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Comment le confinement a bouleversé l'économie du fenua


Tahiti, le 21 juillet 2020 – Dans sa dernière étude, l'IEOM montre l'impact brutal du confinement de six semaines sur l'économie polynésienne et notamment sur la consommation. Globalement, les entreprises se sont endettées pendant que les ménages ont épargné.

Alors que tous les acteurs économiques redoutent les effets catastrophiques d'un re-confinement sur l'économie polynésienne, la dernière étude de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) permet de mesurer l'impact direct des six semaines de confinement sur la consommation des ménages et les finances des entreprises. Des effets diamétralement opposés, puisque les premiers ont épargné et les secondes se sont endettées. L'effet sur la consommation est particulièrement brutal, avec notamment un nombre de paiements par carte bancaire divisé par deux pendant les six semaines de confinement.

Les ménages épargnent…

Du côté des ménages, l'encours des dépôts sur les comptes bancaires a grimpé avec le confinement, passant de 304 milliards de Fcfp en décembre 2019 à 311 milliards en mars 2020, puis 317 milliards en avril et 321 milliards en mai. "En d'autres termes, les ménages, qui n'ont pas pu dépenser ou du moins qui ont eu des freins à consommer pendant cette période, ont d'une certaine manière épargné de l'argent", explique le directeur de l'IEOM, Claude Périou. Alors que le "flux moyen" de dépôts des ménages sur leurs comptes bancaires sur ces trois dernières années s'élève à 1,2 milliard de Fcfp par mois, celui-ci a atteint 1,9 milliard en mars, 6 milliards en avril et 3,6 milliards en mai ! "D'ailleurs, l'une des raisons de la reprise de la croissance, notamment à partir de mai et juin, vient de l'utilisation par les ménages de cet argent pour consommer", souligne Claude Périou. "Ça a d'ailleurs favorisé d'une certaine manière la reprise de l'activité post-confinement. Alors, bien évidemment, cette tendance aura à un moment donné une fin."
 
Du côté des crédits en revanche, c'est la chute libre. Autre signe de la chute brutale de la consommation, l'effondrement de la production des crédits aux particuliers : -1,4 milliards de Fcfp de crédits à la consommation "à corréler avec une consommation des ménages en biens durables atones", souligne l'IEOM. Fin mai, néanmoins, les flux de crédits se sont redressés "stimulés par la reprise des crédits à l'habitat". "En d'autres termes, les ménages ayant moins emprunté et ayant plus épargné se sont désendettés", détaille Claude Périou. L'IEOM concluant sur le constat que le surplus d'épargne financière nette des ménages s'établit à 12,9 milliards de Fcfp en cumul sur les trois mois de mars, avril et mai : "Soit 11,6 milliards de Fcfp de plus que sa tendance".
 
… et les entreprises s'endettent
 
Du point de vue des entreprises, l'effet est inverse sur l'endettement. Avec les prêts garantis par l'État (PGE), les sociétés du fenua ont massivement emprunté à compter du mois d'avril. Alors que le "flux moyen" des crédits sur trois ans est de 540 millions de Fcfp par mois, celui-ci a atteint 6 milliards en avril et 7,3 milliards en mai ! "On le voit, les recours aux crédits ont cru de manière importante. Ça comprend les fameux PGE qui ont permis aux entreprises de faire face aux besoins de trésorerie pendant cette période difficile", commente Claude Périou.
 
Sur les dépôts dans les comptes bancaires des entreprises, la situation est plus complexe. Sans ressources, les entreprises ont d'abord dû payer leurs charges en vidant leur trésorerie en mars. Mais dès le mois d'avril, les dépôts sont repartis largement à la hausse sous l'effet de l'apport de trésorerie par les PGE. Si le flux des dépôts est négatif en mars, il monte à 1,8 milliard en avril et 7,6 milliards en mai. Contre 620 millions de Fcfp sur un mois "normal"…
 

Claude Périou, directeur de l'IEOM : "Les ménages se sont désendettés"

Qu'est-ce qui ressort de votre étude sur le comportement des ménages durant la crise liée au coronavirus en Polynésie française ?
 
"Ce qui ressort de cette analyse, c'est de voir le comportement que les ménages et les entreprises ont eu pendant cette période de crise. Notamment sur deux points importants : leur épargne et leur endettement. En résumé, les ménages ont moins dépensé et leurs dépôts ont cru. Puisque si l'on regarde les dépôts bancaires des ménages entre décembre 2019 et mai 2020, ils sont passés de 304 milliards à 320 milliards de Fcfp. En d'autres termes, les ménages, qui n'ont pas pu dépenser ou du moins qui ont eu des freins à consommer pendant cette période, ont d'une certaine manière épargné de l'argent. Mais parallèlement à ça, ce qu'on voit c'est qu'ils ont moins emprunté, parce qu'ayant moins consommé et ayant moins de besoins. On le voit très bien dans la chute extrêmement importante des crédits aux particuliers à partir du mois de mars. En d'autres termes, les ménages ayant moins emprunté et ayant plus épargné se sont désendettés. Et d'ailleurs, l'une des raisons de la reprise de la croissance, notamment à partir de mai et juin, vient de l'utilisation par les ménages de cet argent pour consommer. C'est ce qui favorisé d'une certaine manière la reprise de l'activité post-confinement. Cette tendance, on l'a constatée en Polynésie française mais on l'a aussi constatée en métropole et dans d'autres pays. Alors, bien évidemment, cette tendance aura à un moment donné une fin. "
 
Et du côté des entreprises ?
 
"Du côté des entreprises, c'est différent. C'est un peu l'inverse. Les entreprises ont dû faire face à des charges d'exploitation importantes. Et donc si leur dépôt a cru, il a cru de manière moins forte que les dépôts des particuliers. Mais par contre, elles ont dû faire appel à des crédits. Et on le voit, les recours aux crédits ont cru de manière importante. Environ 14 milliards de Fcfp. Cela comprend les fameux PGE qui ont permis aux entreprises de faire face aux besoins de trésorerie pendant cette période difficile. D'ailleurs, si on prolongeait les chiffres après mai, sur juin et juillet, on verrait que l'endettement s'est fortement accru pendant cette période-là."
 
Comment analyser l'évolution des dépôts bancaires pour les entreprises ? On voit qu'il y a quand même un accroissement à partir d'avril.
 
"Oui, parce qu'il y a eu la mise en place des PGE. C'est-à-dire que d'abord les entreprises ont puisé dans leur trésorerie pour pouvoir financer les charges courantes, alors qu'elles n'avaient pas de recettes d'activité. Mais leur trésorerie s'est reconstituée par les PGE à partir d'avril et mai."

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 21 Juillet 2020 à 21:57 | Lu 8157 fois