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Chiffrer ce que le Fenua apporte à la République


Tahiti, le 3 juillet 2025 - L’Assemblée a adopté, ce jeudi, la création d’une commission d’enquête parlementaire chargée d’évaluer les enjeux géostratégiques, économiques, environnementaux et financiers liés à la Polynésie française et à sa zone économique exclusive. Le budget prévu, 25 millions de francs pacifiques, ainsi que ses objectifs, suscitent de vives critiques au sein de l’opposition qui y voit une future utilisation "idéologique".
 
Malgré les protestations véhémentes de l’opposition, la majorité indépendantiste de l’Assemblée de Polynésie a fait adopter, ce jeudi, la création d’une commission d’enquête parlementaire aux contours aussi vastes qu’ambitieux. Officiellement chargée de recueillir "tous les éléments d’information relatifs aux enjeux géostratégiques, environnementaux, économiques et financiers" du Fenua et de sa zone économique exclusive (ZEE), cette commission entend, en creux, rééquilibrer la narration des liens entre l’État français et la Polynésie.
 
Mais derrière les mots feutrés du rapport, l'objectif clairement assumé par ses promoteurs : documenter ce que la France doit à la Polynésie, et non l’inverse. Le président de l’Assemblée, Antony Géros, a donné le ton : "Ce n’est pas la France qui donne un poids océanique à la Polynésie, mais bien la Polynésie qui fait de la France une puissance maritime", a-t-il lancé, reprenant son siège d’élu le temps de cette délibération.
 
Une richesse stratégique sous-exploitée
 
Avec 5,5 millions de kilomètres carrés de ZEE, la Polynésie française représente la deuxième zone maritime au monde placée sous pavillon tricolore. Ses ressources sont colossales - terres rares, réserves halieutiques, potentiel énergétique, capacités de projection militaire - mais, selon les auteurs de la proposition, elles ne sont encore qu’imparfaitement mesurées et surtout rarement valorisées dans le débat public.
 
L’objectif de la commission, tel que présenté dans le rapport de l’élu Tavini Tevaipaea Huiore, est de produire un état des lieux "documenté et actualisé", fondé sur une expertise indépendante. Un cabinet d’audit international sera mandaté à cet effet. Coût de l’opération : 25 millions de francs pacifiques. Une somme jugée à la hauteur de l’enjeu par la majorité, mais qualifiée d’"indécente" par l'élue Ahip Nicole Sanquer.
 
Des accusations d’instrumentalisation politique
 
Car l’opposition n’a pas tardé à dénoncer un projet à visée idéologique, derrière les oripeaux de l’analyse stratégique. Les groupes Tapura et A Here Ia Porinetia ont voté contre ou préféré s’abstenir, craignant une utilisation partisane des conclusions.
 
"Ce qui me dérange, ce n’est pas tant le rapport mais son utilisation", a déclaré Tepuaraurii Teriitahi, élue Tapura. "Nous ne sommes pas contre la transparence (...) Mais ce document servira à porter l’idéologie du Tavini et sera intégrer à d'autres scènes. Ça nous dérange". Même inquiétude du côté de Nicole Sanquer (Ahip), pour qui le projet n’est "qu’un prétexte à un rapport de commande politique visant à conforter un discours indépendantiste déjà bien connu". L’ancienne ministre est allée plus loin en dénonçant une "litanie d’objectifs flous, vastes et dispersés", dissimulant mal une intention partisane.
 
Des critiques balayées par Antony Géros, qui a réfuté tout calcul politique. "Il ne s’agit pas d’un jeu politique"
 
Un coût qui fait débat
 
Le montant alloué à la mission, 25 millions de francs, est l’un des principaux points d’achoppement. Nicole Sanquer s’interroge : "Qui bénéficiera de ce budget ? Qui choisira le cabinet ? Et avec quelle garantie d’impartialité ?".  Des interrogations partagées par d’autres élus de la minorité, inquiets d’un manque de transparence sur les modalités de mise en œuvre.
 
"La transparence n’est l’ennemie de personne"
 
Côté Tavini, la défense du projet s’est faite en rangs serrés. Plusieurs élus ont pris la parole pour réaffirmer la nécessité de connaître, chiffres à l’appui, la valeur réelle de la Polynésie française pour la République. "Vous n’êtes pas curieux de savoir ce que valent nos terres", a interrogé Antony Géros, à l’adresse des sceptiques. "Le rapport permettra une évaluation rigoureuse de la valeur de la Polynésie et de sa relation avec l'Etat". Allen Salmon a résumé d’une formule : "La transparence n’est l’ennemie de personne."
 
Le président du Pays, Moetai Brotherson, s’est lui aussi exprimé en fin de débat, en comparant les critiques adressées à cette commission aux festivités du 29 juin, jour de commémoration de l’autonomie. "Ce n'a certainement pas couté aux partis autonomistes. Pourtant, ça a coûté bien plus que 25 millions de francs", a-t-il lancé. Une manière de renvoyer dos à dos les accusations d’utilisation partisane des deniers publics. "Là aussi, il y avait une vision partisane des choses et de l'utilisation des fonds publiques".
 
Prévue pour remettre ses conclusions dans un délai de six mois, la commission d’enquête devrait a coup sûr, alimenter de futurs débats.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 3 Juillet 2025 à 19:18 | Lu 1892 fois