Tahiti Infos

Un élevage de cochons dans un quartier OPH de Pirae


Les quatre cochons au cœur de la querelle
Les quatre cochons au cœur de la querelle
PIRAE, le 18 octobre 2018 - Marie-Yolande se plaint d'être victime, depuis 8 ans, d'odeurs et de bruits incessants causés par un élevage de cochons chez sa voisine. Tahiti Infos est allé à leur encontre pour tenter de démêler cette querelle de quartier.

Marie-Yolande, retraitée, habite au cœur de la vallée de la Fautaua, dans un lotissement OPH. Les maisons agglutinées de ce quartier défavorisé forment un labyrinthe de ruelles étroites, sinuant jusque chez elle. Au fond de sa cour, il suffit d'un coup d'œil à travers le grillage pour voir, chez la voisine et surplombant la rivière, quatre superbes bêtes qui se débattent dans un abri branlant. Si le spectacle est impressionnant, l'odeur devient vite insupportable. Même une fois réfugiés à l'intérieur de la maison, des reflux viennent perturber l'interview.

La porcherie improvisée vue depuis la rivière
La porcherie improvisée vue depuis la rivière
Marie-Yolande nous raconte son quotidien : "Imagine au moment du petit déjeuner, avec cette odeur. Ou au moment de dormir... C'est désagréable. Et puis il y a les cris très aigus quand les cochons pleurent." Elle nous explique ensuite, avec une certaine pointe d'amertume, que son mari malade ne peut pas vivre avec elle, ne supportant pas tous ces désagréments. Il s'est réfugié à Teahupoo… La jeune nièce de Marie-Yolande, qui vit avec elle, ajoute qu'elle peut à peine faire ses devoirs avec cette odeur. Marie-Yolande est prise au piège : elle est propriétaire de la maison et elle n'a pas le choix, avec sa maigre retraite, d'aller vivre ailleurs.

UN ENFER POUR L'UNE MAIS UN MOYEN DE SUBSISTANCE POUR L'AUTRE

Chez la voisine, un autre spectacle. Deux chatons émaciés se battent pour un bout de pain. Des débris de bois jonchent le sol jusque dans la rivière en contrebas. Quelques planches de contreplaqué servent d'abris aux quatre mastodontes, remuant difficilement dans la boue et la fange. Un petit garçon grimpe sur le toit de la porcherie improvisée pour cueillir les mangues de la voisine...

Avant de se retrouver collés au mur de Marie-Yolande, les cochons étaient hébergés dans un enclos plus près de la maison de la voisine... Mais le terrain s'est effondré dans la rivière.
Avant de se retrouver collés au mur de Marie-Yolande, les cochons étaient hébergés dans un enclos plus près de la maison de la voisine... Mais le terrain s'est effondré dans la rivière.
"C'est une de mes sœurs qui nous a envoyé deux petits porcelets de Tubuai. On les a élevés et ils ont eu des petits. On en a vendu une partie et tué d'autres pour les manger. Je comprends que l'odeur puisse être gênante pour le voisinage mais ma famille en a besoin pour vivre" nous explique la voisine. Si ces porcs sont un enfer pour l'une, ils constituent pour l'autre un moyen important de subsistance qui peut nourrir sa famille plusieurs mois. Elle rajoute que la rivière a emporté une partie de son terrain. Pour garder ses cochons, elle les a donc déplacés du côté du mur de Marie-Yolande.

UN APPEL À L'AIDE, JAMAIS ENTENDU

Cette dernière a d'abord tenté d'interpeller l'Office polynésien de l'habitat (OPH), le propriétaire de la maison voisine. Il n'aurait, selon ses dires, rien changé à la situation. Elle s'est alors tournée vers la gendarmerie de Pirae puis la DSP, mais personne ne semble vouloir agir. "Personne ne fait rien, c'est pour ça que je me tourne vers la presse aujourd'hui. C'est le seul moyen pour que ça bouge" dit-elle.

