Tahiti Infos

Additifs: crèmes solaires et bonbons, pas si bons !


PAPEETE, le 26 janvier 2017 - Le dioxyde de titane, connu aussi sous le nom de E171, est un additif présent dans les confiseries ou les plats préparés mais aussi dans des produits cosmétiques comme les crèmes solaires ou les produits d'hygiène comme les dentifrices. Une équipe de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) s'est penché sur son cas. Le E171 induit la croissance de lésions pré-cancéreuses chez le rat. Le gouvernement a saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

Éric Houdeau, biologiste, directeur de recherche en physiologie et toxicologie alimentaire à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Toulouse a travaillé en équipe sur le E171 (voir encadré). Les résultats de l'étude menée depuis quatre ans par cette équipe viennent de paraître dans la revue scientifique Scientific Reports. En parallèle, l'Anses qui mène des travaux sur l'impact sanitaire potentiel des nanomatériaux présents dans l'alimentation, devrait rendre son avis fin mars 2017 sur le E171. Suite à la parution de l'étude de l'Inra, des confiseurs promettent de retirer le E171 de ses produits. En attendant, Éric Houdeau fait la lumière sur ses travaux. Si les résultats ne peuvent pas encore être extrapolés à l'homme, ils pointent du doigt les nanoparticules et leurs éventuels dangers (en particulier dans l'alimentation).

Tahiti Infos : "Pourquoi avoir travaillé sur cet additif en particulier ?"
"L'additif E171, qui est en fait du dioxyde de titane, est un additif très utilisé dans l'industrie agro-alimentaire pour ses propriétés d'agent blanchissant et d'opacifiant, ou de brillance. Du fait de son utilisation très répandue dans les produits du quotidien (dentifrice, confiserie, pâtisserie, sauces d'assaisonnement etc..) et de sa composition particulaire (se présentant sous la forme de cristaux), le E171 est très représentatif du questionnement lié à la présence de nanoparticules dans l'alimentation."

"Que pouvez-vous déduire de votre étude ?"

"Notre étude a été réalisée chez le rat de laboratoire et les conclusions se limitent à ce cadre, donc ne sont pas transposables à l'homme pour des raisons évidentes de différences entre les espèces. Elles font cependant partie d'un process d'études en toxicologie qui met en évidence un effet du produit dans un organisme. Elles devront être confortées (tant sur le système immunitaire que sur le développement de lésions prénéoplasiques dans le gros intestin). Nos résultats seront pris en compte par les autorités sanitaires (telles que l'Anses en France ou l'Efsa à l'échelle de l'Europe) pour être analysés par des groupes d'experts et de là, utilisées dans l'évaluation du risque d'exposition orale au E171 pour l'homme."

"L'additif E 171 est-il cancérigène? "
"Notre étude ne permet pas en effet de répondre à cette question, les lésions prénéoplasiques dénombrées n'évoluant pas systématiquement vers le cancer. Nous allons devoir poursuivre avec une étude sur des effectifs plus importants (100 animaux par groupe de traitement) et sur une durée plus longue (2 ans) que les cent jours de notre étude afin de conclure au caractère cancérigène (ou non) du E171. L'étude à venir devra apporter la preuve si de telles lésions (lesquelles, j'insiste, ne sont pas cancéreuses car correspondent à un stade très précoce de la pathologie) sont susceptibles ou non de se développer vers un stade tumoral apparenté au cancer colorectal."

"L'homme est-il exposé à d'autres additifs ou composants de l'alimentation possiblement dangereux, si oui quel type de composants?
"Outre le dioxyde de silice (E551), qui est pour partie composé de particules de dimension nanométrique, les autres additifs ne relèvent pas de cette question. Mais une fois encore, la transposition des observations sur le E171 au E551 n'est en rien permis, et rien aujourd'hui ne permet de conclure à l'avance à un potentiel effet toxique tant que ce produit n'a pas subi tous les tests nécessaires."

"Sur quoi travaillez-vous aujourd'hui ?"

