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Cyclones : risque à 90% jusqu'en avril


PAPEETE, le 5 janvier 2016 - La Polynésie française n’a pas l’habitude des cyclones comme peuvent l’être des régions et pays comme le Vanuatu, la Réunion, … Mais cette année le risque de voir passer l’un de ces phénomènes météorologiques est fort. La faute à El Niño. Mais qu’est-ce qu’un cyclone ? Comment se forme-t-il ? Quel rapport entre El Niño et les cyclones ? Les réponses de Victoire Laurent, chef de la division étude et climatologie à Météo France.

Qu’est-ce qu’un cyclone ?

"C’est une perturbation atmosphérique, composée de nuages organisés en bandes spiralées. Au sein de ce tourbillon, la pression atmosphérique baisse, une dépression se créé. Sur les images provenant de satellites météorologiques, le cyclone ressemble à une tâche blanche plus ou moins ronde, circulaire, avec en périphérie des nuages alignés en forme de spirale attirée vers le centre. Les nuages semblent tourbillonner."

Quelles sont les conditions de formation d’un cyclone ?

"Un cyclone ne se développe pas par hasard. Sa naissance est soumise à certaines conditions. Il faut une zone perturbée, un amas nuageux. De plus il faut de l’énergie, du carburant pour entretenir le phénomène. Ce carburant c’est de l’eau chaude, l’océan doit être de 26 degrés Celsius minimum sur 50 mètres de profondeur. Il faut aussi des vents homogènes de la surface jusqu’au sommet. Dans le Pacifique, les conditions favorables au développement d’un cyclone sont particulières. Peut-être parce que le réservoir énergétique est plus contraignant qu’ailleurs. Quoi qu’il en soit, il faut que les températures de surface de l’océan soient égales ou supérieures à 28,7 degrés Celsius sur 60 mètres et pendant 7 jours minimum. De ce fait, nous ne pouvons prévoir la survenue d’un cyclone que quelques heures avant. Son existence répond à un objectif : il permet de rééquilibrer l’océan. Quand l’océan est trop chaud des cyclones apparaissent pour refroidir les eaux par évaporation et humidification."

Que peut-on prévoir ?
"Pour prévoir les cyclones, les prévisionnistes de Météo France utilisent des modèles. Les trajectoires sont prévues pour 5 jours et sont assorties, depuis 2011, d’un domaine de probabilité. Il s’agit en fait de la zone géographique dans laquelle les trajectoires ont 75% de chances de se trouver. L’erreur moyenne de position est de 100 kilomètres à 24 heures et de 200 kilomètres à 48 heures. Sachant que le diamètre d’un cyclone peut faire 1 000 kilomètres. L’intensité, qui se caractérise par la vitesse de vent près de l’œil, peut varier brusquement. Une dépression tropicale (vents compris entre 63 et 117 kilomètres heure de moyenne) peut devenir cyclone (vitesse moyenne des vents supérieure à 117 kilomètres heure) en moins de 24 heures. Elle est donc difficile à prévoir. Les précipitations (pour ce qui est de la localisation et du cumul des précipitations) et les impacts sur le territoire sont eux aussi difficiles à prévoir. Les bandes précipitantes, pour reprendre le terme technique, sont mal représentées dans les modèles existants."

Pourquoi y a-t-il un très grand risque de cyclone cette année, on parle de 90%, alors que les phénomènes sont plutôt rares sur le territoire ?

"À cause d’El Niño, qui est lui aussi très fort cette année. Ce phénomène consiste en un réchauffement des eaux de surface à l’est du Pacifique équatorial jusqu’aux côtes de l’Amérique du sud, plus ou moins important selon les ans. Les eaux sont plus chaudes sur une plus grande surface cette année. Or, je vous ai dit que la température de l’eau était l’une des conditions de formation du cyclone. D’où le risque élevé de voir un cyclone se former en Polynésie. Il reste de 90%, c’est-à-dire qu’un cyclone au moins devrait passer sur le territoire durant la saison chaude. Le phénomène El Niño a atteint sa maturité en novembre décembre. Il a atteint son pic, nous vivons son pic d’intensité. Il va commencer à décroître légèrement en janvier, février. Le risque cyclonique va rester de 90% jusqu’au mois d’avril. Je fais un bulletin prévisionnel toutes les semaines, il paraît sur le site www.meteo.pf, dans l’onglet prévisions, point hebdomadaire saison chaude. Pour les trois prochaines semaines, le risque cyclonique est modéré à fort. Mais tout cela ne sont que des chiffres et des prévisions. Nous ne pouvons garantir qu’un cyclone passera cette année, nous ne pouvons estimer l’intensité des phénomènes, ni prévoir les lieux de formation. Il pourra aussi s’en former plusieurs au cours de la saison. Ce qui est sûr, c’est que le risque est élevé et que la seule façon de se protéger est de préparer le passage. Nous ne pouvons rien faire d’autre."

