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De Flosse à Temaru : l’ancien ministre Bernard Pons livre ses souvenirs


Bernard Pons lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie en août 1987 en tant que ministre des DOM-TOM. Photo : AFP
Bernard Pons lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie en août 1987 en tant que ministre des DOM-TOM. Photo : AFP
PARIS, le 28 avril 2018. L’ancien ministre des Outre-mer Bernard Pons vient de sortir ses mémoires Aucun combat n’est jamais perdu. Visites au fenua, première rencontre avec Gaston Flosse, qu’il a nommé secrétaire d’État du Pacifique, et Oscar Temaru..., l’ancien secrétaire général du RPR revient sur sa carrière politique. Extraits choisis de ce livre.


Bernard Pons a été ministre des Territoires et Départements d'Outre-Mer sous le gouvernement Chirac du 20 mars 1986 jusqu’au 10 mai 1988. Venu deux fois en Polynésie française, il a eu comme secrétaire d'Etat chargé du Pacifique Sud Gaston Flosse.
Bernard Pons est celui qui a mis en place la première loi de défiscalisation spécifique à l'Outre-Mer. Mais dans le Pacifique, il est surtout connu pour avoir préparé un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie. le « statut Pons ». Son redécoupage est en défaveur des indépendantistes par les indépendantistes, ceux-ci appellent donc au boycott du scrutin qui doit entériner ce nouveau statut. Le FLNKS décide alors de relancer les occupations pacifiques de gendarmeries.
Le 22 avril 1988, cette action dégénère à Ouvéa. Le 25 avril, Bernard Pons, ministre (RPR) des DOM-TOM est dépêché en Nouvelle-Calédonie par le gouvernement. L’assaut dégénéra et se terminera tragiquement.
Retrouvez ci-dessous des extraits de « Aucun combat n’est jamais perdu », où Bernard Pons revient sur sa carrière politique.

La politique du gouvernement « catastrophique » dans le Pacifique
Il fait sa première visite au fenua en tant secrétaire général du RPR, parti de Jacques Chirac. « Si la politique du gouvernement était désastreuse en métropole, outre-mer elle était véritablement catastrophique, en particulier dans le Pacifique, et spécialement en Nouvelle-Calédonie où, depuis 1981, représenté par les hauts-commissaires successifs, le gouvernement conduisait une politique d’abandon de l’État de droit.
Je connaissais bien le sentiment de nos amis, à travers les comptes rendus que me faisaient nos parlementaires Jacques Lafleur et Dick Ukeiwé, mais il était indispensable que je me rende sur place. Je partis donc, le lundi 18 novembre, pour un long voyage dans le Pacifique qui devait me conduire d’abord en Polynésie, puis à Wallis-et-Futuna, pour se terminer en Nouvelle-Calédonie. »


Bernard Pons et le Comsup le 2 mai 1986. Photo : site histoire.assemblee.pf
Bernard Pons et le Comsup le 2 mai 1986. Photo : site histoire.assemblee.pf
Arrivée au fenua en novembre 1984
"À mon arrivée à l’aéroport de Papeete, tradition oblige, dès ma descente d’avion je croulais sous les colliers de fleurs de tiare, l’emblème national, que les militantes du Tahoera'a huira'atira, parti politique d’inspiration gaulliste que présidait Gaston Flosse, me passaient autour du cou en m’embrassant, en me disant avec l’accent caractéristique de la Polynésie: «Ia ora na, Bernard». Après un tel accueil, on ne peut qu’aimer la Polynésie et les Polynésiens. Comme toujours, Gaston Flosse avait bien fait les choses, et le comité qui me recevait emplissait tout le hall de l’aéroport.
Flosse est un pur Polynésien, né à Rikitea, dans l’île de Mangareva. Après des études secondaires brillantes, il devint agent d’assurances et s’installa dans la commune de Pirae, dont il fut élu maire en 1965. (...)
En quittant l’aéroport de Papeete, je savais d’avance que le programme serait chargé. Il le fut. Toute la journée fut consacrée à la rencontre des principales personnalités de la Polynésie, administratives, religieuses, politiques, et c’est complètement épuisé que je terminai en participant à un grand rassemblement du Tahoera’a. »

