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La lèpre circule toujours en Polynésie


PAPEETE, le 27 janvier 2016 - La journée mondiale de la lèpre est l’occasion de revenir sur cette maladie qui n’a toujours pas disparu. Malgré les programmes de lutte, elle touche encore 3,3 pour 100 000 personnes en Polynésie française. L’an passé trois nouveaux cas ont été détectés.

Le docteur Ngoc Lam Nguyen est spécialiste de la lèpre sur le territoire. Il apporte un éclairage sur la maladie et ses problématiques contemporaines. Car, au fenua, elle n’a toujours pas été éradiquée.

Qu’est-ce que la lèpre ?
"La lèpre est une maladie due à une bactérie, elle répond donc aux antibiotiques. Aujourd’hui, on guérit de la lèpre, ce qui n’était pas vrai avant l’ère des antibiotiques. Mais il faut savoir que le traitement est long car le développement de la bactérie est très lent. Il faut entre six mois et deux ans pour espérer guérir sur le plan infectieux."

Quels sont les symptômes ?
"Le premier symptôme de la lèpre est l’apparition de taches sur la peau, associées à une perte de sensibilité. Ces taches sont claires ou rougeâtres selon la couleur d’origine de la peau. Ce à quoi il faut vraiment prêter attention, c’est la perte de sensibilité. Il faut aussi penser à la lèpre quand les taches, malgré l’utilisation de crèmes et autres traitements, ne disparaissent pas dans le temps. Au fil du temps, la maladie s’attaque aux nerfs. Quand ceux-ci sont touchés, les mains, les doigts, les pieds, les yeux perdent leurs fonctions. Quand un membre – un doigt, une main ou un pied, n’est plus innervé, qu’il n’est plus nourrit par les vaisseaux, son os se résorbe et il tombe. Les yeux ne voient plus. Autant les taches n’ont pas de conséquences importantes si ce n’est l’aspect esthétique, autant la perte de doigts est grave. On ne peut pas faire repousser les mains !"

La maladie est-elle contagieuse ?

"Oui, par contact. La bactérie peut passer d’un individu à l’autre par la peau, les plaies. Elle peut aussi être transmise via les éternuements."

Y a-t-il toujours des lépreux en Polynésie ?
"En 2015, trois nouveaux cas ont été détectés. Historiquement, elle aurait été présente avant l’arrivée des Européens, probablement importée par les migrations successives lors du peuplement des îles du Pacifique en provenance d’Asie. Appelée oovi en tahitien ou kovi en marquisien, la lèpre a souvent provoqué une réaction de rejet des malades par la société, en Polynésie comme ailleurs, qui se traduisait par des mesures d’exclusion. À partir du XIXe siècle, des léproseries ont été construites à Hiva Oa (Marquises), Reao (Tuamotu) et à Tahiti (Motu Uta puis Orofara). La dernière léproserie, située à Orofara, a été fermée en 1976. En Polynésie, le nombre de cas est stable depuis plus de 15 ans. Nous avons atteint le seuil dit d’élimination."

Qu’est-ce que le seuil d’élimination ?

"i[C’est un seuil établi par les experts de l’Organisation mondiale de la santé [OMS, NDLR] qui est de 1 cas sur 10 000 personnes. Pour l’OMS, quand la prévalence d’une maladie, c’est-à-dire le nombre de cas de malades présents à un moment donné dans une population, est inférieur à ce seuil, la maladie est amenée à disparaître. En Polynésie, nous sommes sous ce seuil d’élimination depuis 1991, mais la maladie est toujours là]i."

Les experts se seraient donc trompés ?

"La lèpre est une maladie compliquée. D’abord, le diagnostic précoce est difficile. Pour ma part, je vois des cas régulièrement, je suis des malades, cela me paraît évident. Mais un médecin qui n’en n’a jamais vu n’y pense pas forcément. Il n’existe pas de dépistage rapide, comme on peut le faire avec le sida par exemple. Il faut faire une biopsie cutanée, c’est long, c’est cher. Le traitement est long, il faut une observance parfaite pendant six mois à deux ans. Pour rappel, l’observance c’est le respect des prescriptions médicales."

Vous avez parlé des nouveaux cas, combien y a-t-il de cas au total en Polynésie ?
"Il y en a neuf, mais cela ne doit être que la partie émergée de l’iceberg. Le développement de la bactérie est très lent, le malade contagieux peut contaminer différentes personnes chez qui la maladie ne se déclarera que plusieurs années après le contact. Si j’avais un message à faire passer, cela serait celui-là : rappelez-vous que la lèpre est toujours là, en cas de doute, n’hésitez pas à vous rendre au centre de consultation spécialisée en maladie infectieuse et tropicale au Centre hospitalier de la Polynésie française."

Des quêtes et une réunion

La journée mondiale de la lèpre a lieu le 31 janvier. En Polynésie, des quêtes sont organisées par l’Ordre de Malte :

- Le samedi 30 janvier, de 8 heures à 17 heures, dans les quatre Carrefour de Tahiti, Hyper U à Pirae et Super U à Tamanu ;
- Le samedi 30 et le dimanche 31 janvier dans toutes les paroisses catholiques de Tahiti et Moorea à l'issue des messes.

Une réunion d'information sur la maladie en général et en Polynésie en particulier aura lieu demain à 17 heures au presbytère de la cathédrale à Papeete. Elle sera animée par le docteur Ngoc Lam Nguyen, membre de l'Ordre de Malte France et spécialiste local de la lèpre.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 27 Janvier 2016 à 15:38 | Lu 2149 fois