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​L’assemblée sort son rapport sur la crise Covid


Tahiti, le 12 décembre 2023 - Le tant attendu rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire en Polynésie française sera étudié lundi prochain à Tarahoi. Un document de près de 300 pages.

 
Le rapport de la commission d’enquête sur la gestion de la crise sanitaire en Polynésie française a été diffusé aux élus de l’assemblée de Tarahoi et sera étudié lundi prochain à l’assemblée. Ceux qui attendaient un règlement de compte de la nouvelle majorité envers l’ancienne, déjà punie dans les urnes, ou une critique de l’ingérence de l’État seront déçus. Le rapport de 284 pages revient “sans blâmer” sur deux tristes années afin de “mettre en lumière” certains dysfonctionnements et permettre d’ouvrir une réflexion autour d’un concept simple : si une nouvelle pandémie venait à toucher le Fenua, comment faire mieux que ce qui a été fait. 169 personnes ont été auditionnées.
 
Décideurs publics, personnels de santé, personnalités civiles et religieuses sont passées au révélateur de la commission pendant plus de 103 heures pour revenir sur les deux années de Covid au Fenua. Le but : étudier le fonctionnement des structures sanitaires, les décisions prises par le Pays et l’État, les financements, les approvisionnements, etc. afin de formuler une série de 49 préconisations en cas de rechute.

En réponse aux crises futures

“Ne pas blâmer, mettre de la lumière”, c’est la philosophie de ce rapport. “La commission ne s’est pas érigée en tribunal pour juger ou blâmer ce qui a été réalisé ou pas, tant cela aurait été inconvenant de le faire et en considération du caractère inédit et soudain de cet événement et des décisions qui se sont, parfois, imposées à tous”, explique le rapport en préambule. Rien sur le mariage de Tearii Alpha donc, ni sur les élus qui ont “chap'” l’obligation vaccinale.

Le rapport a donc été émis dans une optique de “dresser un retour des expériences, d’identifier précisément les forces et les faiblesses des systèmes de notre pays face à une crise de cette envergure, reconnaître ce qui a fonctionné ou pas, et proposer des préconisations et des recommandations pour améliorer la préparation et la réponse aux crises futures”.
Aussi, le rapport revient, date par date, sur les vagues successives qui ont percuté le Fenua, et sur les décisions qui ont été prises. Il relève sur le caractère “volontaire et non obligatoire de la vaccination” en janvier 2021 dans un contexte de “désinformation et de méfiance”, jusqu’à l’obligation vaccinale en août 2021 et la mise en place du pass sanitaire en décembre de cette même année et du pass vaccinal en février 2022. Des mesures imposées à l’international.

Éparpillement décisionnel

Les décisions, décrets, et lois qui avaient trait à la situation sanitaire ont été très nombreux pendant cette crise Covid. La commission d’enquête a listé 187 textes. Au cœur de ce maillage, une politique polynésienne de santé un peu absconde avec un “émiettement des centres de décision” comme le relevait la Chambre territoriale des comptes en 2022.

Résultat : malgré la compétence santé dévolue à la Polynésie, “l’État s’est sans conteste inscrit comme le chef de file décisionnel de l’état d’urgence sanitaire au travers des décisions limitant les libertés publiques telles que la suspension des débarquements, les mesures d’interdiction de déplacements, de rassemblements, de réunion ou d’exercice d’activités, l’obligation de confinement et de quarantaine, ou encore d’assister aux funérailles des défunts”, explique le rapport.

Le “complexe enchevêtrement de compétences” entre l'État et la Polynésie française a souvent été mal perçu par la population, mais aussi par ceux même qui devaient faire appliquer les décisions. “L’État s’est sans conteste inscrit comme le chef de file décisionnel (..) au travers des décisions limitant les libertés publiques (...) Les mesures de confinement portant interdiction d’aller à la mer, de pêcher ou encore de faire du coprah, édictées par l’État ont peiné à être comprises et admises par la population dans les îles isolées et éloignées de Tahiti”, constate le rapport. “L’interdiction aux familles de voir pour la dernière fois leur défunt comme d’organiser et d’assister à leur funérailles a particulièrement heurté la population”, explique l’ancien président Édouard Fritch dans son audition. “Le contexte de crise sanitaire n’apparaît pas avoir toujours suffisamment considéré les éléments de contexte et de culture polynésienne dans les prises de décisions”, concluent les rapporteurs sur ce volet.

Un manque de préparation évident

Manque de lits, manque de bombonnes d’oxygène, manque de personnels de santé… Le pays n’était pas préparé à affronter ce que le reste du monde a lui aussi pris de front, mais son isolement géographique lui permettra “de bénéficier d'environ un mois de latence” pour avoir un coup d'avance.  

Si l’année 2020 a pu être gérée, la vague de variant Delta en 2021 sera terrible localement. “Malgré un niveau de préparation et d’équipement encore renforcé, par rapport à la première vague, ce sont la concentration temporelle et l’ampleur de la seconde qui ont mis l’ensemble du système de santé en difficulté. La période du 4 août au 10 septembre [2021] aura donc été une période inédite pour le CHPF et sa gestion rendue particulièrement complexe notamment sur le plan humain et à tous égards”, explique la directrice de l’hôpital de Taaone, Claude Panero lors de son audition.

