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Vanuatu: Prison ferme pour les députés corrompus


L’ancien Premier ministre Moana Carcasses monte à bord d’un bus de police après l’annonce de sa sentence pour corruption active.
L’ancien Premier ministre Moana Carcasses monte à bord d’un bus de police après l’annonce de sa sentence pour corruption active.
PORT-VILA, mercredi 21 octobre 2015 (Flash d’Océanie) – La Cour Suprême de Vanuatu a condamné jeudi 14 députés et anciens ministres à des peines de prison ferme, dans une affaire de corruption perçue comme sans précédent dans cet archipel mélanésien.

Dans cette série de sentences, d’une ampleur jamais connue dans la jeune histoire de cet ancien condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides, l’ancien Premier ministre francophone et jusqu’à récemment Vice-premier ministre Moana Carcasses, au centre de cette affaire de pots-de-vin et de corruption, a écopé d’une peine de quatre ans de prison fermes avec effet immédiat.
Le Président du Parlement, Marcelino Pipite, qui avait profité de la récente absence du Président de la République pour proclamer une grâce pour lui-même et les treize autres élus, écope quant à lui d’une peine de trois ans de prison.
La même sentence a été prononcée pour un autre ancien Premier ministre francophone, Serge Vohor.
La plupart des autres politiques reconnus coupables des mêmes chefs d’accusation, souvent de corruption passive, ont aussi reçu des peines du même ordre de longueur, rapporte la presse locale.
Le seul de ces élus ayant apparemment trouvé grâce aux yeux de la justice vanuatuane est Willie Jimmy, vétéran de la politique, qui avait, dès le début des audiences, choisi de coopérer avec l’accusation et d’emblée plaidé coupable.
Il a bénéficié d’une forme de clémence en ne se voyant condamné qu’à vingt mois de prison avec sursis.
Ces sentences ont été annoncées par la juge Mary Sey, dans un climat tendu, alors que des centaines de personnes s’étaient rassemblées dans le calme à l’extérieur de la salle d’audiences.
La magistrate, en rendant sa sentence, a comparé la corruption à un « cancer » qui minait la vie politique.
Aucun incident n’a été signalé.
La veille, le Président du Grand Conseil des Chefs coutumiers avait jugé utile d’appeler la population au calme, à au respect de l’état de droit et à celui aussi des valeurs coutumières et traditionnelles, qui fondent cet État insulaire.


La foule a su garder son calme à l’extérieur de la salle d’audiences, sous haute protection policière.
La foule a su garder son calme à l’extérieur de la salle d’audiences, sous haute protection policière.
Depuis la semaine dernière, le climat dans la capitale vanuatuane a été particulièrement tendu.
Vendredi 16 octobre 2015, la police a lancé une vaste opération visant à arrêter 11 des 14 députés reconnus coupables par la Cour.
Juste avant le lancement de cette opération de police, sans précédent dans l’histoire de cet archipel mélanésien, le Président en titre, Baldwin Lonsdale, de retour dans l’archipel, avait ordonné la révocation de l’amnistie prononcée par Marcelino Pipite, Président du Parlement.
Les élus arrêtés vendredi 16 octobre 2015 sont : Marcelino Pipite, Paul Telukluk, Silas Yatan, Tony Nari, John Amos, Arnold Prasad, Tony Wright, Sebastian Harry, Thomas Laken, Jean Yves Chabot et Jonas James.
Trois avocats, soupçonnés d’avoir conseillé le Président du Parlement avant son annonce de gracier les élus coupables, ont aussi été arrêtés vendredi.
Des véhicules de police ont été déployés en plusieurs points de la capitale, afin d’appréhender les élus et de les amener au centre pénitentiaire de Port-Vila, où ils ont séjourné jusqu’au lundi 19 octobre 2015, date à laquelle ils ont pu bénéficier d’une remise en liberté provisoire.

Dans cette atmosphère, et en prévision de l’annonce des sentences jeudi, plusieurs établissements publics de Port-Vila avaient décidé de garder portes closes, y compris le Lycée français de Port Vila qui, dans un message publié mercredi, informait que « En raison des événements actuels, l'établissement sera exceptionnellement fermé ce jeudi 22 octobre. Les cours reprendront normalement le vendredi 23 octobre. »

Un jugement charnière

Ces condamnations sont considérées comme faisant date dans l’histoire de Vanuatu, devenu indépendant en 1980, après des années de pratiques douteuses de la part des politiques.
La création, au milieu des années 1990, d’un bureau du médiateur censé veiller au bon respect du code des dirigeants, et d’une déontologie dans la classe politique, n’a eu que peu d’effets : les rapport parfois cinglants de la première titulaire de ce poste, la Française d’origine Marie-Noëlle Ferrieux-Patterson, ont pour la plupart été ignorés.
Les 14 personnalités reconnues coupables et condamnées jeudi 22 octobre 2015 sont Moana Carcasses, Marcelino Pipite, Steven Kalsakau, Paul Telukluk, Serge Vohor, Jonas James, Tony Nari, Thomas Laken, Silas Yatan, Sebastien Harry, Arnold Prasad, Tony Wright, Jean Yves Chabot, John Amos et Willie Jimmy.
Mercredi 21 octobre 2015, la même Cour Suprême de Vanuatu avait invalidé les grâces prononcées le 10 octobre 2015 par le Président du Parlement, qui déclarait alors agir en tant que Président de la République par intérim, en l’absence momentanée du chef de l’État.


