible, au XXIe siècle d'avoir encore ce discours d'il y a 60 ans”, a renchéri Oscar Temaru, reprochant principalement au Président de la République d'avoir occulté toute référence aux questions d'autodétermination de la Polynésie française. Et ce malgré la procédure de décolonisation entamée avec la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non-autonomes de l'ONU en 2013. “On a l'impression que tous les Français le soutiennent. C'est faux. Je suis persuadé que la majorité nous soutient”, a repris le leader indépendantiste à propos de l'autodétermination de la Polynésie. Et le député Moetai Brotherson de lui emboîter le pas : “Encore une fois, qu'on arrête de bâtir cette image d'Épinal autour du Tavini. Qu'on est anti-Français et racistes. Non. On peut bâtir une Polynésie indépendante avec la France ou d'autres Pays. Mais en traitant d'égal à égal.”
 
Et sur ce sujet, les responsables du Tavini sont apparus également très remontés contre les propos du Président de la République sur la stratégie géopolitique française dans le Pacifique. Ils ont rappelé avoir longtemps dénoncé, sans être toujours considérés très sérieusement, l'intérêt pour la France de conserver la Polynésie française pour des raisons géopolitique, de puissance économique et maritime notamment et pour ses ressources. “Depuis 2008 en gros, les énarques et les grands stratèges de l'État découvrent l'Indo-Pacifique”, a tonné Moetai Brotherson. “C'est leur nouvelle marotte et tout doit être jugé, jaugé à l'aune de l'Indo-Pacifique. Cette stratégie qui n'est pas née dans l'esprit d'Emmanuel Macron, elle était déjà à l'étude du temps de François Hollande. Il l'a juste formalisée dans son discours de New Delhi. Mais, on en était déjà conscient au Tavini. Parce que, contrairement à d'autres, on ne vivait pas dans une espèce d'axe virtuel Paris-Papeete. On s'inscrivait dans notre région, dans notre zone Pacifique et dans le monde qui va au-delà.”
 
Les propos d'Emmanuel Macron sur la menace chinoise pesant sur la Polynésie ont également été décriés par le Tavini. “C'est indigne d'un chef d'État européen. De venir brandir la menace : 'Malheur aux petits, malheur aux isolés…'”, a dénoncé le député. "Parce que si on est dans cette logique-là du malheur aux petits, malheur aux isolés. A ce moment, il faut que la France devienne chinoise. Parce que le rapport asymétrique entre la France et la Polynésie, c'est le même ratio qu'entre la Chine et la France…” Même discours du côté du leader du Tavini. “La Chine n'a jamais colonisé qui que ce soit”, a lancé Oscar Temaru, avant de tempérer son discours en reconnaissant dans le même temps qu'il fallait bien sûr “être très vigilant” face aux intérêts économiques de la puissance chinoise dans la région.
 
Nucléaire : “Les gradés savaient”
 
Sur le sujet du nucléaire, le véritable point noir a bien évidemment été le discours d'Emmanuel Macron sur l'absence de mensonge sur la dangerosité des essais et sur le fait que “militaires et scientifiques” métropolitains étaient dans la même méconnaissance des effets des retombées radioactives. “Je ne sais pas qui est le conseiller qui lui a mis ça dans son discours, mais il faut le licencier tout de suite. Il ne connaît pas l'histoire. Oui, il y a des militaires, des engagés, le petit métropolitain venu servir la grandeur de la France, qui ont été exposés sur leur bateau, sur leur base comme les Polynésiens. Lui, on lui a menti. Mais les gradés, ceux qui savaient, ils étaient où ? Ils étaient dans des bunkers derrière des murs épais de plusieurs mètres. Pendant ce temps à Mangareva, dans le meilleur des cas, les gens étaient dans une salle omnisport en tôle”, s'est époumoné Moetai Brotherson sur ce sujet.
 
La réouverture des archives, elle-aussi, laisse dubitatif le député polynésien, en raison de la possibilité de garder le secret sur les informations “proliférantes” (relatives à des éléments techniques sur la bombe atomique et qui pourraient conduire à la prolifération des armes atomiques, si elles étaient révélées, NDLR). “Qu'est-ce qui est proliférant ? Qui va le définir ? Ce n'est pas nous, c'est le ministère des Armées qui se retrouve juge et partie.”
 
“Justice” et “souveraineté”
 
“Le contraire de la pauvreté, c'est la justice, pas la richesse. Nous rendre notre pays et notre droit de souveraineté, c'est de la justice”, a conclu Oscar Temaru. Le président du Tavini a rappelé le recensement des plaintes pour crime contre l'humanité visant les Présidents actuels et passés de la République française. “On continuera le combat en utilisant le droit et rien que le droit”.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 29 Juillet 2021 à 17:09 | Lu 3836 fois