Le Conservatoire artistique de la Polynésie française forme chaque année près de 1.850 élèves et attire des milliers de spectateurs.
Tahiti, le 18 septembre 2025 - La Chambre territoriale des comptes a passé au crible la gestion du Conservatoire artistique de la Polynésie française de 2019 à 2024. Si elle salue son rôle unique dans la transmission des arts traditionnels, elle pointe une gestion chaotique, des diplômes dévalorisés et une dépendance massive aux subventions.
Le Conservatoire artistique de la Polynésie française (CAPF) “Te Fare Upa Rau” est, depuis 1979, une vitrine de la culture du Fenua. Chaque année, il forme environ 1.850 élèves et propose une vingtaine de spectacles qui rassemblent plus de 12.000 spectateurs. On y enseigne la musique, le théâtre, les arts visuels, mais surtout les arts traditionnels (chant, danse, percussions, ‘ōrero) qui mobilisent aujourd’hui 58 % des élèves du CAPF. Pourtant, derrière cette réussite culturelle, le dernier rapport de la Chambre territoriale des comptes (CTC) dévoile un établissement sous perfusion financière, mal géré et peu démocratique dans son accès.
Des partenariats qui changent la donne
Depuis cinq ans, le CAPF a multiplié les interventions en milieu scolaire grâce aux classes à horaires aménagés (CHAM et CHAD). Ces partenariats ont fait bondir les effectifs : les élèves inscrits dans le cadre de ces dispositifs représentent désormais 50 % des effectifs comptabilisés à la rentrée 2024 contre 23 % cinq ans plus tôt. Ce choix stratégique a permis de rapprocher l’enseignement artistique des jeunes, mais aussi de déplacer le centre de gravité du Conservatoire. Résultat : moins d’inscriptions directes à Tipaerui, une plus grande dépendance vis-à-vis des établissements partenaires et un rayonnement qui reste cantonné à l’agglomération de Papeete. La CTC avertit : il vaut “mieux cerner les avantages et les limites de ces partenariats”, sous peine de fragiliser la vocation première de l’établissement. “Le rapport sous-estime les efforts réalisés pour étendre l’action du CAPF au-delà de Papeete”, se défend la direction de l'établissement.
C’est l’un des points noirs du rapport : le CAPF a perdu son label de conservatoire départemental. Les diplômes qu’il délivre – certificat ou diplôme d’études musicales et traditionnelles – n’ont plus aucune reconnaissance nationale. Les élèves désireux de poursuivre un cursus doivent partir en métropole ou trouver des partenariats extérieurs. Le Conservatoire n’offre plus la plus-value d’un diplôme reconnu, il devient une école artistique locale, tranche la CTC. Pour y remédier, la juridiction financière recommande de signer un partenariat avec un conservatoire labellisé avant fin 2025.
Le directeur, Fabien Mara-Dinard, reconnaît le problème mais précise que “dans les faits, l’absence de labellisation ne fait pas obstacle à la poursuite d’études supérieures en métropole puisque depuis sa création en 1979, la procédure visant à poursuivre des études supérieures après le conservatoire de Polynésie n’a jamais changé”. Néanmoins, le CAPF n’exclut pas la possibilité d’un partenariat et envisage une collaboration future avec un conservatoire à rayonnement départemental ou régional d’ici la fin de l’année 2025.
Comptes flous et recettes envolées
Mais la critique la plus sévère porte sur la gestion. Le Conservatoire ne peut pas préciser exactement combien d’élèves il accueille, ni combien d’heures de cours effectuent ses enseignants. Les factures sont incomplètes, les listes d’attente mal gérées, et des incohérences existent entre cahiers de présence et base informatique. Bilan : des pertes de recettes allant jusqu’à 10 millions de francs par an, sans justification. La CTC pointe aussi un régime dérogatoire du temps de travail, appliqué à tous les enseignants et accompagnateurs, qui coûte plus de 113 millions de francs par an.
Par ailleurs, le CAPF affiche la volonté de rendre la culture accessible à tous. Mais la base de données de l’établissement révèle une autre réalité : 72 % des élèves sont issus de familles de cadres, professions libérales ou intermédiaires. Seuls 31 élèves issus de milieux défavorisés ont bénéficié de cours gratuits en 2024. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan des besoins. La CTC recommande une réforme tarifaire intégrant des critères sociaux dès 2026.
Pour autant, tout n’est pas sombre. Les spectacles organisés par le Conservatoire sont de véritables événements populaires : soirées de ‘ori Tahiti, concerts, festival du jazz, master class avec des danseurs ou musiciens internationaux. En 2024, plus de 6.200 personnes ont assisté aux journées des arts traditionnels. Ces manifestations contribuent au rayonnement du patrimoine polynésien et attirent un public bien au-delà des familles d’élèves.
