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À Marseille, après le drame, des dizaines d'immeubles devenus fantômes


À Marseille, après le drame, des dizaines d'immeubles devenus fantômes
Marseille, France | AFP | vendredi 15/11/2018 - Un chat dans une cage et deux cartons à dessins: c'est tout ce qu'a pu sauver Clara. Comme elle, plus de 800 Marseillais ont dû évacuer leur appartement, principe de précaution oblige, depuis l'effondrement de deux immeubles du centre-ville.

Onze jours après le drame qui a fait huit morts dans le quartier populaire de Noailles, "ça n'arrête pas", lâche un marin-pompier dépêché jeudi sur une évacuation d'immeuble. Au total, 834 personnes ont été évacuées de 83 bâtiments, devenus fantômes, à travers la ville, selon la mairie.
À côté de l'Opéra comme face à la préfecture, de plus en plus d'immeubles douteux de la deuxième ville de France, aux façades parfois lézardées de fissures, sont murés ou bouclés.
"Les dossiers se multiplient, parce qu'il y a un peu de psychose. Mais en même temps, pour de nombreux dossiers, on s'aperçoit que c'est assez fondé", commente Me Jérôme Rambaldi, un avocat qui défend plusieurs évacués.
"Ça permet malheureusement de mettre l'accent sur les difficultés qui sont rencontrées dans l'habitat marseillais dans de nombreux quartiers", où les questions de mal-logement étaient bien connues, ajoute-t-il.
Les experts, requis par la mairie, sont très sollicités et mettent plusieurs heures, voire parfois plusieurs jours, à intervenir, après l'évacuation d'urgence sous l'œil des pompiers.
"En ce moment, il n'y a pas de zone grise": au moindre doute sur la sécurité de l'immeuble, "c'est le couperet" et les habitants sont évacués, explique à l'AFP un architecte qui s'apprête à inspecter un bâtiment.
C'est ce qui est arrivé vendredi dernier à Nalha Bouskaya dans son appartement de la rue d'Italie, à deux pas de la place Castellane. Le logement est "très bien, avec un sol en béton ciré", mais l'immeuble menace, relate-t-elle : un plancher s'affaisse et les murs des caves se désagrègent.
 

- "L'électrochoc" -

 
"On nous a dit que c'était pour le week-end, on n'a pas pu prendre beaucoup d'affaires", explique cette salariée du secteur nucléaire, qui a dû finalement attendre une semaine pour qu'un expert vienne auditer son immeuble.
Jeudi, nouveau délai: l'expert était enfin là mais la mairie n'est pas parvenue à retrouver la clé avec laquelle elle avait bouclé l'immeuble... Propriétaire, Mme Bouskaya paie une chambre d'hôtel de sa poche en attendant.
Un peu plus loin, la même rue d'Italie a été barrée jeudi pour évacuer l'immeuble de Clara, une artiste de 26 ans. "Prenez trois ou quatre sacs pour partir, ça peut durer.... Mais n'en profitez pas pour tout déménager !", lance un pompier à son petit ami, autorisé à regagner quelques minutes leur 40 m2.
"On a très peur", confie la jeune femme. La façade laisse difficilement imaginer l'état intérieur : "L'immeuble est très humide, les cafards prolifèrent et mangent les murs. Le palier du 1er étage est disloqué et l'escalier fragile. Il y avait de plus en plus de fissures, et une dernière est apparue sur un mur porteur après les pluies", décrit-elle.
Installée depuis sept ans dans ce logement qu'elle loue 470 euros, elle s'était habituée à vivre dans un appartement où "les sols ne sont pas droits". Mais après le drame de Noailles, "je dormais mal, j'étais tout le temps sur le qui-vive".
"Il m'a fallu l'électrochoc de la rue d'Aubagne" pour accepter d'appeler les pompiers, reconnaît une autre locataire, Dalila El Krim, enceinte de neuf mois, qui redoutait la galère de l'évacuation, puis de l'hôtel.
Entre son petit de trois ans et son accouchement imminent, difficile de se résoudre à quitter son chez-soi où "tout était prêt dans la chambre du bébé". Même si la fissure dans le mur du salon était devenue si large "qu'on pouvait y passer la main, facile".
"J'ai pris avec moi ma valise de maternité, et c'est tout !", raconte-t-elle. "Il fallait faire tout ça avant qu'il y ait des morts rue d'Aubagne", enrage-t-elle face au ballet des pompiers et des policiers. "Maintenant, on n'a plus de toit, et on est pas dans la merde..."

le Vendredi 16 Novembre 2018 à 07:16 | Lu 377 fois