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"Pina", deuxième round pour l’auteure Titaua Peu


PAPEETE, le 8 novembre 2016 - Après un premier livre choc, Mutisme paru aux éditions Haere Pō en 2003, Titaua Peu revient. Elle signe Pina aux éditions Au Vent des îles. Une nouvelle fois et, comme dans un match de boxe, les acteurs reçoivent des coups. Ils sont bousculés, secoués voire K.O pour certains. Les lecteurs et l’auteure ne sortent pas indemnes de cette aventure littéraire.

À la veille du salon du livre de Papeete, la maison d’édition Au Vent des îles sort Pina, de Titaua Peu. Un titre qui a été présenté mardi et qui fait suite à un premier roman resté dans les annales : Mutismes sorti chez Haere Pō en 2003. À l’époque l’ouvrage avait fait sensation. "J’ai reçu de très nombreuses critiques, parfois violentes. La plupart venait des Polynésiens eux-mêmes, de mon peuple qui me disait qu’on n’avait pas le droit de parler comme ça, qu’il fallait garder notre jardin secret", se rappelle l’auteure.

Mutismes, réédité trois fois en un an, avait ouvert la voix à une littérature engagée. Depuis d’autres auteurs ont suivi, l’eau a coulé sous les ponts. Mais, si les temps ont changé, que l’accueil des mots de Titaua Peu en 2016 ne sera peut-être pas à l‘limage de l’accueil reçu en 2013, le cœur des hommes reste sensible. L’onde de choc est annoncée. "Ça va déranger, mais c’est salutaire", affirme Titaua Peu.

"Ça m’a pris treize ans pour le sortir. J’avais les mots, je n’ai pas eu besoin de toutes ces années pour travailler, j’ai eu besoin de tout ce temps pour poser l’acte, pour trouver une fin, pour me décider et savoir si j’optais pour la nuit ou le jour, pour la mort ou la vie." Titaua Peu a opté pour la vie. Christian Robert, l’éditeur, ajoute : "où que l’on soit, il y a toujours un peu de lumière", l’auteure complète : "même dans l’absolue violence il y a des gestes d’amour." De fait, dans Pina, il est question d’amour, fraternel notamment, filial dans une certaine mesure, parental au final. "Il est aussi question, et c’est la première fois dans un roman polynésien, d’amour homosexuel."

Le déclencheur de cet événement littéraire qu’est Pina est un fait divers. "Le décès de Patrice Aka, cet enfant mort sous les coups de sa mère Angelina. Ce fait divers m’avait, comme un grand nombre de personnes à l’époque, profondément choquée. Je devais écrire." L’affaire remonte au mois de juillet 2000, elle s’était déroulée à Moorea.

Un article du journal Le Parisien, daté du 11 novembre 2005, résume l’histoire et l’horreur : "Angelina Aka a été condamnée une première fois à Tahiti à trente ans de prison dont vingt de sûreté, puis une deuxième fois à la perpétuité assortie de la même peine de sûreté. Ce verdict a été ensuite annulé par la Cour de cassation. La greffière, qui énumérait devant la cour les blessures infligées à l'enfant, a dû s'interrompre, troublée par leur gravité et l'audience a été suspendue. Le rapport du légiste évoque des lésions qui constituent ‘une forme historique de maltraitance’."

Pina ce n’est ni Angelina, ni Patrice, c’est un roman "que je dédie à tous les enfants qui souffrent de ne pas être à leur place, à tous les cas sociaux comme on dit trop rapidement, à tous les Polynésiens dont on ne parle jamais, qu’on ne voit pas danser sur la scène du heiva, qui entretiennent une sorte de contre-culture à l’ombre des lumières". À eux, Titaua Peu envoie un message, espère qu’ils prendront la parole, qu’ils trouveront une place, leur place. "Ils sont l’une des richesses de notre pays".

C’est l’histoire de…

C’est l’histoire de Pina, la cadette d’une famille (très) nombreuse. "(…) Ma et son mari (Auguste). On peut dire qu’ils ont beaucoup d’enfants (…)" indique Titaua Peu en début d’ouvrage. Elle est âgée de 8 ans et est prisonnière du quartier de Tenaho à Pirae. Au fil des pages la jeune fille, lucide, lisse et douce, ancrée, forte dans ses malheurs, va vaciller. Elle va se faire prendre aux jeux des plus grands qu’elle, sa famille et toute la société qui l’entourent. Pina, c’est l’histoire d’une famille, à l’équilibre fragile et aux liens parfois douloureux, qui explose. C’est toute une société qui est pointée du doigt dans ce qu’elle a de plus noir et qu’elle préfèrerait garder caché. "Aux antipodes du politiquement correct", c’est un roman qui "crie la rage trempée dans la sueur, le sang, le sperme…", résume l’éditeur. En 366 pages, le lecteur suit le destin des membres de toute la famille de Pina. Les destins des uns et des autres, qui souvent se croisent, filent tous vers un même événement, tragique. Et puis, finalement, l’événement tragique est aussi libérateur.

Rencontre

Titaua Peu sera au Salon du livre organisé par l’association des éditeurs de Tahiti et des îles du 10 au 13 à la Maison de la culture.
Dédicaces : vendredi 11 de 14 heures à 17 heures, samedi 12 et dimanche 13 de 9 heures à 12 heures.
Samedi 12 à 18h40 : rencontre autour du livre Pina de Titaua Peu et Titaua Porcher, enseignante en littérature à l’université de Polynésie française autour.

Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 8 Novembre 2016 à 15:42 | Lu 4940 fois