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Avec Duterte, la politique étrangère des Philippines entre en terrain inconnu


Manille, Philippines | AFP | mercredi 11/05/2016 - Il a proposé de défendre en jet-ski des îles reculées contre Pékin, a menacé de rompre les liens avec les Etats-Unis et plaisanté sur l'incinération du drapeau de Singapour: la politique étrangère des Philippines entre dans l'inconnu avec Rodrigo Duterte.

L'avocat de 71 ans a remporté largement la présidentielle de lundi grâce à une campagne fondée sur le populisme et le nationalisme. Son entourage dit aujourd'hui qu'il va modérer le ton une fois au palais présidentiel, le 30 juin.

Rodrigo Duterte, qui n'avait pas hésité à qualifier le pape de "fils de pute", a demandé aux ambassadeurs d'Australie et des Etats-Unis de "la fermer" lorsqu'ils avaient critiqué une plaisanterie de très mauvais goût sur le viol.

Comme l'AFP lui demandait le soir des élections s'il voulait rassurer la communauté internationale, il ne s'est pas excusé.

"Il ne s'agit pas de réconforter les autres pays. Je dois d'abord m'occuper du confort des Philippins avant de celui des autres, à l'étranger".

Le maire de longue date de Davao, grande ville du sud de l'archipel, a séduit ses fans et semé la panique chez ses détracteurs en lâchant toute une série de bombes diplomatiques durant la campagne.

Ses commentaires sur le sujet extrêmement sensible des revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale auront peut-être le plus d'impact.

Pékin considère comme territoire national la quasi-totalité de cette mer, y compris des zones situées près de pays voisins, et a construit au cours des dernières années des îles artificielles afin d'appuyer ses revendications de souveraineté.

- 'Rompre les rangs' -
Surfant sur le nationalisme ambiant, Rodrigo Duterte avait assuré qu'il irait planter le drapeau philippin en jet-ski sur ces îles reculées où Pékin est accusé de recourir à l'intimidation face à ses voisins moins puissants.

Dans le même temps cependant, il a laissé présager d'un virage important en se disant prêt à un dialogue direct avec Pékin, ce qui marque une rupture potentielle du front uni que présentent les pays concernés avec le soutien des Etats-Unis.

"Une rupture des rangs par les Philippines pourrait affecter les efforts pour faire pièce à la Chine. Il faut être unis sur cette question", dit Faisal Syam Hazis, du Centre des études asiatiques à l'Université nationale de Malaisie.

D'autres embûches diplomatiques potentielles ont été semées pendant la campagne.

Rodrigo Duterte s'est vanté récemment d'avoir personnellement tué des détenus lors d'une émeute à Davao en 1989.

C'est aussi en déclarant qu'il aurait aimer passer en premier lors du viol collectif d'une missionnaire australienne lors de cette même émeute qu'il a été condamné par Washington et Canberra.

Rodrigo Duterte l'a pris en très mauvaise part, demandant aux deux pays de se mêler de leurs affaires et évoquant la perspective d'une rupture des relations diplomatiques.

Duterte a également fortement irrité Singapour en déclarant qu'il allait brûler le drapeau de la cité-Etat. Il réagissait à un communiqué de l'ambassade de Singapour qui affirmait qu'une déclaration de soutien à sa candidature était un faux.

- Un homme changé? -
Son porte-parole, Peter Lavina, assure que c'est un autre homme qui prendra ses fonctions.

"Il faut comprendre comment ça marche les élections aux Philippines. Le contexte, c'est que les hommes politiques ont besoin de faire de la communication, alors ils veulent amuser la galerie", a-t-il dit, expliquant que l'histoire du drapeau singapourien était une blague.

"Certains plaisantent, certains font des grimaces, certains s'habillent de façon extravagante. (...) On ne s'attend pas au même comportement après la campagne".

Le porte-parole a reconnu cependant qu'il y avait un "problème" avec les représentations américaine, australienne et singapourienne.

"Nous devons envoyer des émissaires personnels pour ouvrir les lignes de communication et exprimer notre disposition à coopérer".

Mais la nuit de l'élection, Rodrigo Duterte semblait toujours être en mode électoral.

"Je ne changerai pas", a-t-il dit. "C'est à eux de savoir s'ils veulent réparer leurs erreurs".

En Chine, au moins, son programme de politique étrangère a été accueilli avec bienveillance.

Sous Benigno Aquino, les relations étaient glaciales, en raison des différends territoriaux qui ont vu les Etats-Unis dépêcher des bâtiments de guerre dans la région.

"Si quelque chose peut changer sous Duterte, c'est la diplomatie", disait mercredi le Global Times, journal proche du Parti communiste. "Il est contre la guerre avec la Chine, veut des négociations directes avec Pékin et ne croit pas que les problèmes puissent être réglés devant un tribunal international".

Rédigé par () le Mercredi 11 Mai 2016 à 06:04 | Lu 636 fois