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Le recyclage de la nacre a un avenir prometteur


Mia Williams et Hugues Cochard dans leur atelier à  Fakarava ©Vaite Urarii Pambrun
Mia Williams et Hugues Cochard dans leur atelier à Fakarava ©Vaite Urarii Pambrun
Tahiti le 18 novembre 2025 –L’entreprise de Mia Williams et Hugues Cochard fait partie des 30 sociétés sélectionnées pour le Concours de l’innovation à Paris. Ils sont les seuls du Fenua à valoriser les déchets de nacres perlières. Ils les broient sous différents calibres et la poudre, riche en calcium, est surtout utilisée  dans l’agriculture. Par ailleurs, d’autres pistes sont étudiées à l’instar de l’écoconstruction, la fabrication de nucléus, et même dans le domaine de la cosmétique, la santé ou encore la décoration.
 
 PolyNacre est une petite entreprise de revalorisation des coquilles de nacre située à Fakarava. Elle est dirigée par Mia Williams et son tāne, Hugues Cochard. Ils participeront à la dixième édition du concours de l’innovation le 28 novembre prochain à Paris. Leur activité de “valorisation de l’huître perlière” fait partie des trente sélectionnées parmi les 250 initiatives candidates. Il y a des catégories comme l'or bleu dans lequel on est. Les entreprises qui ont une valeur écologique ou sociétale et qui sont innovantes dans les territoires de l'outre-mer seront mises en avant”, explique Hugues Cochard. Le couple dit être “est très fier que notre travail ait été reconnu et surtout d’utiliser un produit de chez nous”.
 
Hugues Cochard se décrit dans l’innovation depuis plus de 30 ans et “toujours en veille (…). J'ai vu ce concours et on rentrait dans les critères possibles”. Effectivement l’an dernier, la Fédération des associations de protection de l’environnement leur a décerné le “Trophée Climat, car on a une économie circulaire positive utilisant les produits locaux pour l'économie locale”. L’entrepreneur ajoute avoir été soutenu par l’Adème et par le programme PROTEGE “pour lancer cette économie circulaire de produits à vocation de recyclage et de secteur primaire à secteur primaire”.

Valoriser la nacre une idée de 2017 …

L'idée de valoriser la nacre remonte à 2017, lorsque le prix de la perle a commencé à chuter. “Étant perlicultrice comme mon père et mon grand-père, j'ai décidé de valoriser les naissains pour approvisionner les perliculteurs”, explique Mia. En 2018, le couple participe aux débats organisés à la suite du rapport Eco-Nacre, à l’initiative de la Direction des ressources marines : “On avait envie de travailler dans le domaine de la nacre et il y a eu un rapport Eco-Nacre sur sa valorisation”, se souvient Mia. “La Polynésie a une histoire de 60 ans de perliculture et il y a eu énormément de déchets stockés par les fermes. Une grande partie n’est pas utilisée. Et notre mission c'est de les récupérer, les retraiter et les revaloriser. La matière première, elle est présente et abondante”, avance la porteuse de projet. Tous les ans, près de 1.600 tonnes de coquilles de nacre sont exportées de Polynésie.
 
Les nacres non-utilisées ou non valorisables pour faire de l'artisanat sont ainsi récupérées et réduites en une poudre très riche en calcium. “On importe du calcium pour l'amendement de sols ou l'alimentation pour les poules. Aujourd’hui, on peut réduire les importations avec une logique d'économie circulaire.”
 
Le couple a décidé de s’installer à Fakarava car Mia est originaire de l’atoll mais surtout “pour être au plus proche des producteurs et pour être sur les trajets des bateaux” de façon à faciliter l’approvisionnements “mais la difficulté, c'est l'éclatement des îles”.
 
Mia et Hugues travaillent avec les services du Pays comme avec la Direction de l’agriculture concernant la valorisation de la poudre de nacre pour l’alimentation aviaire mais également pour l’amendement de sols. Un projet est également à l’étude avec la Direction des ressources marines pour la fabrication de “nucléus spécifiques avec de la poudre de coquille”. Une piste liée à l'écoconstruction est aussi à l’étude avec le soutien de la DRM

La nacre pour … la cosmétique, la santé ou la décoration

Mia et Hugues ne tarissent pas en matière d’idées innovantes et ont même l’intention de se diversifier dans d'autres secteurs, comme la cosmétique, la santé ou encore la décoration.
“Ce sont des axes de développement à valeur ajoutée où on peut vendre le produit plus cher sur d'autres marchés que le marché local.” Ces projets sont à l’étude. “On a des partenaires avec qui on travaille, mais pour l'instant, on n'a pas vraiment d’action concrète.”
 