Ce constat, les hôpitaux périphériques l’affronteront avec plus de difficulté encore. La directrice de l’hôpital de Taravao explique “qu’elle s’est retrouvée à déployer des stratégies seule” et déplore “un manque de collaboration directe avec le CHPF”.
L’hôpital de Uturoa, quant à lui, “manquait de personnel et de lits de réanimation”“Certains équipements ont fait défaut et ont entraîné des pertes de chance pour les patients”, explique le rapport sur le sujet qui parle aussi de “manque de réactivité”. Ces constats sont les mêmes à Afareaitu ou Taiohae.

Au manque de mobilier s’est associé le manque de matériel médical même si “la Polynésie a été mieux organisée et plus réactive que la Métropole”, en se fournissant “dans des conditions difficiles” en Chine.

Après deux années très dures de crise Covid, la Polynésie reprend son souffle, tout en continuant à se souvenir de ses morts. Le rapport se conclut par une liste de préconisations censées aider le Fenua à traverser une nouvelle crise. Chacun croise les doigts aujourd’hui pour que leur mise en place ne serve à rien.

Il faut sauver le soldat Géros
 
Sans y paraître, quelques lignes dans le conséquent rapport sur la gestion de la crise sanitaire, dressent un portrait héroïque du président de l’assemblée de la Polynésie française, Tony Géros, qui avait ouvert son hôpital de campagne communal à Paea. Le rapport parle ainsi de “l’audition particulièrement édifiante du maire de Paea sur la genèse de Manu Iti mis en place suite à la hausse des hospitalisations à domicile et l’insuffisance de des soins assurés en parallèle aux patients”“Le retour des guides sanitaires faisant état de patients délaissés à leur domicile, livrés à eux-mêmes générant des situations d’abandon de famille qui ne bénéficient pas de soins au quotidien pour se laver, se rendre aux toilettes, se nourrir ou encore s’oxygéner correctement”, explique Le rapport qui revient toujours sur “la méfiance des autorités, qui s’est manifestée par deux contrôles récurrents de l’Arass ou encore l’intervention des forces de police”, faisant ici le rappel de l’interpellation rocambolesque de Jean-Paul Théron.

Cependant, le rapport omet tristement de rappeler que deux patients sont morts dans ce centre, tenu par un médecin renié par ses pairs pour ses pratiques douteuses de la médecine, et où des débits d’oxygène inadéquats, des surdosages d’Ivermerctine, des ordonnances annulées et des prescriptions d’anticoagulants à une personne qui ne devait surtout pas en prendre, ont été repérés par l’Arass. Il oubliera aussi les propos tenus par le maire de Paea, en septembre 2021, accusant l’hôpital de Taaone de pratiquer “l’euthanasie”.

“Sans blâmer” était-il écrit en tête de rapport. Mission accomplie.

Quelques préconisations de la commission d’enquête
 
 
- Clarifier la répartition des compétences et des moyens financiers entre l’État, le Pays et les communes en suggérant une modification du statut de la Polynésie française.
- Élaborer avec l’État un plan stratégique territorial de gestion de crise sanitaire.
- Respecter les libertés individuelles dans l’élaboration des décisions.
- Octroyer aux communes une compétence sanitaire en cas de crise et instaurer un cadre juridique et financier à leur intervention en situation exceptionnelle.
- Adapter l’exécution du plan stratégique au contexte géographique de chaque archipel et de sa situation sanitaire.
- Créer un compte d’affectation spécial de crise.
- Limiter au maximum les déplacements et le brassage de la population en fermant les établissements scolaires et en privilégiant la continuité pédagogique, dans le cas d’un virus très contagieux.
- Constituer un stock suffisant d’équipement de protection individuelle (EPI).
- Réglementer les prix de l’oxygène, des tests de dépistage et des EPI, à titre exceptionnel pendant la durée de la crise.
- Augmenter le nombre de lits hospitaliers et de réanimation mobilisables rapidement et prévoir les ressources humaines adéquates pour toutes les structures de santé publiques et privées.
- Créer une réserve sanitaire locale composée de professionnels de santé, en activité ou non.
- Renforcer les actions de prévention et promouvoir une alimentation saine.
- Enjoindre la CPS de respecter la liberté de prescription médicale dans les conditions de remboursement des médicaments.
- Solliciter le bénéfice du fonds d’indemnisation des victimes des effets secondaires des vaccins de l’État.
- Règlementer les tarifs des produits et des prestations funéraires, à titre exceptionnel pendant la durée de la crise.
- Mettre en place une police sanitaire aux frontières.
- Exprimer la solidarité nationale par des subventions plutôt que par des emprunts.
- Autoriser à titre exceptionnel le report des échéances des cotisations sociales en faveur des très petites entreprises.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 12 Décembre 2023 à 18:31 | Lu 4373 fois