"Nous continuons nos travaux démarrés il y a déjà dix ans sur les perturbateurs endocriniens pour tenter de déterminer leur mode d'action dans l'organisme, en particulier comprendre comment s'installent les effets toxiques sur le long terme lorsque l'exposition a lieu pendant le développement (c'est-dire au cours de la grossesse, puis chez le nouveau-né). Nous avons par exemple montré en 2014 dans notre équipe que des rats exposés à une faible dose de bisphénol A (BPA) pendant la vie périnatale (c'est-à-dire de la gestation et tout au long de la période d'allaitement) étaient plus susceptibles de développer plus tard dans la vie des intolérances alimentaires; définitivement nous avons ainsi identifié que le système immunitaire en développement était une cible du BPA, avec des répercussions chez l'adulte. Même si le BPA est interdit en France et ses territoires depuis janvier 2015 dans les plastiques alimentaires et résines de boîtes de conserve, il est important d'accumuler des connaissances sur le mode d'action de telles substances pour aider à identifier rapidement les contaminants chimiques susceptibles d'avoir des propriétés similaires de perturbateurs endocriniens, responsables d'une toxicité à long terme."

"Poursuivez-vous vos travaux sur les nanoparticules?"

"Oui. Nous avançons sur l'impact des nanoparticules contenues dans l'alimentation, nous voulons apporter plus de précisions sur les mécanismes responsables des effets toxiques, là encore pour permettre un classement dans cette famille particulière de contaminants selon leurs effets potentiels sur la santé. Deux projets débutent en 2017 dans notre centre de recherche Toxalim sur le E171 (poursuite de nos travaux publiés) et aussi le E551 (développer des tests quant à ce composé), l'un financé par l'Europe l'autre par la France, toujours en collaboration avec le CEA et le Luxembourg Institute of Science and Technology, nos principaux partenaires depuis 2013."

Premiers résultats in vivo

Des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), du CEA et de l'université Grenoble-Alpes, du Synchroton Soleil, du Luxembourg institute of science and technology ont étudié les effets d'une exposition orale au E171 sur le rat. Ils ont étudié le E171 dans son ensemble (c'est-à-dire un mélange de micro et de nanoparticules) et ont aussi évalué l'effet de la seule fraction nanométrique. Les chercheurs ont injecté des doses quotidiennes proches de l'exposition alimentaire humaine estimée. Les résultats montrent "pour la première fois in vivo que le dioxyde de titane est absorbé par l'intestin et passe dans la circulation sanguine".

Par ailleurs, le E171 "altère la réponse immunitaire intestinale et systémique" et "a des effets initiateur et promoteur des stades précoces de la cancérogénèse colorectale". Dans un groupe de rats traités avec un cancérogène expérimental, l'exposition a conduit à l'augmentation de la taille des lésions prénéoplasiques (un stade très précoce de la pathologie). Dans un groupe de rats sains exposés à l'additif E171, quatre animaux sur onze ont spontanément développé des lésions prénéoplasiques sur l'épithélium intestinal. Les animaux non exposés n'ont présenté aucune anomalie à la fin des cent jours de l'étude. Tous ces résultats sont parus dans la revue scientifique Scientific Reports le vendredi 20 janvier1.


1 i[Food-grade TiO2 impairs intestinal and systemic immune homeostasis, initiates preneoplastic lesions and promotes aberrant crypt development in the rat colon, Eric Houdeau and Al. Scientific Reports 7, Article number : 40373 (2017). i

Les nanoparticules dans le viseur

Les nanoparticules sont des éléments dont la taille se situe entre 1 et 100 nanomètres. Un nanomètre est mille millions de fois plus petit qu’un mètre. Une nanoparticule c'est 50 000 fois plus fin qu'un cheveu ! C'est infinitésimal, donc ça ne paraît pas dangereux.
Les nanoparticules sont partout, dans les crèmes solaires, les textiles, les articles de sport, les carburants, les appareils électroménagers, les équipements médicaux… et maintenant dans l'alimentation. Depuis décembre 2014, la réglementation européenne exige la mention "nano" quand ces particules entrent dans la composition d'une denrée alimentaire.

L'association Agir pour l'environnement1 a fait une enquête début 2016. Elle a fait analyser quatre produits ordinaires (biscuits, chewing-gums, conserve de blanquette de veau et mélange d'épice guacamole) par un laboratoire officiel. Bilan, tous contiennent des nanoparticules. La règlementation n'est pas respectée. Problème : les études sur les perturbations possibles de l'organisme par ces particules sont extrêmement rares.
Le dioxyde de titane est l'un des cinq nanomatériaux de synthèse les plus couramment utilisés dans des produits de consommation à usage quotidien, comme l'alimentation. Aucune étiquette ne mentionne leur présence. Lui n'est pas soumis à une obligation d'étiquetage nanomatériau car il n'est pas composé à plus de 50% de nanoparticules (en général de 10 à 40%).

1 Voir le dossier de l'enquête sur le site de l'association.

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 26 Janvier 2017 à 09:17 | Lu 3563 fois