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​Maupiti, les habitants partagés face au tourisme


Tahiti, le 27 octobre 2025 – Une étude universitaire s’est penchée sur la question du tourisme à Maupiti. Entre aspirations économiques, attachement à la culture et volonté de préserver l’environnement, la population exprime une vision nuancée du tourisme, fondée sur la recherche d’un équilibre durable entre bien-être, identité et développement.
 
Une étude menée conjointement par Hinano Yeung, ancienne assistante de recherche au Centre d’études touristiques de l’Océanie et du Pacifique (CETOP) de l’Université de la Polynésie française et actuellement chargée de projet de développement au BAT, Mondher Sahli, responsable de la licence professionnelle Métiers du tourisme et des loisirs à l’UPF, secrétaire général de l’International Association for Tourism Economics et professeur associé à la Victoria University of Wellington, en Nouvelle-Zélande, Adiyukh Berbekova, enseignante-chercheuse à la University of Hawai‘i at Mānoa, et  Muzzo Uysal,professeur à la University of Massachusetts Amherst aux États-Unis et président actuel de l’International Academy for the Study of Tourism, met en lumière les perceptions contrastées des habitants de Maupiti face au développement touristique et à l’hypothèse d’un projet hôtelier sur l’île. Entre aspirations économiques, attachement à la culture et volonté de préserver l’environnement, la population exprime une vision nuancée du tourisme, fondée sur la recherche d’un équilibre durable entre bien-être, identité et développement.
 
L’étude repose sur une approche combinant un questionnaire auprès de 266 habitants et 25 entretiens approfondis avec des résidents à Maupiti de profils variés : élus, pêcheurs, agriculteurs, enseignants, artisans, propriétaires de pensions familiales, jeunes et retraités. Elle visait à comprendre comment le tourisme influence la qualité de vie des résidents et à recueillir leurs perceptions face à un éventuel projet hôtelier, une idée déjà rejetée par la grande majorité de la population lors d’un référendum local organisé il y a une vingtaine d’années.

Une île déjà nourrie par le tourisme

Selon les auteurs de cette étude, “les habitants de Maupiti ne sont pas opposés au développement touristique sur leur île, mais ils souhaitent un modèle qui respecte leur identité, leurs ressources et leur autonomie”. L’étude révèle en effet que plus de la moitié des répondants travaillent déjà directement ou indirectement dans le secteur touristique. Si la création d’emplois, notamment pour les jeunes, est largement souhaitée, la majorité plaide pour un tourisme à petite échelle, contrôlé localement et reposant sur les pensions familiales, l’artisanat et les projets communautaires.
 
Les données de l’enquête montrent un optimisme mesuré : la proposition “L’hôtel créerait des emplois pour les jeunes” obtient une moyenne de 3,8 sur 5, tandis que “L’hôtel réduirait les inégalités sociales” n’atteint que 2,8 sur 5. Cette prudence traduit la crainte d’un développement exogène profitant surtout à des investisseurs extérieurs.

Ne pas être Bora Bora

Les préoccupations environnementales dominent très largement les réponses. Les habitants évoquent la rareté de l’eau, la gestion des déchets et la préservation du lagon comme des enjeux cruciaux. Pour beaucoup, protéger la nature revient à préserver l’âme même de l’île. “Si la mer est polluée, c’est Maupiti qui sera détruite”, confie un artisan. Cette perception associe l’environnement non pas à une ressource économique, mais à un patrimoine spirituel et culturel. De même, la crainte de “devenir comme Bora Bora” symbolise la peur d’une perte d’authenticité. Certains reconnaissent que le tourisme peut contribuer à faire revivre la danse, l’artisanat ou les légendes, mais à condition que les bénéfices soient gérés localement et qu’ils servent avant tout la communauté.
 
L’étude met aussi en évidence un profond attachement à la cohésion sociale et à la qualité de vie insulaire, fondée sur la solidarité, la simplicité et la sécurité. Beaucoup redoutent qu’un grand projet hôtelier ne fragilise cet équilibre et ne transforme la vie quotidienne. Par ailleurs, de nombreux habitants dénoncent un manque de concertation dans les décisions liées au développement touristique. Cette demande de transparence et de participation rejoint les appels à une gouvernance plus équitable et inclusive.

Un tourisme raisonnable et raisonné

Dans l’ensemble, les résultats montrent que les habitants de Maupiti aspirent à un tourisme humain, équitable et régénératif, capable de soutenir l’emploi sans compromettre la culture, la nature et la cohésion communautaire. Comme le soulignent les auteurs de cette étude, “aux yeux des résidents de Maupiti, le défi ne consiste pas à refuser le développement touristique, mais à l’ancrer dans leurs valeurs culturelles et communautaires. Seul un tourisme qui renforce le mana de l’île, au lieu de le diluer, peut garantir un développement harmonieux et durable”. Les conclusions détaillées de cette étude seront présentées lors de la conférence CAUTHE, qui se tiendra à Adélaïde (Australie) en février 2026, réunissant les principaux chercheurs en économie et management du tourisme de la région Asie-Pacifique.
 
Ces résultats ont conduit l’équipe de chercheurs à élargir la recherche à d’autres îles de la Polynésie française afin d’examiner plus en profondeur les liens entre tourisme et bien-être des résidents. De nouvelles enquêtes sont en cours. L’objectif est de comparer les perceptions des habitants selon les niveaux de densité touristique, mesurés par le nombre de visiteurs par habitant de chaque île – faible, modérée ou élevée – et de comprendre comment ces différences influencent la qualité de vie, la cohésion sociale et la durabilité environnementale.
 
Cette recherche s’inscrit dans un programme de collaboration scientifique internationale sur le tourisme, le bien-être et le développement durable dans les petites îles du Pacifique, porté par le CETOP, en partenariat avec la University of Hawai‘i at Mānoa et la University of Massachusetts Amherst. Ce programme s’appuie sur la participation active des étudiants. Une quinzaine d’étudiants de la licence professionnelle Métiers du tourisme et des loisirs et du master Management et commerce international, dont deux étudiantes australiennes en échange universitaire, participeront aux enquêtes de terrain menées dans les différents archipels de la Polynésie française.

Un projet d’hôtel, pour ou contre ?
 
En juin dernier, la commune de Maupiti, sous l’impulsion de son tāvana, Woullingson Raufauore, avait relancé une consultation populaire sur un projet d'hôtel sur l’île. De cette consultation était aussi née l’idée d’un référendum sur l’île. “Le mieux, c’est la consultation populaire. Un référendum”, insistait Woullingson Raufauore. Le maire l’affirmait : “J’irai, comme toujours, dans le sens de la population.”
 
En parallèle, une pétition lancée en ligne par un groupe appelé Association Te taata maohi no Maupiti contre l’implantation d’un hôtel à Maupiti a été remise aux autorités en juillet avec plus de 1 000 signatures.
 
B.P.

Rédigé par Mondher Sahli – Centre d’études touristiques de l’Océanie et du Pacifique (CETOP), Université de la Polynésie française le Mardi 28 Octobre 2025 à 15:49 | Lu 2213 fois