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Infanticide de Mahina, l’incompréhensible geste


Tahiti, le 23 février 2025 - C’est une sombre affaire que la cour d’assises explore actuellement. Vendredi s’est ouvert le procès de l’homme qui a, le dimanche 30 octobre 2022, non loin de la pointe Vénus, étranglé de ses mains son fils de 3 ans. Il a reconnu les faits, mais aussi la préméditation. L’entourage appelé à témoigner ne comprend toujours pas. L’homme risque la réclusion à perpétuité.

Vendredi, après la lecture des faits, la présidente de la cour d’assises a fait lever l’accusé : “Quelle est votre position aujourd’hui ?” Silence. Et puis : “Je suis dans l’attente, j’attends que le procès se fasse”, a répondu l’homme âgé de 44 ans aujourd’hui. “D’accord, a répondu la présidente, mais est-ce que les faits tels qu’ils viennent d’être décrits correspondent à la réalité ?” “Oui”, a répondu l’accusé avec détachement.
 
Le drame a eu lieu le dimanche 30 octobre 2022, au domicile familial, à Mahina. Dans la maison se trouvaient l’accusé, sa concubine et leur enfant âgé de 3 ans. Il y avait également l’une des filles de la concubine née d’un premier lit. La petite famille s’est levée, a regardé la télévision puis l’accusé a décidé d’emmener son fils à la rivière. Les deux filles les ont rejoints sans s’attarder. Elles se sont rapidement éloignées pour aller acheter une glace. À leur retour, les rives étaient désertes. Elles sont retournées à la maison, vide aussi, en apparence. Puis, elles se sont rendues à la plage à la recherche des deux garçons. En vain.
 
Un moment d’isolement programmé
 
L’accusé et son fils, en fait, étaient à la maison, enfermés dans la chambre. “L’accusé avait programmé un moment d’isolement avec son fils”, selon le directeur d’enquête. La concubine, trouvant la chambre fermée à clé – situation inhabituelle – a décidé de passer par la fenêtre. Elle a trouvé son fils allongé sur le lit, la tête reposant sur le corps de son père visiblement endormi. Une boîte de somnifères était placée près du lit.
 
À la couleur du visage de l’enfant, la mère a aussitôt compris qu’il était mort. Elle est sortie, a tenté de le ranimer dans le salon, a giflé l’accusé pour le réveiller, contacté les secours ainsi que la gendarmerie qui sont arrivés rapidement.
 
Orgueil et amour de soi
 
Le procès va durer jusqu’à mardi. Les jurés de la cour d’assises ont donc trois jours pour chercher à comprendre ce qui a mené au drame. Vendredi, la parole a été donnée aux témoins, des proches de l’accusé, son père adoptif, mais aussi un ancien employeur ou encore une ex-compagne, ainsi qu’au directeur de l’enquête. Les faits ont été posés, reconnus, de même que la préméditation qui a été clairement exposée au cours de l’enquête. Les témoignages ne permettent pas d’y voir plus clair. Seul le directeur de l’enquête a partagé ses conclusions : “Ce geste a été guidé par l’orgueil et l’amour de soi. Le bébé a été une arme dans le règlement d’un conflit conjugal poussé au paroxysme. À défaut de pouvoir expliquer humainement ce drame, je dirais que le bébé a été sacrifié sur l’autel de l’égocentrisme de l’accusé.”
 
Le directeur de l’enquête est revenu sur le déroulé du drame, “l’accusé a décrit une pratique clinique”, précise-t-il, même s’il apparaît qu’il aimait son fils. Il a raconté : le dernier biberon, le câlin, la strangulation, les coups d’arts martiaux portés au cou pour parvenir à ses fins, la préméditation. L’accusé a tout détaillé lors des interrogatoires, il a assuré qu’il lui avait fallu 20 minutes pour réussir à tuer son fils, qu’il avait été dérangé à deux ou trois reprises sans changer de cap, que le bébé était “revenu” deux ou trois fois. Selon lui, la prise de somnifères que l’accusé associe à une tentative de suicide, n’était en réalité “qu’un geste pour masquer les faits. Il n’a jamais eu l’intention de se donner la mort.” Il ajoute : “Il a une absence d’affect. Il n’a jamais exprimé aucune compassion pour la douleur de la mère.”

L’accusé, “un bon garçon” selon son père adoptif et “un bon employé” selon l’un de ses anciens supérieurs, n’a jamais connu son père biologique. Il a vécu auprès d’une mère “colérique” qui ne parvenait pas à se contenir. À la demande de la présidente de la cour, il liste : “Gifles, balai nī’au, ceinture”.

Au fil des témoignages, il ressort que l’accusé ne présente aucune tendance dépressive et suicidaire. “Il n’est pas capable de porter atteinte à sa propre personne, il s’aime trop”, a dit une ex-compagne. Toujours selon les témoignages, l’homme, violent, consommait alcool et cannabis avec la mère de son fils qui, en plus, serait dépendante à l’ice.
 
“Il était à bout”
 
Leur vie commune, rythmée par les crises de jalousie, les coups et les séparations, s’est déroulée à Punaauia et à Mahina où l’accusé et sa concubine ont vécu un temps avec l’ex-compagnon de cette dernière. Les témoins qui ont connu le couple étaient sûrs “qu’il ne tiendrait pas”. Aujourd’hui, ils restent tous abasourdis par le drame. “Cela me choque encore, je ne pensais pas qu’il serait capable de ça”, indique un ancien supérieur. “Je ne l’imagine toujours pas capable d’une telle chose”, dit une ex-compagne. Seul le père adoptif a tenté une hypothèse : le drame s'est produit “parce qu’il était à bout”.
 
Lundi, la cour donnera la parole aux experts et à d’autres témoins. La mère de la victime est particulièrement attendue, même si elle a déjà fait savoir qu’elle ne viendrait pas. “Elle ne peut plus évoquer le nom de son fils, la chambre est devenue un mausolée. C’est une maman qui a le cœur brisé”, a justifié la grand-mère maternelle en fin de journée vendredi. “Je ferai mon possible pour qu’elle vienne”, a-t-elle promis.   
 
Le procès se poursuit jusqu'à mardi. L’accusé encourt la réclusion à perpétuité.
 

Rédigé par Delphine Barrais le Dimanche 23 Février 2025 à 17:54 | Lu 3435 fois