Cet élevage de porcs dans un fare OPH n'est pas un cas isolé. Dans le quartier de Marie-Yolande ils sont plusieurs à abriter ces précieux animaux. La voisine improvisée éleveuse porcine nous explique qu'il y plusieurs années, il y avait un fare Putu où l'on faisait les ma'a Tahiti. C'est là que tous les cochons du quartier vivaient, jusqu'à ce qu'un parking soit construit à cet emplacement, forçant les propriétaires de ces animaux à les garder chez eux ou, pour certains, à les abriter dans la montagne qui domine le quartier de Pirae Uta. Pour Marie-Yolande, ce n'est pas une excuse : "Un lotissement ça n'est pas fait pour avoir un élevage de cochons. Je ne suis pas la seule à ne pas supporter ces odeurs. Une autre voisine se plaint également de l'odeur."

Plus grave que les relents et le bruit causés par les porcs, les risques de leptospirose sont aussi à prendre en compte. Pour rappel cette maladie est transmise par l'urine des rats, des chiens, des vaches mais aussi des cochons (voir encadré).

L'OPH TRANCHE EN FAVEUR DE MARIE-YOLANDE

Nous avons interrogé le directeur général adjoint de l'OPH, Toriki Ateni, à propos de cette délicate affaire. Nous lui avons notamment demandé si des procédures avaient été entamées pour ce dossier.

D'après lui : "Dans le cas d'espèces, nous avons bien réceptionné les réclamations de Madame OHU Marie-Yolande. Nos équipes d'accompagnants familiaux et sociaux ont tenté de raisonner à l'amiable le locataire en question en lui demandant de démonter son élevage et de déplacer ses porcs. Malgré cela, le locataire ne s'est pas exécuté. L'OPH a donc envoyé une première lettre de mise en demeure et a parallèlement fait un signalement auprès du service de l'hygiène. Cette première mise en demeure restée infructueuse, une deuxième lui a été adressée. Si celle-ci reste sans effet, la procédure de résiliation judiciaire du bail sera entamée."

Toriki Ateni directeur général adjoint de l'OPH

Quelle est la politique officielle concernant l’élevage d'animaux de ferme dans votre parc immobilier ?
L’OPH interdit la présence dans ces lotissements d’animaux, même domestiques, de nature bruyante, désagréable ou nuisibles. Ces clauses sont stipulées dans le cahier des charges du lotissement Pirae Uta 2 qui s’applique à l’ensemble des propriétaires et locataires du lotissement.

Que risquent les personnes qui le font malgré tout ? Est-ce que cela arrive souvent ?
L’élevage de cochons à laquelle vous faites référence constitue donc une violation du cahier des charges du lotissement et l’auteur s’expose à la résiliation judiciaire de son bail de location et ainsi à la perte de son logement. D'après nos agents sur le terrain, cette situation d’élevage de porc est quand-même exceptionnelle.

Les habitants du quartier assurent qu'il existait auparavant un fare putu, où vivaient les cochons élevés par les familles. Pourquoi a-t-il été supprimé ?
Auparavant, un "fare putuputura’a" existait bien mais il ne consistait pas en "un abri d’élevage d’animaux", il s’agissait plutôt d’un lieu de rassemblement des familles pour célébrer des évènements.


Les risques sanitaires d'un élevage de porc non réglementé

"Les facteurs de risque (de la leptospirose) retrouvés sont le contact avec les animaux comme les rats, favorisé par l’habitat insalubre, ou le porc, avec les élevages familiaux en zone semi-urbaine à proximité des cours d’eau, ainsi que le chien, avec une très importante population de chiens errants, contribue à la transmission de la maladie. Plusieurs de ces facteurs sont souvent combinés. Au niveau des élevages de porcs, un meilleur contrôle de l’assainissement des déjections de ces animaux doit être mis en œuvre" expliquait le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'institut de veille sanitaire du 22 décembre 2009 (no 48-49-50).

Rédigé par Olivia Cuneo le Jeudi 18 Octobre 2018 à 19:00 | Lu 10149 fois