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​Concurrence, des journées sans lendemain ?


Tahiti, le 23 janvier 2023 - L’Autorité polynésienne de la concurrence (APC) organise depuis lundi les Journées de la concurrence à l’hôtel Hilton de Faa’a. Des échanges sur trois jours qui vont surtout concerner quelques avocats, magistrats et enquêteurs de plusieurs pays du Pacifique Sud venus à Tahiti pour faire part de leur expérience respective, alors que les enjeux propres à la Polynésie française sont encore nombreux et spécifiques.
 
L’évocation le 12 janvier dernier en conseil des ministres de l’organisation des Journées de la concurrence avait créée quelques émois dans le monde politique et universitaire. Les uns dénonçant les “frais conséquents” engagés pour organiser la manifestation alors que les ménages peinent à joindre les deux bouts, les autres la faible indépendance de l’Autorité polynésienne de la concurrence (APC) qui accueille un événement placé “sous le haut patronage” du président Édouard Fritch et de son ministre de l’Économie Yvonnick Raffin. Les principaux contestataires étaient absents de cette journée d’ouverture. Ils y auraient probablement trouvé matière à renforcer leurs attaques sur l’indépendance et la crédibilité de l’APC ainsi que sur l’intérêt de la manifestation.
 
Tapis rouge, cocktails, viennoiseries et goodies de toute sorte… L’APC a mis les petits plats dans les grands pour accueillir des intervenants venus de métropole, Nouvelle-Calédonie, Fidji, Papouasie Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Zélande ou encore Australie parler de leurs expériences concurrentielles dans plusieurs secteurs d’activité en essayant de faire des parallèles dans les situations insulaires. Des travaux entre spécialistes qui pourraient sembler assez éloignés des préoccupations et spécificités polynésiennes alors que le droit de la concurrence, en mutation continue au niveau local, reste encore largement méconnu en Polynésie française où aucune réelle politique de concurrence n’a été mise en place.
 
Acteurs locaux à la marge
 
Le programme de ces trois journées laisse à cet égard peu de place aux acteurs locaux de la concurrence. Entrepreneurs et consommateurs polynésiens ne figurent ainsi pas parmi les intervenants des différentes tables rondes programmées. Les chefs d’entreprise du fenua seront donc plus spectateurs qu’acteurs même s’ils auront probablement l’occasion de poser quelques questions lors de la troisième journée organisée à la CCISM. Leur assimilation des règles de la concurrence reste en effet difficile. Les dernières décisions de l’APC témoignent en effet d’une certaine méconnaissance du droit applicable en Polynésie française.
 
Ainsi, la condamnation récente des entreprises des pompes funèbres pour l’ajustement de leur prix durant la crise de la Covid-19 avait été prononcée alors que les sociétés concernées s’étaient en quelque sorte auto-dénoncées par mégarde en adressant un courrier à plusieurs services du Pays pour rendre leur action légitime. Pour ce qui est de la sanction du magasin Ace Déco Center à Taravao, qui avait ouvert sans demander l’autorisation de l’APC, le commerçant avait indiqué en cours d’enquête ne pas connaitre les dispositions du code et l’obligation de demander une autorisation préalable pourtant applicable depuis 2015. Deux cas récents qui témoignent d’une perception très imparfaite par les entreprises des règles de concurrence qui leur sont applicables et d’une capacité de l’APC à prononcer, sans trop se forcer, des sanctions en capitalisant sur leur ignorance en la matière. Nul n’est en effet censé ignorer la loi mais le droit de la concurrence, en Polynésie plus qu’ailleurs, varie cependant largement selon les humeurs et les saisons.
 

Une concurrence sur des sables mouvants
 
Si les journées de la concurrence sont ainsi consacrées à l’état du droit de la concurrence dans le Pacifique, le droit en Polynésie française est en effet encore sur des sables mouvants. Une nouvelle modification –la septième depuis 2015– du code de la concurrence est actuellement dans les tuyaux. Le projet de texte, qui devait être examiné par l’assemblée de la Polynésie en décembre dernier, a été réétudié en conseil des ministres en début d’année. Il prévoyait en effet de réintroduire des dispositions supprimées en 2018 et d’en introduire de nouvelles visant à renforcer les pouvoirs de la présidente. Ainsi, l’interdiction de détenir des droits exclusifs d’importation figuraient dans la version initiale du code en 2015. Elle visait notamment à empêcher les entreprises qui disposaient de l’exclusivité sur une marque d’en profiter pour pratiquer des prix élevés faute de concurrents. La mesure a été supprimée en 2018. Dans sa réponse au rapport de la Chambre territoriale des comptes sur l’APC en 2021, le président Fritch justifiait cette suppression dans un souci de simplification du droit. Changement de décor et d’argumentaire fin 2022 où la réintroduction de cette mesure a été proposée aux élus de Tarahoi pour les mêmes raisons. Apparemment, la concurrence a ses raisons que la raison ne connait pas.
 
Autre modification, celle relative à la fragilisation du statut du rapporteur général de l’APC. A la suite d’un bras de fer, avec quelques épisodes devant le tribunal administratif, la présidente de l’APC avait réussi à obtenir la suspension en mars 2021 puis la révocation par Édouard Fritch de la rapporteure générale nommée en juillet 2019 et qui dirige, en théorie en toute indépendance, le service d’instruction. Le projet de révision du code prévoit que le rapporteur “ne bénéficie d'aucun droit à l'inamovibilité”. Une façon de consacrer officiellement le caractère de siège éjectable de la fonction, au gré des différences de vue, refus d’obtempérer et autres considérations présidentielles. Non occupé depuis mars 2022, le poste, hautement stratégique, n’a d’ailleurs toujours pas été pourvu.
 
Un droit variable et toujours pas de politique
 
Le droit de la concurrence est donc loin d’être stabilisé alors que le consommateur polynésien ne voit pas trop d’effets au quotidien sur son pouvoir d’achat. Une situation qui doit tout autant à la forte volatilité du législateur qu’à la faible volonté des gouvernements successifs à vouloir mettre en place une véritable politique de la concurrence. Car la concurrence, c’est comme l’amour : il faut être deux. Et les freins structurels qui empêchent des entreprises à opérer et à venir apporter de la concurrence sur le marché polynésien sont encore nombreux.
 
D’une part, les contentieux contre le Pays, initiés auprès du tribunal administratif de Papeete, ont été légion alors que le gouvernement tardait ou refusait explicitement d’accorder obtenir une licence d’exploitation, par exemple dans le secteur des télécommunications ou des transports. De plus, les investisseurs étrangers se voient dans l’obligation, dans certains secteurs, de demander l’autorisation préalable du gouvernement pour pouvoir investir. Enfin, la forte propension à vouloir réglementer un maximum des prix, sans efficacité pour lutter contre l’inflation, conduit les commerçants à pratiquer des prix quasi-identiques sans dégager suffisamment de marges pour investir. Ces constats, opérés par l’APC en 2019 sur l’interventionnisme tenace du Pays, n’ont toujours pas trouvé de traductions directes dans la modification de l’action gouvernementale.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 23 Janvier 2023 à 19:17 | Lu 2075 fois