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Ces 240 "profs" en poste et qui n’enseignent pas, en Polynésie


Ces 240 "profs" en poste et qui n’enseignent pas, en Polynésie
En Polynésie française, 240 enseignants sont en poste et n’enseignent pas. Michel Leboucher entame la semaine prochaine des négociations avec les représentants du personnel de la DES et de la DEP, dans le cadre de la restructuration de ces deux établissements administratifs. Il annonce un redéploiement d’une partie de ces personnels dès 2014.

"Dans l’enseignement privé, il y a un pilotage", reconnait Michel Leboucher, ministre de l’Education, ancien directeur de l’enseignement catholique lorsqu’il évoque a contrario la situation de l’enseignement public en Polynésie. "Dans le privé, les chefs d’établissement ont des feuilles de route. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. C’est probablement (pour le Public) une des conséquences de l’instabilité politique".

Un problème de pilotage qu’il met sur le compte d’une carence "de gestion, d’analyse réelle des difficultés" : "10 années d’inertie et d’incurie des gouvernements précédents" ; une faute collective soulignée par le ministre lors d’un communiqué adressé mardi 1er octobre aux parents d’élèves du collège de Bora Bora. Vétuste, étroit et menacé par les flots, sur cette belle île le collège est emblématique de l’état d’abandon du parc d’établissements scolaires de l’enseignement public en Polynésie.

"Mais le pilotage ne doit pas exclusivement dépendre du Politique", nuance-t-il à l’annonce du grand-œuvre de son ministère : "C’est le sens des réformes que nous sommes en train de faire. La restructuration des services a pour objet principal de donner des feuilles de route aux gens sur les 5 à 10 ans à venir".

On peut en effet se demander pourquoi, à moyens égaux voire inférieurs, la situation de l’enseignement privé est-elle meilleure à tous points de vue en Polynésie.

Le ministre entame la semaine prochaine des négociations avec les représentants du personnel dans le cadre de la restructuration de la Direction de l’enseignement primaire (DEP) et de celle de l’enseignement secondaire (DES). Les deux administrations doivent être fusionnées en une entité commune, voulue plus performante. A l’heure des réformes, tandis que le Pays développe depuis 5 mois un discours "d’exemplarité" et alors que le ministre de l’Education se rend à Paris fin octobre pour prendre part à la programmation budgétaire 2014 et négocier avec l’Etat les crédits d’investissement alloués au Pays pour l’Education polynésienne, il pourrait sembler déplacé de ne pas au moins tenter de "dégraisser le mammouth", de laisser l’administration passer à travers les mailles du filet.

Le ministre entend négocier 8 milliards Fcfp sur une programmation pluriannuelle avec une urgence de près d’un milliard pour 2014 voire du triple si le Pays projette de lancer la reconstruction du collège de Bora Bora. Et à Paris on lui demandera des comptes, sur l’utilisation des crédits d’investissement passés et sur celle des moyens, les 5 000 enseignants en poste en Polynésie française.

"Je propose à l’Etat que dès l’année prochaine nous en redéployions"

Dans ce contexte, alors que les évaluations en CM2 montrent en 2012 un taux de réussite moyen de 40% en Français et 49% en Math, comparé à une moyenne nationale proche des 80%, en Polynésie près de 240 "profs" sont en poste mais n’enseignent pas : à la DES et à la DEP, ils sont 42 à faire de l’administratif dont 2 agrégés de sciences ; il y a aussi 44 conseillers pédagogiques ; 9 professeurs des écoles secrétaires de circonscription ; 100 enseignants dans la zone de remplacement ; 14 professeurs au Centre de recherche et documentation pédagogique ; 2 à la Fédération des œuvres laïques ; 31 mis à la disposition de diverses associations sportives. Sans compter les 100 directeurs d’établissement en décharge d’emploi. Pour l’Etat, l’addition est de 3,4 milliards Fcfp par an.

"Il faut relativiser", pondère Michel Leboucher qui sera confronté dès mardi à l’inertie d’un corps de fonctionnaires d’Etat des deux directions de l’enseignement, confortablement installé depuis des années dans de l’administratif et pour qui le retour à la noble tâche d’enseigner apparaît comme une disgrâce. Il lui faudra du courage politique.

Et d'annoncer : "(…) il y a effectivement un certain nombre de personnes qui sont susceptibles d’être redéployées. Nous devons y travailler. Je propose à l’Etat que dès l’année prochaine nous en redéployions : on va mettre plus d’enseignants que de classes dans certains endroits où nous en avons besoin ; on va effectivement diminuer un certain nombre de ces emplois d’encadrement, les redéployer. Dès la rentrée 2014, nous aurons près de cent personnes dans ce cas-là. (…) Le problème se pose dans le premier degré. Dans le second degré, (…) ces personnes ont des charges de cours. On va développer ce volume. Dans les années qui viennent je veux en avoir encore plus. La problématique du Pays est que tout ce qui concerne l’accompagnement pédagogique des établissements scolaires s’est beaucoup réduit. Le précédent vice-recteur a supprimé ces emplois-là. Ce qui fait qu’aujourd’hui nous n’avons plus d’accompagnement pour les enseignements débutants. Dans le privé, ces postes-là sont financés par des subventions de l’Etat. Dans le public ce sont des emplois. Ces emplois-là, je veux les redéployer. C’est le sens de notre politique, pour que dans le second degré, nous puissions accompagner le décrochage scolaire, pour permettre aux enseignants de partir en formation continue".

La Polynésie recense près de 70 000 élèves scolarisés à la rentrée 2013, dont 14 000 dans l’enseignement privé. Dans le public, 4 000 enseignants sont rémunérés par l’Etat et 900 dans le privé. L’Etat verse près de 65 milliards Fcfp par an pour la rémunération des enseignants en poste sur le territoire, dans le primaire et le secondaire des filières publiques et privées. Le statut d’autonomie de 2004 a donné la compétence en matière d’Education au Pays. Cela s'est traduit par la gestion des crédits d’investissement et des personnels, financés par l’Etat. Et par des dérives autonomistes qui contrastent mal avec le discours d'exemplarité servi par le Pays depuis juin dernier.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 3 Octobre 2013 à 14:31 | Lu 8884 fois