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Gouvernement Lecornu 2 : Les élus polynésiens sceptiques


Tahiti, le 13 octobre 2025 – À peine nommé et déjà en voie d'être censuré d'ici la fin de la semaine, la classe politique polynésienne ne se fait guère d'illusions sur le gouvernement Lecornu 2. Après avoir voté la censure du gouvernement Bayrou, la députée Nicole Sanquer veut “laisser une chance” à cette nouvelle équipe estimant que l'urgence est avant tout de voter un budget. Du côté du Tapura, Tepuaraurii Teriitahi regrette devoir tout “recommencer à zéro” avec une nouvelle ministre des Outre-mer, et souligne le parallèle entre la situation politique que connaît la métropole aujourd'hui avec l'instabilité politique qu'a connue la Polynésie entre 2004 et 2013. Enfin, pour l'élu de la majorité Tavini Tematai Le Gayic, la Polynésie est le cadet des soucis de la France qui ne se soucie des Outre-mer que lorsque “ça va mal”. Réactions.

Nicole Sanquer (Ahip) : “Je pense que les députés doivent faire preuve de responsabilité”
 
“Aujourd'hui, l'urgence est d'avoir un budget. On le sait, ce sera un budget technique donc il ne va pas révolutionner la politique de l'État, mais j'ai l'impression qu'on confond tout. Il y a une guerre des partis actuellement par rapport au rejet du président Macron, mais moi, je ne vais pas censurer le gouvernement parce qu'aujourd'hui, je pense que c'est aux députés d'aménager ce budget en fonction de leur vision, et en plus, on a une garantie que le Premier ministre n'intégrera pas le 49-3. Je connais bien Naïma Maoutchou. C'est quelqu'un qui est assez à l'écoute et je vais travailler avec elle. On va devoir reprendre tous les dossiers soumis, notamment celui de l'AGRASC [Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, NDLR], pour le fonds pour lutter contre les drogues. Concernant la convention santé, j'ai eu l'occasion de participer au mois de juin à une réunion avec le gouvernement polynésien et le ministre de la Santé, M. Neuder ; mais depuis plus rien. Il y avait beaucoup de points qui bloquaient, notamment les molécules onéreuses. Peut-être qu'avec un nouvel interlocuteur, certaines choses vont pouvoir se débloquer (...). J'avais voté la censure du gouvernement Bayrou parce que je m'étais plainte justement des interlocuteurs qu'on avait en face, alors j'espère qu'avec cette nouvelle équipe, on sera plus à l'écoute et on va avoir des arbitrages concrets. Mais cette semaine est critique puisque le dépôt des motions de censure par LFI et le RN est effectif, donc on prévoit un vote d'ici mercredi, voire jeudi. (...) Donc voilà, on est dans l'attente, mais je voudrais bien donner une chance à ce gouvernement où des membres sont issus de la société civile (...). Je pense que les députés aujourd'hui doivent faire preuve de responsabilité. Il y a une urgence de voter un budget avant le 31 décembre pour ne pas retomber dans cette loi spéciale qui finalement n'arrange rien, ne répond pas aux urgences de la population. Si le gouvernement est de nouveau censuré cette semaine je pense qu'il n'y aura pas d'autre alternative que de repartir aux élections et de dissoudre l'Assemblée nationale.
 

 
Tematai Le Gayic : “Les Outre-mer, on s'en préoccupe quand ça va mal”
 
