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Une rentrée attendue au palais


Tahiti, le 27 janvier 2023 – Le contexte tendu entre magistrats au palais de justice de Papeete n'a perturbé en rien vendredi matin les audiences solennelles de rentrée de la cour d'appel et du tribunal de première instance. L'occasion a surtout été donnée d'insister sur la future section détachée des Tuamotu-Gambier, de rappeler les axes de la politique pénale et de pointer les manques d'effectifs au greffe.
 
C'est dans une ambiance assez particulière que s'est tenue vendredi matin l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel et du tribunal de première instance de Papeete. "Habituellement, je n'y vais pas. Mais là j'ai très envie d'entendre ce qui va se dire", glissait un avocat cette semaine dans les couloirs du palais. Trois mois après le débarquement pour "insuffisance professionnelle" d'un juge d'instruction, au terme d'une année marquée par plusieurs missions d'inspection et enfin après les récents échos relayés dans la presse locale et nationale des tensions entre magistrats nées de ces procédures, l'exercice traditionnel de l'audience solennelle semblait cette année attendu avec plus de curiosité qu'à l'accoutumé par son auditoire. Un contexte particulier renforcé par un appel du Syndicat de la magistrature et de l'Union syndicale des magistrats à "ne pas siéger" lors de ces deux audiences solennelles de la cour et du tribunal.
 
Rien à signaler
 
Pour autant, absolument rien de ce contexte singulier n'a filtré de cette matinée et des discours des deux chefs de juridictions et de leurs deux parquetiers respectifs. Quelques magistrats du siège manquaient effectivement au tribunal et un peu moins à la cour. Mais la salle d'audience était au contraire particulièrement remplie pour l'occasion. Côté discours, la présidente du tribunal de première instance, Laure Camus, a ré-insisté une nouvelle fois sur les problèmes d'effectifs, notamment au greffe, évoqué pêle-mêle la future section détachée des Tuamotu-Gambier qui verra bientôt le jour avec l'accord de principe de la Chancellerie, ou souligné le manque d'experts qui paralyse certains dossiers du tribunal foncier… Quand de son côté, le premier président de la cour d'appel, Thierry Polle, a salué "l'année exceptionnelle" du point de vue du bilan d'activité et de la baisse du stock des affaires en cours. Allant même jusqu'à évoquer les détails de la "galette des rois" organisée par la juridiction, le magistrat n'a pourtant fait aucune référence à la cuisine interne des magistrats du palais. "Malheureusement, ça arrive ici comme ailleurs qu'il y ait des dysfonctionnements", évacuera un peu plus tard le premier président face à la presse sur ces questions.
 
Côté parquet, le procureur général, Thomas Pison, a axé son discours sur deux priorités de "politique pénale et d'action publique" : la lutte contre les trafics de stupéfiants et les violences intrafamiliales. Rappelant ainsi que, pour la première, on estime toujours à 10 000 habitants du territoire le nombre de consommateurs d'ice et, pour la seconde, on dénombre 4 faits pour 1 000 habitants en Polynésie contre 1,5 pour 1 000 en Métropole… Le procureur de la République, Hervé Leroy, a rappelé les grands axes inchangés de la politique pénale au fenua depuis la circulaire Urvoas de 2017 (violences intrafamiliales, délinquance routière, délinquance juvénile, atteintes à la probité, surpopulation carcérale et désormais trafic d'ice). Mais il a également souhaité insister, c'est moins habituel, sur l'effort fait en matière de répression des "atteintes à l'environnement". Hervé Leroy qui a souhaité revenir sur une problématique encore soulevée récemment avec la prescription de l'affaire Chanut ou la cassation de la prescription dans l'affaire Haddad-Flosse : "On s'étonne dans la presse locale que certaines affaires soient jugées plusieurs années après la commission des faits ou que des dossiers appelés à l'audience soient renvoyés, mais cela est dû, en partie, à l'encombrement du rôle correctionnel et à l'insuffisance des effectifs".
 
Le point noir du greffe
 
Outre que l'on peut se satisfaire -certes à titre tout à fait corporatiste- de ce qu'un procureur s'inquiète des préoccupations de la presse locale, la transition permet surtout d'évoquer l'un des sujets les plus récurrents des différents discours de ces deux audiences solennelles. Si les quatre différents magistrats ont de nouveau souligné vendredi à l'unisson le problème du manque d'effectifs au palais de justice, c'est surtout la situation générale du greffe qui apparaît préoccupante. Sur les huit postes de greffiers actuellement vacants, seuls quatre seront pourvus en septembre par le retour des greffiers CEAPF issus du concours de 2022. "On est en discussion avec notre ministère pour qu'on ait des concours plus fréquents", a souhaité rassurer le premier président de la cour d'appel.
 