Escale aux Marquises
"Le lendemain matin à 6 heures, départ dans un petit avion monomoteur avec Gaston Flosse, son adjoint Jacky Teuira et le pilote, pour les îles Marquises, à 1 400 kilomètres. L’avion étant trop petit pour une telle distance, il était prévu une escale dans l’atoll de Takapoto, à 600 kilomètres, pour faire le plein. Vers 10 heures, atterrissage à Takapoto, sur une piste minuscule, au milieu des cocotiers, avec au fond un seul et simple hangar. J’étais heureux de m’extraire de cette boîte à sardines pour me dégourdir les jambes, mais inquiet car il n’y avait ni station-service, ni camion-citerne. Goguenard et en pleine forme, Gaston me dit : « Ne sois pas inquiet, Bernard, ici, on fait tout à la main.» En effet le pilote, aidé par Jacky Teuira, fit rouler vers notre avion plusieurs fûts d’essence, sur lesquels ils branchèrent une pompe à main pour faire le plein. Nous repartîmes aussitôt, pour atterrir en fin de journée à Hiva Oa, l’une des deux plus grandes îles des Marquises.
Après un nouvel accueil sous les fleurs de tiare et la réception à la mairie, je souhaitai me recueillir dans le cimetière de Atuona sur les tombes voisines de Brel et de Gauguin. J’ai passé un long moment de paix dans ce petit cimetière, dans la fraîcheur du soir. J’avais tenu à m’incliner particulièrement devant la tombe de Jacques Brel car, si j’avais beaucoup admiré sa carrière, aimé sa poésie et sa voix, la fin de son existence m’avait bouleversé. Se sachant atteint d’un cancer du poumon, il s’était retiré sur cette île de Hiva Oa pour continuer son œuvre, mais aussi pour aider les autres. Maître en navigation et adorant la mer, il avait vendu son voilier, l’Askoy, à deux jeunes Américains, et sa compagne Maddly Bamy lui avait acheté un avion bimoteur Beechcraft Twin Bonanza qu’il avait baptisé «Jojo », en souvenir de son vieil ami disparu en 1974, Georges Pasquier. Il avait vite appris à piloter, pour se mettre au service de toute la population de l’archipel et plus particulièrement des religieuses de l’école Sainte-Anne, retrouvant ainsi ses racines chrétiennes. La nuit tombe très vite aux Marquises et c’est sous les étoiles que je quittai les sépultures de Brel et de Gauguin pour rejoindre mes hôtes.
Gaston Flosse, infatigable, ne s’arrêtait jamais. La soirée fut consacrée à un rassemblement avec les élus de Hiva Oa, mais aussi ceux de Tahuata et de Fatu Hiva, venus à bord de leurs speed boats, petits bateaux à fond plat et gros moteurs hors-bord, avec lesquels ils se déplacent par tous les temps entre les îles. Après un bon sommeil dans une maison amie, départ le lendemain matin, toujours avec notre petit avion, pour Nuku Hiva, la capitale administrative des îles Marquises, afin d’y saluer le chef de la subdivision, représentant le haut-commissaire, puis participer à une réunion en compagnie des élus. En fin de soirée, grande réunion."

Rencontre avec Oscar Temaru
« Ma dernière journée en Polynésie fut consacrée à de multiples rendez-vous politiques, et surtout à ma rencontre avec Oscar Temaru, président du mouvement indépendantiste Tavini huira’atira.
Je le connaissais à travers les nombreux articles de presse que j’avais eu l’occasion de lire à son sujet mais ne l’avais jamais rencontré. De taille moyenne, râblé, il donnait une impression de force et de solidité. Il était vêtu d’un léger pantalon de toile et d’une chemise verte à fleurs blanches, le col largement ouvert. Une chevelure abondante, déjà grisonnante, surmontait son visage souriant bruni par le soleil. L’homme était sympathique et l’entretien fut direct. Oscar Temaru était indépendantiste depuis son engagement à seize ans dans la Marine nationale et son service en Algérie dans les années 1960, et il le resterait jusqu’à la fin de son existence.
Homothétique de Gaston Flosse pour son amour et sa connaissance de la Polynésie, il était à l’opposé en ce qui concernait l’évolution de son statut. Au cours de notre entretien, il m’expliqua son cheminement, sa détermination et sa volonté de faire avancer les choses sans recourir à la violence. En le quittant, j’avais la certitude que l’opposition au Tahoera’a était bien implantée et que Gaston Flosse avait en face de lui un adversaire à sa mesure.
J’arrivais au terme de mon premier séjour en Polynésie. Il y en aurait beaucoup d’autres. Je venais de découvrir le Pacifique et j’étais reconnaissant à Flosse d’avoir, sur les cinq archipels, choisi celui des Marquises pour me permettre de comprendre l’immensité, la diversité et la complexité de ce territoire, polynésien et français à la fois. »