 
“Naïma Moutchou qui est députée à l'Assemblée nationale, était ministre de la Fonction publique dans le gouvernement Lecornu 1 qui a duré jusqu'à 12 heures. Elle a été nommée ministre des Outre-mer, donc je crois plutôt que c'est un gouvernement de ceux qui ont accepté de monter, même pour quelques jours (...) En finalité ce gouvernement ne tient que par la peur de retourner aux élections. (...). Si on en revient à la Polynésie, Manuel Valls est resté un an ministre des Outre-mer. Il a eu une feuille de route qui était très claire : la reconstruction de Mayotte et le dossier calédonien. Donc il s'est vraiment occupé des situations d'urgence. Pour l'avoir côtoyée quand on était tous les deux députés de 2022 à 2024, Naïma Moutchou n'est pas une parlementaire qui est proche des sujets Outre-mer. (...) Encore une fois, il y a une vue à Paris qui est très hexagonale. Les Outre-mer, on s'en préoccupe quand ça va mal. La Polynésie est un territoire qui se porte bien, donc il n'y a pas d'enjeu particulier. Quand je vois la difficulté pour nos cinq parlementaires de faire aboutir leurs dossiers auprès du gouvernement central depuis Michel Barnier jusqu'à Lecornu, c'est bien la preuve que je ne vais pas dans un discours extrême en disant que Paris s'en fout de la Polynésie. (...) Au regard de la situation politique extrêmement fragile en France, je crois qu'il y a quatre dossiers prioritaires pour la Polynésie. Il y a cette convention État-Pays sur la Santé qu'il ne faut pas rater. Il y a la convention État-Pays sur l'Éducation avec la convention décennale qui va arriver en 2026. C'est négocié tous les dix ans, donc on ne peut pas se permettre de le louper. Et là, ça tombe bien que le ministre de l'Éducation qui vient d'être nommé, c'est le directeur général de l'enseignement en France. Ensuite, il y a la proposition de loi de Mereana Reid-Arbelot sur les conséquences des essais nucléaires. Il faut faire aboutir le dossier parce qu'il y a une commission d'enquête. Et enfin, le plus prioritaire dans le budget 2026, c'est la défiscalisation. (...) De Mme Borne à M. Attal, puis de M. Barnier à M. Bayrou et à M. Lecornu, deux fois, ça fait six gouvernements en trois ans. Je pense que la clé vient du président de la République. Et je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut aller à une présidentielle anticipée.”

Tepuaraurii Teriitahi (Tapura)  : “Ce que la France vit aujourd'hui, c'est exactement ce que la Polynésie a vécu de 2004 à 2013”
 
“Alors première réaction, une nouvelle ministre des Outre-mer qu'on ne connaît pas forcément, qui n'a pas un parcours très connu au niveau des Outre-mer, donc reste à voir quelle est sa connaissance des Outre-mer et de la Polynésie en particulier, on va être chauvin. C'est une avocate de formation, donc elle s'est beaucoup aussi attachée à l'aspect juridique des accords qu'il y a pu y avoir en Nouvelle-Calédonie. Mais j'ai l'impression qu'elle n'a pas forcément de connaissances sur le dossier polynésien. Le souci ce n'est pas la personne, que ce soit Manuel Valls ou un autre ministre, mais c'est la continuité. On aurait aimé effectivement que le même ministre soit reconduit, donc en l'occurrence Manuel Valls, puisqu'il s'était déplacé en Polynésie dans tous nos archipels, avait vu nos réalités et la diversité de nos besoins. Aujourd'hui on a une nouvelle ministre, donc il va falloir rediscuter. C'est comme si on recommençait tout à zéro, et ça risque de prendre du temps et de nous en faire perdre au niveau de nos projets et puis de nos financements. La convention Santé était aussi dans les tuyaux et est en phase de finalisation ; mais à cause de l'instabilité, la signature a constamment été repoussée. J'espère qu'elle ne va pas être mise en cause – je pense honnêtement que non, puisqu'on est à un stade du dossier où on doit conclure –, parce qu'on sait que c'est le pôle santé qui nous prend le plus de financements. (...) Nous, ce qu'on veut, c'est de la continuité, on veut avancer dans les dossiers, et pour ça, effectivement, il ne faut pas que ça change de gouvernement toutes les cinq semaines. Il nous faut absolument retrouver de la stabilité au sein du gouvernement national, parce que l'instabilité là-bas a des conséquences réelles sur la Polynésie. Ce que la France vit aujourd'hui, c'est exactement ce que la Polynésie a vécu de 2004 à 2013, et peut-être qu'il devrait s'inspirer du modèle polynésien pour acquérir une majorité stable, parce qu'on voit bien les effets néfastes de l'instabilité.”

Rédigé par Stéphanie Delorme le Lundi 13 Octobre 2025 à 16:29 | Lu 1921 fois