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​Moetai Brotherson évite soigneusement la rupture avec Paris


Paris, le 6 juin 2023 - Pour sa première tournée parisienne, le nouveau président du Pays a soigné sa relation avec le gouvernement central et les autorités françaises. Avec le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, il a abordé les sujets financiers de la relation entre la Polynésie et Paris : indemnisation du nucléaire et soutien de la CPS, aéroport de Faa’a, ITR...
 
Souriant et d'apparence détendue comme à son habitude – malgré des faux-pas protocolaires et des retards dans l'organisation du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer – Moetai Brotherson assume de chercher à avoir une bonne relation avec Paris. “Je pense que sur un certain nombre de dossiers importants, il faut assurer une continuité, confie-t-il à Tahiti-Infos. Quand il faut travailler, je suis là pour travailler et quand il faut débattre, je suis là pour débattre. Si à un moment donné il faut se friter un peu, il n'y a pas de problème, je suis également là. Il n'y a pas de raison aujourd'hui d'avoir des débats stériles ou des confrontations inutiles.”
 
Reçu à déjeuner par Gérald Darmanin dans les locaux du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, place Beauvau, le nouveau président du Pays a fait un balayage des sujets importants. Des conseillers de Matignon et de l'Élysée étaient présents. L'avenir de la CPS, son financement, la prise en charge par l'État des soins des victimes des essais nucléaires étaient au cœur des discussions. “C'est un dossier qui avance bien, se félicite Moetai Brotherson. Nous allons mettre en place un groupe d'études conjoint avec l'État pour finaliser des propositions qui sont déjà étudiées au niveau des ministères et qu'on va valider. Ces propositions sont pour partie déjà connues de la CPS. Pour partie, ce sont de nouvelles solutions. Nous allons mettre rapidement en place ce comité de travail État-Pays pour finaliser ces options.”
 
Plusieurs pistes sont à l'étude. L'indemnisation forfaitaire auprès de la CPS des victimes reconnues par le Civen est en bonne voie. Une autre possibilité consiste en une “piste de plus long terme, de rattrapage du passif”, selon un membre de la délégation présidentielle. À en croire Moetai Brotherson, “les faux-semblants n'ont plus lieu d'être : les fantasmes ont été évacués. L'État est maintenant prêt à assumer le principe de réalité.”
Un “principe de réalité” qui commandera également du pragmatisme afin de gérer l'épineux dossier de l'aéroport de Faa’a. Interrogé sur ce sujet par le ministre Darmanin, le nouveau président du Pays se dit “favorable à ce qu'on relance un appel d'offres. Rapidement. Qu'on ne perde pas de temps, que cela ne prenne pas trois ou quatre ans. Il faut améliorer l'appel d'offres existant et inclure des critères environnementaux pour faire un aéroport zéro carbone en cinq ans !” 

Félicité par Elisabeth Borne

Le nouveau président du Pays est ensuite allé à l'Assemblée nationale où il a fait ses adieux à tous les autres députés, à l'occasion de la traditionnelle séance des questions au gouvernement. Là encore, l'ambiance était cordiale et sa prise de parole dans l'hémicycle du Palais-Bourbon a été l'occasion d'une standing ovation. Les plus hautes autorités politiques de l'État français saluent l'élection de ce président indépendantiste.
“Je tenais à vous féliciter pour votre victoire !”, lui a lancé la Première ministre Elisabeth Borne. “Il pourrait paraître étonnant que la Première ministre salue l'élection d'un responsable aux vues politiques aussi éloignées des siennes sur un sujet d'une importance aussi grande que l'indépendance d'un territoire de la République mais, monsieur le Président Brotherson, je connais en vous un parlementaire profondément respectueux, un opposant ferme mais attaché au débat démocratique. Vous avez eu des mots clairs au lendemain de votre élection pour dire que rien ne serait pire que des débats précipités ou superficiels. Nous aurons l'occasion de nous revoir rapidement.”
 
Pour la présidence de la Polynésie française, c'est uniquement avec le président de la République Emmanuel Macron que pourront être abordés les sujets d'évolution institutionnelle, d'indépendance et de décolonisation. Pour l'instant, aucune rencontre n'est officiellement prévue mais des échanges se poursuivent avec l'Élysée afin d'organiser une rencontre d'ici la fin de la semaine.
Moetai Brotherson, lors de son allocution émouvante dans l'hémicycle – qui lui a valu une standing ovation sur tous les bancs – a tenu à préciser une dernière fois le principal message de sa première visite présidentielle. “En latin, l'étymologie du mot gouvernement vient du gouvernail, cet instrument de navigation qui guide les bateaux. C'est une notion importante pour un Polynésien épris de navigation traditionnelle en pirogue comme moi ! Chez nous, en reo tahiti, gouvernement se dit hau. Et cela veut dire la paix !”

“Aller vite sur l'ITR”

L'ITR [Indemnité temporaire de retraite, NDLR] et l'avenir du système de retraites des agents de la fonction publique d’État en Polynésie française étaient également au menu de la rencontre entre Gérald Darmanin et Moetai Brotherson. “On a beaucoup échangé sur le sujet de l'ITR parce que c'est un sujet critique devant nous, s'est ému le nouveau président du Pays, à la sortie de son entretien avec le ministre” a-t-il expliqué à l’issue de la rencontre avec le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. “Le comité de travail du 19 juin a été décalé, j'ai demandé à ce qu'il ne soit pas décalé de trop. Il y a un impératif calendaire qui est celui de l'inscription du nouveau dispositif dans la loi de finances. C'est un sujet prioritaire pour nous. J'ai bien senti que le ministre Darmanin était à l'écoute. Je lui ai expliqué que cette situation pouvait potentiellement créer des troubles sociaux.”
Une visite conjointe de la ministre des Sports et de Gérald Darmanin est prévue au mois d'août.

Rédigé par Julien Sartre le Mardi 6 Juin 2023 à 16:56 | Lu 5078 fois