Balladur dit non à un ministère d’État pour l'Outre-mer
"C’est le 20 mars 1986 que le gouvernement fut constitué. Dans la matinée, Chirac me téléphona pour me dire qu’il avait un problème avec le titre de ministre d’État qu’il m’avait affirmé vouloir donner au portefeuille de l’Outre-Mer. Il avait l’intention, me certifia-t-il, de donner le titre de ministre d’État à trois ministres: Balladur à l’Économie et aux Finances, André Giraud à la Défense, et moi à l’Outre-Mer, mais Balladur s’y opposait : « Dès que j’en ai parlé à Édouard, il m’a fait une grosse colère et m’a menacé, s’il n’était pas seul bénéficiaire de ce titre, de ne pas participer au gouvernement. Tu comprends ma situation, Bernard !» Je la comprenais parfaitement, car il y avait longtemps que j’avais théorisé, bien avant Pasqua, la fameuse formule: «Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.»
Je n’ai jamais eu un ego débordant, et cette péripétie ne me fit ni chaud ni froid. J’en étais un peu contrarié pour les élus et pour les habitants de ces départements ou territoires français éloignés de Paris, qui auraient certainement interprété l’attribution de ce titre à leur ministère de tutelle comme un signe de reconnaissance et d’intérêt. Par ailleurs, dans les futures négociations interministérielles, un titre de ministre d’État, en particulier face au ministère du Budget, n’aurait pas été négligeable. Mais déjà, pour l’ensemble de l’outre-mer, passer d’un secrétariat d’État à un ministère de plein exercice, septième dans l’ordre protocolaire du gouvernement, qui plus est doté d’un secrétariat d’État pour le Pacifique, c’était une belle promotion, un signe important de l’intérêt que le chef de la nouvelle majorité portait à ces questions. "



Bernard Pons a été ministre des Territoires et Départements d'Outre-Mer sous le gouvernement Chirac du 20 mars 1986 jusqu’au 10 mai 1988.
Bernard Pons a été ministre des Territoires et Départements d'Outre-Mer sous le gouvernement Chirac du 20 mars 1986 jusqu’au 10 mai 1988.
Gaston Flosse nommé secrétaire d'Etat
"Avant de m’installer dans l’hôtel particulier de la rue Oudinot, dans le VIIe arrondissement, siège du ministère, je constituai mon cabinet. Comme cette nouvelle responsabilité n’était pas une surprise, j’avais déjà anticipé et ma nouvelle équipe fut rassemblée en quelques heures.
Je confiai la direction du cabinet au préfet Gilbert Masson, ancien conseiller technique auprès de Georges Pompidou à la présidence de la République, ancien préfet du Lot – c’est sur ces terres que nous nous étions connus. Je choisis Raymond-Max Aubert comme directeur adjoint plus particulièrement chargé du Pacifique, et à ce titre en relation étroite avec Gaston Flosse, nommé auprès de moi comme secrétaire d’État chargé du Pacifique. "