Le Président Baldwin Lonsdale : a repris les choses en main dès son retour dans l’archipel.
Le Président Baldwin Lonsdale : a repris les choses en main dès son retour dans l’archipel.
Tentatives d’ « auto-grâce »

Marcelino Pipite, Président du Parlement de Vanuatu, avait profité d’une brève période d’intérim des fonctions du Président de la République, Baldwin Lonsdale, en voyage à l’étranger, pour gracier 14 députés, dont lui-même, reconnus coupables de corruption quelques ours plus tôt.
À Vanuatu, le Président du Parlement assume automatiquement les fonctions du Chef de l’État lorsque ce dernier se trouve en déplacement à l’étranger.

Vendredi 9 octobre 2015, au terme de longues audiences, la Cour Suprême de Vanuatu avait rendu un verdict prononçant coupables M. Pipite ainsi que 13 autres députés membres de l’Assemblée (52 sièges) dans une affaire de corruption active ou passive.
Parmi les coupables : l’ancien Premier ministre Moana Carcasses, devenu Vice-premier ministre au sein du gouvernement actuel, à la faveur du vote d’une motion de censure.
De nombreuses autres personnalités ont aussi ministres au sein du gouvernement actuel, dirigé par le Premier ministre Sato Kilman.
Dans son jugement rendu mercredi 21 octobre 2015, dans une salle d’audiences comble, le juge Oliver Saksak a estimé en substance que l’intérim de la Présidence de la République ne conférait pas tous les pouvoirs dont dispose le Président en titre.
Il a aussi validé la révocation de ces grâces, prononcée par M. Lonsdale dès son retour dans cet archipel mélanésien.
Dans l’affaire de corruption à l’origine de ces batailles judiciaires, et qui concerne 14 députés (dont le Président du Parlement et l’ancien Premier ministre Moana Carcasses), la Cour Suprême doit prononcer les sentences jeudi 22 octobre 2015.

Répercussions sur l’exécutif

Toutefois, depuis, le Premier ministre Sato Kilman a dû se résoudre à démettre de leurs fonctions les quatre ministres concernés.
Il assume depuis leur intérim aux fonctions de ministre des affaires foncières (jusqu’ici assumé par Paul Telukluk), de l’équipement et des travaux publics (jusqu’ici assumé par Tony Nari), de l’éducation, de la jeunesse et des sports (jusqu’ici assumé par Tony Wright) et du changement climatique (jusqu’ici assumé par Thomas Laken).

L’opposition, pour sa part, a déposé en milieu de semaine dernière une motion de censure à l’encontre du Premier ministre Sato Kilman.
Le débat de cette motion pourrait avoir lieu le 21 octobre 2015.
Motif de cette motion : la conduite de plusieurs membres du gouvernement actuel, en lien direct avec l’affaire judiciaire de corruption, suivie des grâces prononcées par M. Pipite.
Plus tôt dans la semaine, plusieurs députés de l’opposition avaient aussi exprimé leur surprise en constatant que des sommes importante avaient été déposées sur leurs comptes bancaires personnels.
Ces sommes émanant du gouvernement, portaient la mention « remboursement cyclone tropical Pam ».
Selon Ham Lini, chef de l’opposition, le versement de ces sommes (dépassant les huit mille dollars US) ne figure à aucun chapitre budgétaire et pourrait par conséquent se révéler illégal.
Ce nouvel épisode dans l’histoire politique chargée de Vanuatu a une nouvelle fois relancé le débat sur la nécessité de toiletter a Constitution actuelle, mise en place lors de l’accession des Nouvelles-Hébrides (condominium franco-britannique jusqu’en juillet 1980).

Pour démêler cet imbroglio politico-judiciaire, l’un des cas de figure présentés comme une option par le Président Lonsdale, en début de semaine, pourrait même aller jusqu’à une dissolution du Parlement et la convocation du peuple aux urnes pour de nouvelles législatives.
Cette option pourrait être à l’ordre du jour, mais en dernier recours, a précisé le chef de l’État.


À l’origine de la condamnation des députés, le vendredi 9 octobre 2015 : d’importantes sommes d’argent remises sous forme de « prêts » aux élus, qui se sont aussi trouvés avoir soutenu la dernière motion de censure en date dans l’histoire politique agitée de cet archipel mélanésien.
La motion avait renversé M. Joe Natuman, alors Premier ministre, qui avait auparavant renversé M. Carcasses par le même procédé de motion de défiance.
Au cours des audiences, M. Carcasses avait adopté une stratégie de défense consistant à affirmer que ces « prêts » aux députés (pour un total annoncé à quelque 35 millions de vatu, soit plus de 275.000 euros) provenaient de ses fonds propres et a démenti en bloc toute notion de pot-de-vin.
La Cour en a décidé autrement en reconnaissant tous les accusés coupables des chefs d’accusation portés à leur encontre et en estimant que le versement de ces sommes avait pour vocation principale d’influencer les élus en vue d’un soutien à la motion de censure contre M. Natuman.
La juge Mary Sey, qui entendait l’affaire avait annoncé qu’elle prononcerait les peines associées à ce verdict le 22 octobre 2015.
Aux termes de la loi, ces peines pourraient atteindre les dix ans de prison.

pad

Rédigé par PAD le Jeudi 22 Octobre 2015 à 05:35 | Lu 928 fois