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Un rapport brise l'omerta entourant les médecins "mercenaires" à l'hôpital


PARIS, 17 décembre 2013 (AFP) - Jusqu'à 15.000 euros par mois: surpayés, les médecins employés à titre temporaire par les hôpitaux coûtent cher à la collectivité, souligne un rapport parlementaire consacré à ce phénomène qui bénéficie d'une "véritable omerta".

"L'hôpital public est à la peine pour recruter certaines spécialités, caractérisées par une forte pénibilité", souligne le député PS Olivier Véran, lui-même neurologue, dans ce rapport présenté mardi aux députés.

Anesthésie, médecine d'urgence, radiologie, gynécologie-obstétrique, pédiatrie souffrent plus particulièrement de pénurie chronique.

Face à cette situation, les directeurs d'hôpitaux, confrontés à une "surenchère salariale", sont contraints par une réglementation rigide qui ne leur permet pas d'augmenter la rémunération au-delà d'un certain seuil. Certains y dérogent, d'autres recrutent des médecins sur de courtes durées, au tarif du remplacement. Et renouvellent le contrat mois après mois.

Mais cette pratique coûte cher. Un médecin intérimaire touche en moyenne de 600 à 800 euros nets pour une journée de travail et son collègue titulaire 260 euros, selon le rapport. Cela représente un coût de 1.370 euros TTC à l'hôpital, soit "plus du triple du coût normal d'une journée de travail pour un praticien hospitalier (médecin titulaire)".

Le surcoût est évalué "de l'ordre de 500 millions d'euros" par an pour l'hôpital public.

La situation est "plus critique" dans les petites structures où certains services "ne se maintiendraient ouverts qu'en recrutant 100% de remplaçants".

"On n'a pas le choix, il faut faire tourner la boutique !", explique à l'AFP Nicolas Longeaux, président de la Commission médicale d'établissement de l'hôpital de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) qui a recours à plusieurs intérimaires en radiologie pour épauler le seul titulaire.

La ministre de la Santé Marisol Touraine s'est dite mardi "choquée" par cette situation dans des déclarations au Parisien, plaidant pour une "régulation".

Ce phénomène "semble avoir pris de l'ampleur mais bénéficie d'une véritable omerta", note le rapport.

Impossible de connaître le nombre de médecins temporaires: "Aucune structure nationale n'a de compétence pour les répertorier", souligne-t-il, avançant le chiffre de 6.000 praticiens.

"Pas de profil type"

Le marché se répartit entre sociétés de recrutement, agences d'intérim et recrutements directs en "gré à gré", "solution la plus couramment utilisée".

"Les candidats à ce mode d'exercice qui a ses contraintes mais peut s'avérer très lucratif ne manquent pas", relève-t-il encore.

Jeune qui ne cherche pas à se fixer tout de suite (20%), mère de famille (25%) ou senior retraité (25%), "il n'y a pas de profil type".

Dans 30% des cas, il s'agit d'un professionnel de l'intérim qui cherche à "gagner autant en travaillant moins ou à gagner beaucoup plus", jusqu'à 15.000 euros par mois.

L'argument financier n'a pas motivé le choix d'Olivier Vinot, un anesthésiste de 52 ans ayant renoncé à son poste dans un CHU pour exercer en intérim. Témoignant auprès de l'AFP, il dit apprécier sa "liberté d'organisation", qui lui permet d'effectuer en parallèle des missions humanitaires.

Certains cumulent leur fonction de titulaire avec des missions courtes ailleurs sur leurs week-end, congés, RTT, voire repos de sécurité, une pratique "totalement illégale".

Plus grave: "le marché s'est emballé, remettant en cause par endroits la qualité, la continuité, la sécurité des soins", affirme le rapport. Pour autant, "il est difficile de déterminer si la multiplication des missions temporaires s'accompagne d'un sur-risque pour les malades".

"Ce qui est certain, c'est que le médecin (remplaçant) ignore tout ou presque des procédures propres à chaque établissement".

Or les contrôles sont rares, selon M. Véran. "Il n'y a pas de remontée du terrain, les ARS (agences régionales de santé) s'impliquent avec parcimonie", a-t-il estimé.

"Nous contrôlons la déontologie des contrats passés par les médecins inscrits à l'Ordre des médecins mais nous n'avons pas de pouvoir sur leur rémunération", explique à l'AFP le docteur François Simon, de l'Ordre des médecins.

Le rapport, qui détaille 14 recommandations pour limiter ces pratiques, pourrait faire l'objet d'une proposition de loi, a précisé M. Véran, qui suggère de plafonner les rémunérations.

Le ministre du Travail Michel Sapin a estimé mardi qu'il fallait "inciter davantage les jeunes à être (...) médecins hospitaliers". Faire appel à des médecins étrangers? S'ils "ont la capacité, la qualification, les qualités pour occuper ces postes, pourquoi pas. Mais ce sont souvent ceux-là qui sont en situation d'intérimaires".

Rédigé par () le Mardi 17 Décembre 2013 à 06:21 | Lu 367 fois