En meeting à Taha’a
Bernard Pons revient en Polynésie française en mai 1986 ."Au cours d’une réunion en tête à tête, (Gaston Flosse) me rendit compte des contacts qu’il avait pu nouer en Nouvelle- Calédonie où, à ma demande, il venait de passer quelques jours. Le bilan était maigre, cependant il avait établi quelques liens très utiles du côté des Polynésiens, des Wallisiens et des Futuniens.
Par ailleurs, il voulait me montrer sur le terrain la reconstruction en antisismique et anticyclonique d’un village rasé par un précédent cyclone. (…) Le soir de ce même jour, Gaston avait prévu d’utiliser ma présence pour une réunion publique à ses côtés sur l’île de Taha'a, dans le lagon de Raiatea, dans l’archipel des îles Sous- le-Vent. Je n’avais pas la tenue polynésienne, chemise hawaïenne sur un pantalon léger. Je portais l’uniforme ministériel, costume alpaga bleu marine, chemise blanche, cravate bleu marine et mocassins noirs. Gaston me déclara que ça ne gênait en rien, bien au contraire. Nous voilà donc partis à Raiatea, afin d’embarquer sur une vedette légère pour Tahaa, petite île de cinq mille habitants au milieu du lagon.
La cabine n’était pas bien grande pour quatre personnes, le pilote, M. Maté Hart, le conseiller territorial local, Gaston et moi. Notre embarcation filait bon train et je le fis observer à Gaston, qui me répondit : « Sois tranquille, Bernard, le pilote est un Chinois qui connaît le lagon par cœur, non seulement les balises mais tous les récifs coralliens. » Effectivement, notre pilote semblait parfaitement à l’aise au milieu de ces « patates » coralliennes qu’on voyait affleurer un peu partout. J’avais l’impression que nous naviguions au milieu d’un champ de mines, mais bientôt devant nous la silhouette de l’île de Taha’a émergeant de la brume légère me tranquillisa.


A 92 ans Bernard Pons vient de publier ses mémoire Aucun combat n’est jamais perdu aux éditions L’Archipel. Photo : AFP
A 92 ans Bernard Pons vient de publier ses mémoire Aucun combat n’est jamais perdu aux éditions L’Archipel. Photo : AFP
Tombé à l’eau dans le lagon
« Comme tous les meetings politiques en Polynésie, la réunion menaçait d’être longue, mais vers 23 heures un orage violent s’abattit sur le lagon: tonnerre, éclairs, pluie, vent. Ce déchaînement subit abrégea le programme. Il n’y avait ni vainqueur ni vaincu, tout le monde était content et, sous des trombes d’eau, chacun des visiteurs regagna le bateau qui l’avait amené là. Protégé par un immense parapluie que tenait fermement le conseiller territorial, je pus rejoindre aisément notre vedette. Nous étions bien à l’abri et je pensais que nous allions attendre tranquillement la fin de l’orage pour regagner Raiatea.
Je me trompais: nos amis, habitués à ces tempêtes tropicales, n’en faisaient aucun cas et se préparaient donc pour le départ. Maté Hart, couvert d’un immense ciré à capuche et muni d’une puissante lampe torche, s’installa avec l’aide du marin chinois sur le toit de la vedette, afin d’éclairer les balises, et nous partîmes sous un déluge. Dans ma grande naïveté, je pensais que notre vitesse serait proportionnelle à la visibilité. Pas du tout! Le «Chinois», aussi assuré dans la tempête que le matador dans l’arène, donnait au moteur toute sa puissance, et vogue la vedette! Debout derrière le pare-brise, me cramponnant comme je le pouvais aux poignées en inox, car le lagon était fortement agité, je cherchais à me repérer, en habitué de la mer. Mais c’était impossible, la pluie formait un véritable rideau. Je touchai le bras de Gaston Flosse debout à mes côtés et je lui fis signe, en agitant la main droite, qu’il fallait ralentir. Bouche contre mon oreille tant le tumulte était grand, il hurla: «N’aie pas peur. C’est un Chinois!» Une minute plus tard, notre vedette s’écrasait contre un énorme récif. Le cockpit s’ouvrit en deux et je me sentis couler lentement, fort heureusement dans une eau à 29 °C. Le lagon n’était pas profond à cet endroit et, très vite, je fis surface. Les débris de la vedette s’éparpillaient; nous étions tous les quatre indemnes, à patauger sous une pluie battante, moi en costume, chemise blanche, cravate et mocassins. De nombreux bateaux amis s’étaient arrêtés pour nous venir en aide – d’autres passaient en agitant les bras, des partisans d’Oscar Temaru sans doute!
C’est encore sous la pluie et dans un état pitoyable que nous débarquâmes de cette équipée sur le port de Raiatea. La vedette était en miettes mais nous n’avions aucun blessé, et c’est chez Maté Hart qu’on nous donna des vêtements secs ainsi qu’une collation nocturne qui nous remit sur pied. L’activité ministérielle est toujours pleine d’imprévus. »

Rédigé par Mélanie Thomas le Samedi 28 Avril 2018 à 10:57 | Lu 5284 fois