Leur participation à ce concours de l’Innovation est l’opportunité “de rencontrer des financeurs et de partenaires qui nous ouvrent leurs portes ou qui nous mettent en relation avec d'autres personnes : on ne va pas à Paris que pour gagner le premier prix”.
 
Ils rappellent qu’une levée de fonds est prévue et qu’un dossier destiné à la Banque publique d’investissement est prêt “pour avoir un financement complémentaire sur nos activités. Parce que faire de l'innovation, ça veut dire mettre de l'argent sur le potentiel futur. Et la trésorerie d'une exploitation normale, surtout dans ce secteur d'activité, ça génère très peu de marge de manœuvre. Ça permet de payer l'activité, mais pas d'investir sur des nouveaux secteurs d'activité. Donc, il faut qu'on ait des partenaires financiers, des investisseurs, qu'on va rechercher à Paris pendant cette semaine. Et de créer des liens avec d'autres industriels sur d'autres secteurs pour aller dans des branches techniques qui nous ouvrent des opportunités de valorisation plus intéressantes”. Des rendez-vous sont d’ailleurs dores et déjà prévus.
 
Pour ce projet, tous deux ont investi, à ce jour, pas moins de 50 millions de francs. Aujourd’hui ils sont opérationnels mais la mise en place de ce projet a débuté il y a quatre ans déjà. “C'est-à-dire que la gestation, la mise en place, les permis, les autorisations diverses et variées, les tests, les réunions, le fait d'avoir les accords de transport. Enfin, tout ce qui permet d’avoir aujourd’hui cette activité, ça nous a pris 4 ans. Avec les différentes autorités, il a fallu quand même faire des études et Fakarava est aussi en réserve de biosphère. Nous avons expliqué notre procédé de production, la destination, l'emplacement et les raisons de ces choix. Pour travailler un produit de broyage et de rapatriement, il a fallu qu'on ait toutes les autorisations légales. Donc, ça a mis du temps.”
 
Mia et Hugues ont même rencontré le tāvana de Fakarava, Etienne Maro, le ministre de l’Agriculture, Taivini Teai, ou encore le directeur de la Direction de l’agriculture, Roland Bopp.“Ces personnes ont eu tous les détails de notre activité. Ça nous tient à cœur parce que tout le monde a travaillé énormément pour que ce produit voie le jour. Faire plus court ça aurait été difficile.”
 
Ce mercredi, Mia Williams et son tāne Hugues Cochard s’envolent pour Paris représenter la Polynésie et pourquoi pas ramener au Fenua le premier prix de ce concours de l’Innovation 2025.

Hugues Cochard “On ne vise pas l’Eldorado mais plutôt une économie vertueuse”

“On ne vise pas l’Eldorado car si on faisait ça pour de l'argent, on aurait mieux fait de faire autre chose parce qu'aujourd'hui, ça nous a coûté de l'argent qu’on n’est pas encore près de récupérer. Donc, le problème, il est plutôt dans une économie vertueuse et c'est idéologique, même s'il faut quand même gagner sa vie.
Là, il nous manque des équipements complémentaires et des actes stratégiques de développement et d'innovation.  Il faudrait de la valeur ajoutée. C'est surtout sur cette valeur ajoutée qu'on gagnerait de l'argent. La poudre que l’on fabrique c'est pour vraiment pour l'environnement ; participer à redorer l'image de la perliculture, à récupérer cette matière première. Alors, même s'il faut faire de l'argent, ce n'est pas la finalité."

Mia Williams “Changer les habitudes, c'est difficile”

“On produit localement du calcium...C'est vrai qu'il faudrait petit à petit réduire l'importation, et il faudrait aussi obliger les perliculteurs à recycler leurs déchets. Donc, si on a les deux, on est vraiment dans une économie vertueuse. Et on peut le faire, ce n'est pas très compliqué, et ça ne coûte rien à personne (…). Quand ils font le tri, ils peuvent très bien mettre dans un big bag directement, comme une poubelle au lieu de les jeter par terre et après de les prendre avec le transpalette. Les nacres peuvent être mise en sacs et puis ils nous l'envoient. C'est facile, mais comme on dit, c'est les habitudes. On a déjà proposé à plusieurs perliculteurs de fournir les sacs et de ne plus jeter leurs nacres déclassées. Changer les habitudes, c'est difficile.”
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Mardi 18 Novembre 2025 à 19:07 | Lu 3098 fois