Sur le plan pédagogique, l’établissement a réorganisé ses cursus pour se rapprocher des standards nationaux et harmoniser les pratiques. Des collaborations sont en discussion avec des conservatoires français (Poitiers, Lille, La Réunion) ainsi qu’avec des institutions à l’étranger, comme la Kamehameha School à Hawaii ou l’université Tulane de La Nouvelle-Orléans.
Un avenir incertain
Au final, le rapport décrit un établissement à la fois indispensable et fragile. Indispensable, parce qu’il reste le principal lieu de transmission des arts traditionnels polynésiens, porteur d’une mission culturelle unique. Fragile, parce qu’il dépend à 67 % des subventions du Pays, qu’il affiche des déficits chroniques et qu’il peine à s’inscrire dans un cadre national ou international. “Le conservatoire ne figure pas parmi les établissements les plus subventionnés du Pays”, objecte de son côté le directeur du conservatoire. “Enfin, les ressources propres générées par le Conservatoire représentent en moyenne 20 à 25 % de ses produits d’exploitation (…). Et, contrairement à ce qui est avancé dans le rapport de la chambre, la trésorerie de l’établissement ne s’en trouve pas gravement tendue.”
La CTC a formulé 12 recommandations, allant de la modernisation des statuts à la sécurisation des recettes, en passant par la mise en conformité des bâtiments recevant du public. Cette réflexion appelle à une clarification : veut-on maintenir un conservatoire sous perfusion, ou en faire une institution moderne, reconnue et accessible à tous ?
Le Conservatoire artistique de la Polynésie française (CAPF) “Te Fare Upa Rau” est, depuis 1979, une vitrine de la culture du Fenua. Chaque année, il forme environ 1.850 élèves et propose une vingtaine de spectacles qui rassemblent plus de 12.000 spectateurs. On y enseigne la musique, le théâtre, les arts visuels, mais surtout les arts traditionnels (chant, danse, percussions, ‘ōrero) qui mobilisent aujourd’hui 58 % des élèves du CAPF. Pourtant, derrière cette réussite culturelle, le dernier rapport de la Chambre territoriale des comptes (CTC) dévoile un établissement sous perfusion financière, mal géré et peu démocratique dans son accès.
Des partenariats qui changent la donne
Depuis cinq ans, le CAPF a multiplié les interventions en milieu scolaire grâce aux classes à horaires aménagés (CHAM et CHAD). Ces partenariats ont fait bondir les effectifs : les élèves inscrits dans le cadre de ces dispositifs représentent désormais 50 % des effectifs comptabilisés à la rentrée 2024 contre 23 % cinq ans plus tôt. Ce choix stratégique a permis de rapprocher l’enseignement artistique des jeunes, mais aussi de déplacer le centre de gravité du Conservatoire. Résultat : moins d’inscriptions directes à Tipaerui, une plus grande dépendance vis-à-vis des établissements partenaires et un rayonnement qui reste cantonné à l’agglomération de Papeete. La CTC avertit : il vaut “mieux cerner les avantages et les limites de ces partenariats”, sous peine de fragiliser la vocation première de l’établissement. “Le rapport sous-estime les efforts réalisés pour étendre l’action du CAPF au-delà de Papeete”, se défend la direction de l'établissement.
C’est l’un des points noirs du rapport : le CAPF a perdu son label de conservatoire départemental. Les diplômes qu’il délivre – certificat ou diplôme d’études musicales et traditionnelles – n’ont plus aucune reconnaissance nationale. Les élèves désireux de poursuivre un cursus doivent partir en métropole ou trouver des partenariats extérieurs. Le Conservatoire n’offre plus la plus-value d’un diplôme reconnu, il devient une école artistique locale, tranche la CTC. Pour y remédier, la juridiction financière recommande de signer un partenariat avec un conservatoire labellisé avant fin 2025.
Le directeur, Fabien Mara-Dinard, reconnaît le problème mais précise que “dans les faits, l’absence de labellisation ne fait pas obstacle à la poursuite d’études supérieures en métropole puisque depuis sa création en 1979, la procédure visant à poursuivre des études supérieures après le conservatoire de Polynésie n’a jamais changé”. Néanmoins, le CAPF n’exclut pas la possibilité d’un partenariat et envisage une collaboration future avec un conservatoire à rayonnement départemental ou régional d’ici la fin de l’année 2025.