Plus spécifique enfin, mais encore plus urgent, le sujet du greffe du registre du commerce n'a pas été oublié. "Il y a urgence. La situation est tendue et difficile. Il faut que rapidement le transfert intervienne pour le bien de tous et notamment des entreprises", a souligné le procureur général au lendemain de "l'appel au secours" des notaires, avocats et chefs d'entreprises polynésiens. L'occasion de ces audiences solennelles était en tous cas celui de relayer cette préoccupation majeure pour l'économie polynésienne. Parmi les acteurs du dossiers présents vendredi matin au palais, le premier président Thierry Polle a annoncé vouloir "relancer une demande de renfort plus important pour maintenir ce service à flot". Le haut-commissaire, Éric Spitz, doit évoquer le sujet avec Paris la semaine prochaine. Le ministre de l'Économie, Yvonnick Raffin, planche sur la concrétisation du transfert du registre côté Pays. Et le député Moetai Bortherson doit également rencontrer la Chancellerie le 7 février prochain à Paris pour évoquer ce dossier. Les audiences solennelles permettent donc bien de faire passer des messages, quand bien même ce ne seraient pas ceux que l'on y attendait.
 

​Thierry Polle, premier président de la cour d'appel : "Ça arrive, ici comme ailleurs, qu'il y ait des dysfonctionnements"

Vous semblez très satisfait notamment des indicateurs d'activité de la cour d'appel et particulièrement de la baisse du stock des affaires en cours ?
 
"La cour d'appel est plus performante qu'elle n'était, notamment en termes de délais au bénéfice du justiciable. On a gagné des mois de délais. Et on sait que pour les justiciables qui attendent le règlement de leurs litiges, quelques mois de moins, c'est quand même important. C'est le sens des efforts qui ont été faits et les résultats sont à la hauteur des espérances. Même s'il faut encore être plus efficaces. En tous cas, on est maintenant au moins aussi efficace que les juridictions de métropole.
 
Vous avez annoncé la création d'une section détachée pour les Tuamotu-Gambier. C'est une demande qui datait de quelques années et qui va se concrétiser ?
 
"En 2021, on avait présenté cette demande au Garde des Sceaux. Si je l'ai évoquée, c'est parce que la Chancellerie nous a donné un accord de principe. J'ai donc très bon espoir que ça se fasse cette année. Ce qui serait vraiment une grande avancée pour nos concitoyens de ces archipels pour l'accès au droit."
 
Sur l'activité générale des juridictions, cour d'appel et tribunal, on ressort tout de même d'une sanction récente d'un magistrat pour "insuffisance professionnelle", on voit des dossiers notamment pénaux passer de très longues années avant d'être jugés et on a même vu tout récemment un dossier Chanut visiblement "oublié" se retrouver prescrit à l'audience… Est-ce que ces épisodes ne viennent pas ternir le bon bilan de l'activité des juridictions ?
 
"Les magistrats sont soumis, comme tous les fonctionnaires, à un régime disciplinaire. Quand il y a des manquements, ils sont sanctionnés par le CSM. C'est la règle et on respecte bien entendu la décision du CSM. Malheureusement, ça arrive ici comme ailleurs qu'il y ait des dysfonctionnements. Quant aux aléas procéduraux en matière pénale, bien sûr c'est toujours regrettable. Malheureusement, comme dans toutes les juridictions, le droit pénal est extrêmement complexe et il n'y a pas qu'à la cour d'appel de Papeete que ça arrive. Je ne pense pas, très honnêtement, que ça arrive plus souvent à la cour d'appel de Papeete qu'ailleurs. Il y a du positif, comme du négatif. Mais je retiendrai, si vous le voulez bien, le positif."
 
Le manque cruel d'effectif au greffe du registre du commerce fait tout particulièrement l'actualité aujourd'hui. Allez-vous relayer la demande de doter ce service de moyens supplémentaires, même ponctuels ?
 
"Ça fait des mois et même des années que, constamment, nous demandons le renforcement de ce service. Chaque année, nous obtenons des renforts. Mais ce sont des renforts contractuels. Puisque dès lors que ce service est destiné à être transféré au Pays, il n'y a pas de création de poste. Chaque année, nous relayons cette demande. Et cette année, nous avons eu l'annonce de deux emplois contractuels pour renforcer le service. Ils n'ont pas encore été embauchés, parce que c'est tout récent. Et incessamment, nous allons relayer une demande de renfort plus important pour maintenir ce service à flot et pouvoir répondre aux attentes légitimes des commerçants et de tous ceux qui ont besoin du registre du commerce."
 
Plus généralement, on retient des discours du jour que le greffe du tribunal et de la cour est largement sous-doté. C'est un problème ?
 
"Tout à fait. Je l'ai dit, nous avons huit postes de greffiers vacants. Des postes non pourvus. Et pour cela, malheureusement, il y a des spécificités locales. À savoir qu'il faut organiser des concours locaux pour des personnels CEAPF. Ce qui est vraiment une bonne chose en soi et qu'on apprécie beaucoup. Mais malheureusement, comme nous sommes de petits effectifs, on attend que les postes soient vacants pour organiser les concours. Le dernier avait eu lieu il y a huit ans. Avec le procureur général, on s'est bagarré pour qu'on ait un nouveau concours. On l'a eu en 2022. On a des agents qui ont réussi le concours. Mais comme rien n'est jamais simple, ces agents sont partis se former à Dijon et ils reviendront en septembre. Nous en avons quatre qui sont partis. Enfin l'idée là-aussi, c'est qu'on est en discussion avec notre ministère pour qu'on ait des concours plus fréquents. Par exemple tous les deux ans. Ce qui permettrait d'éviter ces difficultés temporaires qui nous pénalisent par rapport aux autres cours."
 


Rédigé par Antoine Samoyeau le Vendredi 27 Janvier 2023 à 19:46 | Lu 1504 fois