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La sensibilité textile de Claire Mouraby


Claire Mourabi vit de, avec et pour cet art.
Claire Mourabi vit de, avec et pour cet art.
TAHITI, le 30 décembre 2019 - Elle est connue sur le territoire pour assurer la fonction de directrice de la bibliothèque université. Mais Claire Mouraby a d’autres talents. C’est une artiste qui créé des petits êtres de tissu. Elle a récemment présenté une œuvre : Hina ‘ere ‘ere manua, Hina la sombre-orageuse, une pièce parmi tant d’autres.

Les arts textiles désignent les formes d’art et d’artisanat qui utilisent des tissus, des fibres synthétiques ou naturelles. C’est un art qui a longtemps été considéré comme mineur, "comme un truc de bonne femme", ose Claire Mouraby. C’est un art singulier qui donne naissance à des œuvres dites "molles". 
 
Claire Mouraby, directrice de la bibliothèque universitaire, vit de, avec et pour cet art. C’est avec lui qu’elle appréhende le monde, s’approprie espace et culture, s’imprègne de nature. 
 
Elle a longtemps œuvré dans son seul atelier, pour elle et son entourage proche. Il y a quelques semaines, encouragée par son compagnon, elle s’est mise au défi de montrer ce qu’elle savait faire. Elle a participé au concours de l’association A4 qui avait pour thème les légendes polynésiennes. 
 
"À cette occasion, j’ai imaginé Hina ‘ere ‘ere manua, Hina la sombre orageuse", indique Claire Mouraby. Elle a été inspirée par la lecture d’une légende rapportée par Martine Dora dans Tahiti des dieux et des héros, un livre de mythes et légendes des îles de la Société et des Tuamotu paru chez ‘Ura éditions.
 
Hina est la femme tatouée, celle qui convoque les tempêtes et les orages, elle n’a pas grand-chose à voir avec "les stéréotypes de la vahine", précise Claire Mourabi. "Et c’est pour ça qu’elle m’a plu, dans le panthéon elle est plutôt rangée du côté des déesses terribles, elle est libre."
 
Hina ‘ere ‘ere manu a été conçue à partir de tissu et de fibres de bananier. Son enveloppe est faite de soie, "le tissu qui se rapproche le plus de la peau, il a comme une lumière interne", dit Claire Mouraby qui tient à ce détail. Le visage de la poupée, plein d’une émotion rare, a été brodé. 
 
Le concours a été un événement officiel sur le chemin de Claire Mouraby, une étape. Sa créativité est sans borne. Elle travaille des pigments naturels, fait de la photographie, elle réalise des encres. "Artiste de la fibre, du fil et du tissu, sensible à la matière et à la consistance du monde, j’observe et touche le paysage puis le restitue avec les doigts".
 
Elle a bien envie de faire d’autres personnages après Hina ‘ere ‘ere manua, des hommes, des personnages hybrides. En sommes tout un petit peuple en lien sans doute avec les légendes polynésiennes.
 
Claire Mouraby s’est exprimée sur une quantité de médium depuis l’enfance. L’art textile est une histoire de transmission. "Mes grands-mères, comme de nombreuses femmes de l’époque, cousaient, ravaudaient, reprisaient. J’ai, grâce à elles, des bases en tricot, en crochet et broderie, mais je n’en ai pas fait grand-chose pendant un certain temps", raconte l’artiste.
 
À la naissance de ses enfants, avec la venue d’une nouvelle génération dans la famille, elle s’est mise à faire des jouets avec du tissu. "Cette activité est devenue une peu compulsive", admet-elle. "Une fois qu’on a les techniques on peut les détourner pour faire des quantités de choses."

Aux décès de ses grands-mères, elle a détourné les vêtements des deux femmes, ne pouvant se résigner à les jeter. Elle a aussi détourné des vestes bleues d’un grand-père qui avait travaillé dans la fonte sa vie durant. Elle les a modifiées en ajoutant des broderies. "L’art textile est, pour moi, un art de l’intime et de la réparation."
 
Lorsqu’elle réalise des sculptures avec du tissu, des poupées notamment, la démarche est particulière. Elle n’a rien à voir avec la manipulation du bois ou de la pierre dont on retire des éléments. 
 
Pour donner vie à une poupée, il faut créer l’enveloppe et la remplir, il y a toute une réflexion sur le dedans et le dehors, le plein et le vide. Il faut ensuite recouvrir l’enveloppe, donner du mouvement aux membres en les pliant et les fixant, broder le visage. 
 
Les œuvres de textile n’ont de mou que le nom. Elles sont fortes, riches d’histoires de vie transmises de génération en génération. Claire Mouraby l’a compris depuis longtemps, le public touché lui aussi dans son intimité, le comprend vite en découvrant les œuvres.

Hina ‘ere ‘ere manu a été conçue à partir de tissu et de fibres de bananier. Son enveloppe est faite de soie.
Hina ‘ere ‘ere manu a été conçue à partir de tissu et de fibres de bananier. Son enveloppe est faite de soie.


Rédigé par Delphine Barrais le Lundi 30 Décembre 2019 à 16:58 | Lu 1703 fois