Comptes flous et recettes envolées
Mais la critique la plus sévère porte sur la gestion. Le Conservatoire ne peut pas préciser exactement combien d’élèves il accueille, ni combien d’heures de cours effectuent ses enseignants. Les factures sont incomplètes, les listes d’attente mal gérées, et des incohérences existent entre cahiers de présence et base informatique. Bilan : des pertes de recettes allant jusqu’à 10 millions de francs par an, sans justification. La CTC pointe aussi un régime dérogatoire du temps de travail, appliqué à tous les enseignants et accompagnateurs, qui coûte plus de 113 millions de francs par an.
Par ailleurs, le CAPF affiche la volonté de rendre la culture accessible à tous. Mais la base de données de l’établissement révèle une autre réalité : 72 % des élèves sont issus de familles de cadres, professions libérales ou intermédiaires. Seuls 31 élèves issus de milieux défavorisés ont bénéficié de cours gratuits en 2024. Autant dire une goutte d’eau dans l’océan des besoins. La CTC recommande une réforme tarifaire intégrant des critères sociaux dès 2026.
Pour autant, tout n’est pas sombre. Les spectacles organisés par le Conservatoire sont de véritables événements populaires : soirées de ‘ori Tahiti, concerts, festival du jazz, master class avec des danseurs ou musiciens internationaux. En 2024, plus de 6.200 personnes ont assisté aux journées des arts traditionnels. Ces manifestations contribuent au rayonnement du patrimoine polynésien et attirent un public bien au-delà des familles d’élèves.
Sur le plan pédagogique, l’établissement a réorganisé ses cursus pour se rapprocher des standards nationaux et harmoniser les pratiques. Des collaborations sont en discussion avec des conservatoires français (Poitiers, Lille, La Réunion) ainsi qu’avec des institutions à l’étranger, comme la Kamehameha School à Hawaii ou l’université Tulane de La Nouvelle-Orléans.
Un avenir incertain
Au final, le rapport décrit un établissement à la fois indispensable et fragile. Indispensable, parce qu’il reste le principal lieu de transmission des arts traditionnels polynésiens, porteur d’une mission culturelle unique. Fragile, parce qu’il dépend à 67 % des subventions du Pays, qu’il affiche des déficits chroniques et qu’il peine à s’inscrire dans un cadre national ou international. “Le conservatoire ne figure pas parmi les établissements les plus subventionnés du Pays”, objecte de son côté le directeur du conservatoire. “Enfin, les ressources propres générées par le Conservatoire représentent en moyenne 20 à 25 % de ses produits d’exploitation (…). Et, contrairement à ce qui est avancé dans le rapport de la chambre, la trésorerie de l’établissement ne s’en trouve pas gravement tendue.”
La CTC a formulé 12 recommandations, allant de la modernisation des statuts à la sécurisation des recettes, en passant par la mise en conformité des bâtiments recevant du public. Cette réflexion appelle à une clarification : veut-on maintenir un conservatoire sous perfusion, ou en faire une institution moderne, reconnue et accessible à tous ?
Les 12 recommandations clés de la CTC
Nouer un partenariat avec un conservatoire labellisé (d'ici fin 2025).
Actualiser les statuts (d'ici fin 2026).
Mettre en place une politique tarifaire sociale (dès la rentrée 2026).
Élaborer un projet d’établissement (d'ici fin 2025).
Clarifier les rôles pédagogiques (responsables, coordinateurs).
Faire respecter la durée légale du temps de travail.
Déployer une gestion prévisionnelle des emplois et compétences.
Respecter les règles budgétaires de séparation des exercices.
Mettre en conformité les bâtiments recevant du public.
Fiabiliser la base élèves.
Simplifier la gestion des partenariats scolaires avec la DGEE.
Sécuriser les recettes en fiabilisant la régie et la comptabilité.
Nouer un partenariat avec un conservatoire labellisé (d'ici fin 2025).
Actualiser les statuts (d'ici fin 2026).
Mettre en place une politique tarifaire sociale (dès la rentrée 2026).
Élaborer un projet d’établissement (d'ici fin 2025).
Clarifier les rôles pédagogiques (responsables, coordinateurs).
Faire respecter la durée légale du temps de travail.
Déployer une gestion prévisionnelle des emplois et compétences.
Respecter les règles budgétaires de séparation des exercices.
Mettre en conformité les bâtiments recevant du public.
Fiabiliser la base élèves.
Simplifier la gestion des partenariats scolaires avec la DGEE.
Sécuriser les recettes en fiabilisant la régie et la comptabilité.




































