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​L'IEOM noircit le tableau économique


Tahiti, le 26 mai 2020 - Dans deux notes récentes, l'Institut d'Emission d'Outre-mer (IEOM) dresse un constat sombre de l'économie polynésienne, victime de sa faible diversification et de son choix de privilégier à tout prix le tourisme. Certains signes de fragilité étaient déjà perceptibles dès le début de l'année 2020 et même à la fin de l'année dernière.
 
Dans une publication qui devait présenter le bilan économique et financier très positif des départements et collectivités ultramarines pour l'année 2019, l'IEOM n'a pas pu échapper aux premières évaluations d’impact de la crise dans chacune d'elles. Pour l'Institut, "la crise sanitaire (…) impacte directement les chaines d’approvisionnement et les marchés qui constituent les débouchés habituels de chaque territoire" et où "le tissu économique, composé à plus de 95 % de TPE (...), apparaît par ailleurs particulièrement vulnérable aux chocs conjoncturels". Des impacts qui sont cependant très distincts compte tenu des situations et statuts très hétérogènes de ces territoires. La situation de la Polynésie apparaît la plus critique d'autant que "la place centrale du tourisme (...) pourrait pénaliser la reprise de nombreuses activités alors que le secteur devrait être impacté sur une plus longue période". Dès janvier, les relations interentreprises en Polynésie étaient déjà fortement perturbées selon une autre note de l'IEOM.
 
Un impact plus fort en Polynésie qu'ailleurs
 
Pour l'IEOM, la contraction du PIB annuel "devrait être d’une ampleur assez proche de celle de l’Hexagone pour la plupart des géographies ultramarines, à l’exception de la Polynésie française, fortement impactée en raison de sa dépendance au tourisme et, par contraste, de moindre amplitude pour la Nouvelle–Calédonie, compte tenu de son tissu industriel plus développé et diversifié que dans d’autres géographies". En matière de développement industriel, la comparaison entre les deux territoires, qui disposent d'une population quasi identique, est à cet égard révélatrice du retard et de la fragilité du fenua par rapport à la crise du covid-19. Si en Nouvelle-Calédonie, on dénombre environ 14 200 emplois dans l'industrie, il n'y en a par contre que 5 200 en Polynésie qui s'est plutôt orientée vers une économie de services, au premier rang desquels le tourisme. Le fenua compte également 7 900 emplois dans le secteur de l'hébergement et la restauration. Un chiffre limité à 4 600 sur le Caillou.
 
L'économie en laisse
 
Les gouvernements successifs ont depuis de nombreuses années joué la carte du "tout-tourisme" au détriment du développement d'autres secteurs. Avec la crise financière de 2008, le Pays avait subi un premier choc. Le nombre de touristes étaient passés de 218 000 en 2007 à 153 000 en 2010. Une lourde saignée qui aurait pu apporter quelques enseignements sur les conséquences économiques de ce choix politique à sens unique. En mettant quasiment tous ses oeufs dans le même panier, la Polynésie n'était donc pas à l'abri de subir un nouvel impact, et celui du Covid-19 est bien plus fort. Pendant la crise de 2008-2009, les liaisons aériennes avaient été maintenues de même que l'ouverture des établissements hôteliers ce qui n'est pas le cas dans la crise actuelle. En misant sur le "tout-tourisme", le Pays a mis l'économie en laisse. La position actuelle de gouvernement de vouloir relancer à tout prix et au plus vite le tourisme ne semble d'ailleurs pas suggérer le lancement d'une réflexion de fond sur la faiblesse structurelle d'une économie à la merci des aléas conjoncturels.
 
Hausse des impayés interentreprises dès janvier
 
Dans une deuxième publication relative aux impayés entre entreprises en outre-mer depuis le début de l'année, l'IEOM relève sans surprise une hausse générale notamment en Polynésie où ces problèmes de paiement entre clients et fournisseurs atteignent des niveaux records. Ils ont en effet fortement augmenté depuis mars 2019, que ce soit en nombre de cas (+154,5%) et en montants concernés (+249%). Des chiffres bien plus élevés que dans le reste de l'outremer où les moyennes s'établissent respectivement à +38,3 et +59%. Mais surtout l'IEOM note que "si le nombre et le montant des impayés progressent partout sur un an, ils ont commencé à croitre avant la mise en place du confinement (...) en Polynésie française". Le niveau d'impayés relevé par l'IEOM en janvier-février 2020 était en effet déjà trois fois supérieur à celui constaté en mars-avril 2019 alors même que le fenua sortait d'une année économique très positive.
 
Un dernier trimestre 2019 déjà annonciateur ?
 
Indépendamment de l'analyse de l'IEOM, la hausse des impayés dès janvier n'est peut-être pas un indicateur isolé de difficultés sous-jacentes de l'économie. Les chiffres du tourisme avait déjà baissé dés janvier avant l'annonce de la fermeture des frontières et même avant, dès la fin de l'année dernière. En comparant le dernier trimestre de 2019 avec celui de 2018, le coefficient de remplissage des hôtels avait déjà baissé de 2 points et le nombre de nuitées vendues avaient chuté de 4%. D'autres indicateurs sont également passés inaperçus. Si les données du fret maritime ne sont pas encore connues, le volume de fret aérien a également baissé sur la même période de référence de -6,9%. Si l'année 2019 a vu encore un solde positif entre création et radiation d'entreprises, ce solde est le plus faible depuis 2014 témoignant ainsi d'une forme de ralentissement dans la régénération du tissu économique. Fin janvier, le vice-président s'évertuait lors de la dernière conférence économique à présenter moults indicateurs attestant que les feux étaient désormais au vert. La relance était là et le redémarrage de l'économie certain. En réalité, quelques feux avaient déjà viré à l'orange pour passer au rouge vif fin mars.

Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 25 Mai 2020 à 21:04 | Lu 5938 fois