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À Rangiroa, la vigne pousse sur l'atoll


RANGIROA, le 22 décembre 2015. Le vin de Tahiti est bien connu des habitants de Polynésie. Mais pour faire pousser des vignes à Rangiroa et vendre un vin de qualité, il a fallu de la ténacité. Portrait de Sébastien Thépénier, seul œnologue du Pacifique.

Avant d'arrivée à Rangiroa, l'œnologue Sébastien Thépénier ne connaissait rien à la Polynésie. Une annonce l'a interpellé pour exploiter une "vigne en milieu tropical". Originaire de Bourgogne, il a obtenu son diplôme en Champagne, à Reims. Il y a douze ans, il cherchait du travail et en quelques jours, il s'est retrouvé à Rangiroa. " J'avais envie de changement, je ne pensais pas que ça irait aussi vite", se rappelle-t-il. Il se retrouve sur le domaine Dominique Auroy, du nom de son fondateur et principal actionnaire.

"Une partie du vignoble était déjà en place quand je suis arrivé: deux hectares et demi de plantés, une quarantaine de cépage de testé, en 2002. Nous avons pris la décision de tester 50 nouveaux cépages, acheter du matériel et explorer d'autres terroirs", commente l'œnologue confirmé.

La vigne est plantée sur le motu le plus large de l'atoll, près de la passe d'avatoru. "On voit bien la notion de terroir, elle est très évidente ici. Nous devons travailler avec différents types de sols qui ont plus ou moins de caillou, d'humidité, de terre noire… Des zones très humides et des zones très sèches", explique-t-il. Au départ, il a essayé de faire pousser de la vigne "un peu partout" mais les parcelles ne réagissaient pas toutes de la même façon à cause du taux d'humidité dans le sol. Il a alors cartographié les sols pour mieux connaître son terrain et planter au bon endroit. Aujourd'hui, le domaine fait 6 hectares de vignes plantées et peut encore s'agrandir d'1,5 hectare.

CULTURE RAISONNEE

Les seuls prédateurs de la vigne sont les crabes. Ici, le mildiou (maladie de la vigne) ne sévit pas alors qu'en métropole c'est un fléau pour les viticulteurs. Quatre cépages principaux sont cultivés sur le domaine : le carignan, l'Italia, le muscat de Hambourg et le grenache. "Le fait d'être isolé à Rangiroa me permet de ne pas avoir les mêmes contraintes qu'en France mais bon, la nature nous en donne déjà assez ", commente Sébastien.

Le sol du vignoble est enherbé, ce qui permet de garder de l'humidité, de pomper l'eau et ainsi de le stabiliser. " C'est le seul endroit au monde où l'on plante la vigne dans du corail et des débris coralliens" s'enthousiasme le spécialiste. Et le corail apporte une saveur toute particulière au Vin de Tahiti. Un côté "pierre à fusil" et minéral, très apprécié des connaisseurs. " Le meilleur vin c'est celui qu'on aime ", nuance l'oeonologue. "Nous sommes en train de prendre conscience qu'en Polynésie on peut avoir des produits agricoles qui ont une vraie légitimité, notamment pour l'ananas et les mangues. La vigne a aussi trouvé peu à peu sa place " Après quelques cuvées inégales, le vin de Polynésie a finalement trouvé sa clientèle dans les grands restaurants et hôtels et commence à être reconnu par des sommeliers de renom.

Quatre vins sont aujourd'hui commercialisés : le rosé, le moelleux, le vin de corail et le Clos du récif. Au total, 35 à 40 000 bouteilles par an estampillées au nom du domaine sont vendues. Plus que de la quantité, le vigneron cherche encore aujourd'hui à améliorer la qualité. Le Clos du Récif, sorti en 2013 est devenu un produit phare du vignoble, partiellement vieilli en fut de chêne, il a des arômes de "vanillé, de verveine et d'ail", on le trouve essentiellement dans les restaurants.
Pourquoi les vignes de Rangiroa ne produisent pas de rouge ? "Surtout pour des raisons climatiques", répond le spécialiste. "On est en climat tropical avec des pluies très importantes qui peuvent dégrader la qualité des raisins, surtout si on cherche à pousser la maturité très loin pour faire du vin rouge". Alors que pour le vin blanc, il utilise du raisin rouge à la maturation moins poussée.
Actuellement, le domaine travaille sur une éventuelle conversion en agriculture biologique mais cela a un coût. "Le bio, au-delà d'un label, c'est plus une philosophie, ce n'est pas parce qu'on n'est pas bio, qu'on n'a pas un comportement respectueux de l'environnement", explique Sébastien Thépénier.

DEUXIEME GENERATION DE VIGNERONS

Le rognage, le taillage, l'éclaircissage, tout est exécuté manuellement. Cinq salariés sont employés à temps plein en CDI et 10 de plus le temps des vendanges et de la taille, c'est à dire 4 mois par an. En métropole, la vigne est vendangée une fois par an à la fin de l'été. A Rangiroa, on vendange tous les cinq mois ! Le vin est ensuite acheminé par bateau en cubitainer de 1000 litres, mis en bouteille à Tahiti puis stocké en chambre froide.
La deuxième génération de vigneron Puamotu travaille aujourd'hui sur le vignoble. Jacqueline et Lucien sont les gardiens du vignoble, en place depuis 1997. Leur fils a aussi été élevé dans la vigne et travaille désormais sur le domaine. "Ils ont un vrai attachement à la terre et à la vigne", souligne Sébastien.

Au final, pour l'œnologue, la vie atypique qu'il a choisie est une "expérience réussie avec des moments difficiles". "J'ai passé 6 ans tous les jours dans la vigne pour comprendre comment les choses se passaient, pour former des gens, on a tout fait. Mais le résultat est là et aujourd'hui on a un vin de qualité", conclut-il.

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Mardi 22 Décembre 2015 à 14:38 | Lu 5119 fois