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A Nouméa, les Kanak fêtent la citoyenneté "avant l'indépendance"


Nouméa, France | AFP | jeudi 24/09/2020 - "Le pays a progressé mais il y a des cicatrices de la colonisation qui sont indélébiles. On se bat pour l'égalité, pas pour mettre qui ce soit dehors": à 10 jours du référendum en Nouvelle-Calédonie, Yolinda Douima estime que seule l'indépendance apportera "une reconnaissance de l'identité kanak".

Avec ses amies d'une association de tressage traditionnel, cette pétulante Kanak tient un stand à la Fête de la citoyenneté organisée chaque année dans le centre-ville de Nouméa par le "comité 150 ans après", avec le soutien du bureau politique du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste, indépendantiste).

Férié, le 24 septembre, jour où en 1853 la France prit possession de l'île, était jadis une journée de deuil pour les Kanak. Avant de devenir une journée de la citoyenneté, en référence à la citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie créée par l'accord de Nouméa (1998), qui organise la décolonisation par étapes de l'archipel.

Reposant sur des restrictions au droit de vote (lié notamment à la durée de résidence en continue dans l'archipel) et un accès privilégié au marché de l'emploi, cette infracitoyenneté, unique dans la République, vise à faire émerger une communauté de destin entre les Kanak (39% de la population) et les autres communautés, après un passé colonial violent.

"Nous sommes le peuple premier, mais on ne se sent pas assez reconnu. Il n'y a que l'indépendance pour nous libérer des traumatismes du passé", assène Yolinda, en dépit des politiques menées depuis 30 ans sur le Caillou pour "restituer au peuple kanak son identité confisquée", selon les termes du préambule de l'accord de Nouméa.

Sur un grand parking, qui fait face au marché de Nouméa, une enfilade de tivolis -- abris de toile provisoires -- abrite des ventes de tee-shirts, de plantes ou de la propagande électorale et entoure une scène où alternent danses et discours politiques, sous un soleil mordant.         

La Nouvelle-Calédonie étant indemne du coronavirus - 26 cas répertoriés, tous guéris et aucun endogène - aucune contrainte n'est imposée aux rassemblements.         

Des clivages toujours forts

"C'est un moment fort de la campagne pour fédérer. Je crois que l'écart va se resserrer le 4 octobre", jour du deuxième référendum d'autodétermination, anticipe Jean-Louis Koroma, animateur de la journée et premier secrétaire général adjoint de l'Union Calédonienne (FLNKS).         

Lors du premier référendum sur l'indépendance le 4 novembre 2018, les partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France l'avaient emporté avec 56,7% des suffrages, un score inférieur à leurs prévisions et à celles des sondages.

Idéologiquement marquée, la fête a attiré un nombreux public presque exclusivement kanak, acquis à la cause indépendantiste, illustrant la ténacité des clivages ethniques et politiques calédoniens où le vivre-ensemble avance à petits pas.

"Les Kanak font l'effort d'aller vers les autres mais les autres ne viennent pas. Je crois que je suis presque la seule +zoreille+ ici (métropolitaine, ndlr). Il faut construite l'indépendance avec eux", confie Stéphanie, une Bretonne installée à Nouméa depuis sept ans.

"J'étais indépendantiste en Bretagne et je pense qu'on est bien dans sa vie que si on est bien dans son identité", poursuit-elle.        

A la mi-journée, une fresque est dévoilée sur le site, pavoisé aux couleurs du drapeau kanak. Sur une plaque de contre-plaqué, deux artistes ont peint "une main qui tient la Nouvelle-Calédonie et une flèche faitière (sorte de totem, ndlr), trouée d'une porte vers l'indépendance".

"Je suis Kanak et sur ma carte d'identité c'est marqué Français. On existe où dans ce monde? Nos armes maintenant, c'est ce tableau et demain quand on sera indépendant, c'est ensemble qu'on va faire le pays", confie l'un des artistes.

le Jeudi 24 Septembre 2020 à 10:46 | Lu 637 fois