Quels sont les cyclones les plus remarquables qui sont passés en Polynésie ?

"Cette réponse est personnelle. L’importance du cyclone est fonction pour certain de sa puissance, pour d’autres des dégâts et pertes humaines qu’il occasionne. Pour moi, après avoir écrit un livre sur les cyclones, ce sont Martin en 1997-98, Veena en 1982-83 et celui de 1903. Martin car j’ai lu et repris un témoignage qui m’a beaucoup touchée, celui d’une femme, seule rescapée du motu One qui explique comment elle a essayé de sauver une famille avec leurs enfants et dont le mari est mort dans ses bras. Veena parce qu’il est passé à Tahiti et qu’il y a fait beaucoup de dégâts. Les images de désolation que j’ai vues m’ont marquée et enfin celui de 1903 parce qu’il a fait plus de 500 morts !
"

L’augmentation du nombre de cyclones et leur intensité ont-ils un rapport avec le réchauffement climatique ?
"Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’établit pas de rapport formel entre l’augmentation du nombre de cyclones et le changement climatique. Les données valables et exploitables s’étendent sur les 40 dernières années. Ce qui n’est pas suffisant pour tirer des conclusions. Nous n’avons pas de recul pour confirmer quoi que ce soit dans le domaine. Quant à savoir ce qui arrivera demain, les simulations climatiques globales les plus fiables s’accordent sur deux points : une augmentation des précipitations cycloniques de 10 à 20% pour la fin du siècle et une augmentation de l’intensité des cyclones les plus forts. En Polynésie un cyclone « record » est déjà passé. Il s’agit d’Orama en 1982-1983. Avec ses rafales de 280 kilomètres heure, il se place dans le top dix des cyclones les plus puissants dans le monde."

Peut-on prévenir l’apparition d’un cyclone ?

Tout dépend de son lieu de naissance. S’il se forme à 3 000 ou 3 500 kilomètres d’une terre, il met 5 à 6 jours à rejoindre cette terre. Les météorologistes ont donc le temps de suivre l’évolution et la trajectoire du phénomène, d’avertir les décideurs (le Haut-commissariat en Polynésie française) qui eux-mêmes se chargent de prévenir la population. S’il prend naissance à 500 ou 600 kilomètres d’une île, les habitants ont entre 18 et 24 heures pour se préparer. Parfois, le cyclone se développe brutalement tout près des terres. Il est alors impossible de prévenir qui que ce soit. À ce propos, Bernard Saulnier, l'adjoint au chef du centre prévision de Météo France en Polynésie française, précise que "les prévisions cycloniques ont une marge d'erreur de 300 kilomètres à 72 heures, de 200 kilomètres à 48 heures et de 100 kilomètres en moyenne à 24 heures. Au-delà de 72 heures, c'est-à-dire 3 jours, les prévisions sont très aléatoires." Pour autant, les services de Météo France surveillent spécifiquement les phénomènes cycloniques 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.


Les catégories de dépressions tropicales

En France et dans un certain nombre de pays francophone, les termes suivants sont employés. Ils ne sont pas utilisés partout, mais les valeurs, elles, restent les mêmes d'un pays à l'autre.
En cas de vents moyens entre 50 et 61 km/h, c'est une "dépression tropicale faible".
En cas de vents moyens entre 62 et 87 km/h, c'est une "dépression modérée".
En cas de vents moyens entre 88 et 117 km/h, c'est une "dépression forte".
En cas de vents moyens entre 117 et 176 km/h, c'est un "cyclone tropical".
Au-delà de vents moyens de 177 km/h, c'est un "cyclone tropical intense".
Il est à noter que ces chiffres sont des moyennes calculées sur 10 minutes. Pour estimer les rafales maximales il faut compter 50%. Par exemple, si les vents moyens sont de 177 km/h, les rafales peuvent aller jusqu'à 265 km/h.
Le plus puissant des cyclones jamais enregistrés sur des terres habitées est à l'heure actuelle le super-typhon Haiyan. Il a dévasté les Philippines en 2013, faisant près de 10 000 morts.



Orama, vainqueur en vitesse moyenne des vents


Le top 3 des cyclones les plus puissants en Polynésie française
Orama, 1983, vitesse moyenne des vents : 228 km/h, vitesse des rafales : 280 km/H

Veena, 1983, vitesse moyenne des vents : 211 km/h, vitesse des rafales : 259 km/h

Oli, 2010, vitesse moyenne des vents : 198 km/h, vitesse des rafales : 259 km/h

Cyclone Oli, crédit : Météo France
Cyclone Oli, crédit : Météo France

Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 5 Janvier 2016 à 09:30 | Lu 12247 fois